Roland
Barthes
« Rhétorique de l'image » |
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Voici une publicité Panzani : des paquets de pâtes, une boîte, un sachet, des tomates, un champignon, le tout sortant dun filet à demi ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur fond rouge. Essayons d « écrémer » les différents messages quelle peut contenir. | |
Limage nous livre tout de suite un premier message, dont la substance est linguistique : les supports en sont la légende, marginale, et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la scène, comme « en abyme » : le code dans lequel est prélevé ce message nest autre que celui de la langue française ; pour être déchiffré, ce message nexige dautre savoir que la connaissance de lécriture et du Français.À vrai dire, ce message peut encore se décomposer, car le signe Panzani ne livre pas seulement le nom de la firme, mais aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui est, si lon veut, l« italianité » le message linguistique est donc double (du moins dans cette image) : de dénotation et de connnotation ; toutefois, comme il n'y a ici qu'un seul signe typique, à savoir celui du langage articulé (écrit), on ne comptera qu'un seul message. | |
Le message linguistique mis de côté, il reste limage pure (même si les étiquettes en font partie à titre anecdotique). Cette image livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici dabord (cet ordre est indifférent, car ces signes ne sont pas linéaires), lidée quil sagit, dans la scène représentée, dun retour de marché ; ce signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques : celle de la fraîcheur des produits et celle de la préparation purement ménagère à laquelle ils sont destinés ; son signifiant est le filet entrouvert qui laisse sépandre les provisions sur la table, comme « au déballé ». Pour lire ce premier signe, il suffit dun savoir en quelque sorte implanté dans les usages dune civilisation très large, où « faire soi-même son marché » soppose à lapprovisionnement expéditif (conserve, frigidaire) dune civilisation plus « mécanique ». Un second signe est à peu près aussi évident ; son signifiant est la réunion de la tomate, du poivron et de la teinte tricolore (jaune, vert, rouge) de laffiche ; son signifié est lItalie, ou plutôt litalianité ; ce signe est dans un rapport de redondance avec le signe connoté du message linguistique (lassonance italienne du nom Panzani) ; le savoir mobilisé par ce signe est déjà plus particulier : cest un savoir proprement « français » (les Italiens ne pourraient guère percevoir la connotation du noms propre, non plus probablement que l'italianité de la tomate ete du poivron),fondé sur une connaissance de stéréotypes linguistiques. Continuant dexplorer limage (ce qui ne veut pas dire quelle soit entièrement claire du premier coup), on y découvre sans peine au moins deux autres signes ; dans lun, le rassemblement serré dobjets différents transmet lidée dun service culinaire total, comme si dune part Panzani fournissait tout ce qui est nécessaire à un plat composé, et comme si dautre part le concentré de la boîte égalait les produits naturels qui lentourent, la scène faisant le pont en quelque sorte entre lorigine des produits et leur dernier état ; dans lautre signe, la composition, évoquant le souvenir de tant de peintures alimentaires, renvoie à un signifié esthétique : cest la « nature morte » ou comme il est mieux dit dans dautres langues, le « still life » ; le savoir nécessaire est ici fortement culturel. | |
Roland
Barthes, «
Rhétorique
de l'image
»,
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