Il me regarda un moment comme s'il avait du mal
à comprendre.
"Je suis Gatsby, dit-il soudain.
- Quoi ! m'écriai-je. Oh, je vous demande pardon.
- Je croyais que vous le saviez, très cher. J'ai bien peur de ne
pas être un hôte accompli."
Il m'adressa un sourire complice - bien plus que complice. Un de ces sourires
rares, source d'éternel réconfort, comme on n'en rencontre
que quatre ou cinq fois dans sa vie. Un sourire qui défiait - ou
semblait défier - brièvement le monde entier, puis se focalisait
sur vous comme s'il vous accordait un préjugé irrésistiblement
favorable. Qui vous comprenait, dans la mesure exacte où vous souhaitiez
être compris. Qui croyait en vous comme vous auriez voulu croire
en vous-même. Qui vous assurait que vous lui faisiez précisément
l'impression que, dans le meilleur des cas, vous espériez produire.
À cet instant précis, ce sourire s'évanouit - et
je n'eus plus en face de moi qu'un voyou, élégant, jeune,
trente et un ou trente-deux ans, dont la diction cérémonieuse
et alambiquée frisait de peu le ridicule. Avant qu'il ne se présente,
avais déjà été frappé par le soin avec
lequel il choisissait ses mots.
A peu près au moment où Mr. Gatsby déclinait son
identité, un majordome se précipita vers lui...
Gatsby,
traduit par Julie Wolkenstein, P.O. L, 2011, p. 81
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