La
panthère
Jardin des Plantes à Paris
Son
regard du retour éternel des barreaux
sest tellement lassé quil ne saisit plus rien.
Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde.
La molle marche des pas flexibles et forts
qui tourne dans le cercle le plus exigu
paraît une danse de force autour dun centre
où dort dans la torpeur un immense vouloir.
Quelquefois seulement le rideau des pupilles
sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
court à travers le silence tendu des membres -
et dans le cur sinterrompt dêtre.
(Traduction
Claude Vigée)
Rainer Maria Rilke, 6 novembre 1902, Paris
Nouvelles poésies
Première partie (1905-1908)
Son regard, à force duser les barreaux
sest tant épuisé quil ne retient plus rien.
Il lui semble que le monde est fait
de milliers de barreaux et au-delà rien.
La démarche feutrée aux pas souples
et forts,
elle tourne en rond dans un cercle étroit,
cest comme une danse de forces autour dun centre
où se tient engourdie une volonté puissante.
Parfois se lève le rideau des pupilles
sans bruit. Une image y pénètre,
parcourt le silence tendu des membres
et arrivant au coeur, sévanouit.
(Traduction de Lorand Gaspar)
Les barreaux passent et repassent : son regard
En est tellement las quil ne retient plus rien.
Il lui semble y avoir un millier de barreaux,
Et derrière ces mille barreaux : point de monde.
La démarche apathique aux pas souplement
forts
Qui tourne sur soi-même en un tout petit cercle,
Est comme danse de puissance autour dun centre
Où se tient, hébétée, une volonté grande.
À peine quelquefois le rideau des pupilles
Sans bruit se lève-t-il : une image y pénètre,
Traverse le silence en tension des membres,
Et dans le cur sarrête dêtre.
(Traduction de Lionel-Édouard Martin)
Elle a tant vu les barreaux qui défilent
;
son il est vide à force d'être las.
Mille barreaux forment le monde, mille
barreaux sans rien, semble-t-il au-delà.
Des pas légers l'élastique puissance
dans le petit espace en mouvement,
c'est dirait-on de la force qui danse
et cerne au centre un grand vouloir dormant.
Seul le rideau parfois s'ouvre en silence
de la pupille, et le monde capté
dans le calme tendu des nerfs s'avance
et cesse en son cur d'exister.
(Traduction Jean-Luc Moreau, édition La Pléiade)
|