À LA PAGE
     

Le club de lecture a remplacé les séances non encore déconfinées
de mai et juin 2020 par des comptes rendus de lecture

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Avis de Renée sur 
Gabriële d'Anne et Claire Berest, puis Ténèbre de Paul Kawczak
   

Ce sont les arrières petites filles de Gabrielle Buffet, qui avait environ 20 ans en 1900. Féministe, musicienne, excessivement intelligente et cultivée, Gabrielle a un sens aigu de la modernité en musique et en peinture.
Il semblerait qu'elle n'ait pas eu un talent à la hauteur de ses ambitions musicales (ma version ????? ). Donc, à 27 ans, lorsqu'elle rencontre Picabia, elle abandonne toute velléité musicale et se consacre entièrement à la carrière de Francis Picabia. Elle le pousse à abandonner ses débuts très rémunérateurs de peintre post-impressionniste pour une recherche théorique qui casse tous les codesde la peinture.
Cependant, fait curieux et inexpliqué, à sa mort, elle n'avait aucun tableau : ni de Picabia, ni d'aucun autre.
Elle a été l'amie et la muse de Guillaume Apollinaire et Marcel Duchamp, des futuristes, des Dada, des tenants du cubisme orphique.

Madame Buffet parlant d'Apollinaire : "Je n'osais plus jamais conclure ...à une plaisante imposture de sa part lorsqu'il donnait la recette exacte de la sauce au soja dont on accommode, en chine, les petites-fillesnouveau - nées qu'on mange comme des poulets de grain".
Apollinaire : "Les peintres cubistes, méditations esthétiques", d'où brouille avec Picasso, pourtant encensé dans ce texte.
1914, premiers ready-made (porte bouteille)
Duchamp : "paysage fautif" jet de sperme sur tissu de satin noir.
Varèse : "il organise des sons", dit Gabrielle.
Picabia est instable, aujourd'hui on dirait "bipolaire"
Yves Klein : le "fameux bleu Klein" dont il a déposé la formule afin de ne pas être copié, il l'achetait à la mercerie du coin.

Ce livre m'a agacée car je ne comprends absolument pas le personnage de Gabrielle : son indifférence vis-à-vis de ses enfants me répugne, bon ! C'était une pure intellectuelle, on l'a louée pour ça, mais dans le livre, ça reste abstrait, mal expliqué.
D'autre part, il m'a beaucoup intéressée par les rappels de l'époque, les artistes qu'elle a fréquentés, les anecdotes.

Avis de Renée sur 
Ténèbre de Paul Kawczak (français, vit au Québec)
  Années 1890, Pierre Claes, géomètre, va au Congo au nom de Léopold, roi des Belges. Sa première expédition qui est un échec, puis une seconde pour se venger de son ancien compagnon.
Description des horreurs perpétrées par les colonisateurs, et aussi par les autochtones.
L'auteur s'est parfaitement informé sur les deux expéditions, Pierre Claes a réellement existé, mais bien sûr c'est un roman. Il m'a passionnée malgré la dureté de certains passages .
Dans ce roman, il y a une mise en abyme : les mutilations subies par Claes (et TOUS les autres, Européens et Africains symbolisent la mutilation du pays). Le "supplice chinois" ou "lengchi" ou "supplice des 1000 morceaux" consistait à droguer à l'opium les suppliciés afin de les maintenir en vie le plus longtemps possible et taillader des morceaux de leur corps avant de leur couper la tête. Il y a une légende disant que le supplicié vit une extase (visage ? Orgasme provoqué?) : tentative de mettre de l'érotisme dans cette barbarie ???? Roman du mal, des tueries aveugles et de la puissance du mal. Le démantèlement progressif et douloureux, c'est exactement ce qui s'est passé au "Congo Belge", propriété personnelle de Léopold.
Le livre est très bien écrit avec des références multiples à la littérature : Verlaine, nommément cité, Georges Bataille sous-entendu pour l'érotisme, ainsi qu'à des tableaux célèbres : le couple Arnolfini de Van Eyck (p. 252) et d'autres que je n'ai pas reconnus dont la Vierge avec Jésus à l'orange.
Ce livre est désespéré. C'est perturbant, mais ce roman nous remémore les horreurs de la colonisation : soyons lucides, regardons l'histoire en face.
Quelques belles phrases :
"L'amour, dit-il à Verlaine, est le décentrement de l'existence par l'être aimé. L'amour déçu est la néantisation de l'être au monde"
Symbole du baiser de la vipère à Pierre Claes : la mort serait trop rapide, il doit souffrir à la mesure de ses fautes et de son masochisme.
"Notre monde, notre unique bien, notre unique source d'amour....ne saurait désormais trouver de vérité que dans la destruction".
Avis de Magali sur 
La Peste d'Albert Camus
    Comme toujours, la vague se propageait, se diffusait insidieusement, s'insinuait dans l'ensemble du pays, frappant encore plus fort, infléchissant le cours des vies, si bien que la contagion semblait pour chacun inéluctable. De tout mon être, je refusais la maladie. Mais un jour, elle eut raison de moi. À mon tour, je succombai au virus de La peste et me lançai dans une nième lecture du roman camusien. Après l'engouement pour Paris est une fête, c'était au tour de ce court récit d'être la cible d' un engouement post- traumatique. Réticente à toute déformation réduisant La peste à la "chronique" d'une épidémie, dans une analogie douteuse avec le présent, c'est donc avec réticence que je réabordai le texte. Le titre du livre, fortement connoté à la mort, me semblait certes inviter le lecteur à s'approprier la dimension existentielle du roman. La mort, le non-sens sens de la vie, l'absurdité, non du monde ou de la condition humaine, mais de leur confrontation, autant de thèmes qui irriguent l'œuvre de Camus. Ainsi, écrit-il dans l'incipit du Mythe de Sisyphe : "Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie". Comment, sans cet éclairage, comprendre le personnage de Tarrou, symbole vivant de "l'homme absurde" ? En outre, dans cette fougue pour une histoire de pandémie, il m'apparaissait dangereux de décontextualiser le roman. L'histoire, on le sait, se déroule en 1940, à Oran. Camus lui-même invite à la lire comme une allégorie de la propagation du nazisme et du fascisme. Les personnages illustrant les différentes postures durant l'occupation allemande (Cottard, le "collabo", Rambard le résistant tardif…). "Il faut lire la peste comme une métaphore" déclare Camus. Bon, j'abrège.
Cette rubrique n' est certes pas le lieu d'une nième analyse de La peste. Comme le dit Renée : "dans votre texte, il faut que l' on sache si vous avez aimé ou non le livre." Donc, je veux vous dire mon émotion candide, ma jubilation inaltérée à cette relecture de La peste, cette fois délestée de toute visée pédagogique. Tels ces acteurs aguerris et pourtant tremblants avant d'entrer en scène, j'ai frissonné à l'écriture de Camus, aussi limpide qu'une eau de source, me coulant dans cette phrase qui avance et vous prend dans sa vague, vous éclabousse, malgré le tragique, ruisselants de joie. Je reconnais avoir été troublée par cette description de la propagation de l'épidémie, de la psychose des habitants, des solidarités inédites, et le miracle triomphant de la vie.

   

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