La traduction de Julie Wolkenstein

"Only Gatsby"


Nick Carraway, narrateur principal de ce roman de Francis Scott Fitzgerald, paru en 1925 et déjà traduit deux fois en français (en 1945 par Victor Liona et en 1976 par Jacques Tournier) commence par faire son autoportrait : il a, dit-il, l'esprit ouvert ; il s'est toujours abstenu de juger ; il était plein d'espoir. Mais, ajoute-t-il aussitôt, il a changé, découvert ses limites, perdu foi dans la nature humaine. Son récit sera celui de cette transformation. De sa misanthropie nouvelle, "seul Gatsby" est exclu : "Seul Gatsby, l'homme qui donne son nom à ce livre..."

"Only Gatsby" : les lecteurs français de The Great Gatsby connaissent le roman sous le titre, trouvé par Victor Liona et conservé par Jacques Tournier, de Gatsby le Magnifique. "Magnifique" pour l'anglais "great", ce qui, traduit littéralement, donnerait Le Grand Gatsby. Magnifique, la trouvaille de Liona Test aussi, et traîtresse. Ne voyant pas d'équivalent satisfaisant à l'original, je propose Gatsby tout court, Gatsby "only". C'est souvent ainsi abrégé que les passionnés se le désignaient déjà entre eux, comme un nom de code. C'est d'ailleurs à ce titre, Gatsby, que Fitzgerald a renoncé, parmi d'autres : The Great Gatsby ne lui a jamais vraiment plu. Il lui a imputé, plus tard, l'échec commercial du livre. S'il n'a pas retenu Gatsby, c'est simplement pour se démarquer du best-seller de Sinclair Lewis, Babbitt, publié en 1922.

"Only Gatsby" : je n'ai jamais traduit aucun autre roman, n'en traduirai probablement jamais d'autre. Ce qui précède est le résultat d'une rencontre, d'une histoire d'amour unique avec ce texte.

Julie Wolkenstein
Ce texte situé à la fin de Gatsby, P.O.L, 2011

On constatera que, contrairement à tous les usages,
la couverture elle-même du livre porte le nom de la traductrice
.

Ce texte est absent de l'édition de poche GF Flammarion, 2012

Cette édition comporte une présentation, des notes, une chronologie, une bibliographie de la traductrice, et, là aussi, contrairement aux usages, une dédicace : "A mon old sport". De plus, sans prévenir, un changement dans la traduction affecte justement l'expression "old sport", traduit "très cher" dans l'édition P.O. L et "mon pote" dans l'édition GF Flammarion de 2012, avec cette note lors de la première occurence :

En anglais, "old sport". Fitzgerald emprunte probablement cette expression à Max Gerlach, un bootlegger rencontré à Great Neck. L'apostrophe, que Gatsby emploie une quarantaine de fois dans le roman, et que ses interlocuteurs relèvent comme incongrue, est ambiguë. Elle peut passer pour une préciosité empruntée à l’aristocratie anglaise et renvoyant à une ancienne camaraderie nouée lors de compétitions sportives, mais aussi être un diminutif de "sporting man", qui désignaità l’époque un débauché. Comme elle n’a pas d’équivalent enfrançais, nous choisissons "mon pote" par défaut, essentiellement pour des raisons d’homophonie.

Par-dessus le marché, Julie Wolkenstein a fait d'autres traductions :

- Ethan Frome d'Edith Wharton, P. O. L , 2014

Il y a des livres qu’on lit très loin de leur contexte. Ethan Frome était l’un des rares Wharton que je ne connaissais pas. Il y a trois ans, je l’ai emporté, dans une vieille édition française, à Brasília. Des fermes du Massachussets ensevelies sous la neige aux bâtiments de Niemeyer plantés dans le désert, il y avait un monde.Mais l’hiver dernier, lorsque je l’ai redécouvert en anglais et me suis lancée dans sa traduction, ce sont malheureusement les coïncidences qui se sont multipliées : je l’ai commencée avec une jambe dans le plâtre ; estropiée, comme son héros, du côté droit ; lorsque je l’ai finie, une amie chère s’est tuée dans une avalanche, et les tombes du Père-Lachaise affleuraient à peine la neige, comme celle des Frome. De quoi renforcer ma hantise que la réalité n’imite pas la fiction. (Julie Wolkenstein, Le Journal du dimanche, 9 mars 2014)

- Tendre est la nuit de Fitzgerald, GF Flammarion, 2015, avec une présentation détaillée.

Cette traduction a été réalisée à partir de la première édition de Tendre est la nuit (Scribner’s, avril 1934). La version originale comporte, comme souvent les livres de Fitzgerald, beaucoup d’erreurs : tantôt j’ai choisi de les rectifier (en corrigeant, par exemple, le français fautif de répliques pourtant
prononcées par des Français) ; tantôt elles sont amendées par une note en bas de page (les approximations géographiques, par exemple) ; tantôt je les commente dans la Présentation (l’incohérence de la chronologie principalement).
La ponctuation et la typographie du texte original, parfois inhabituelles, ont été volontairement respectées, de même que les raccourcis et les images, souvent elliptiques, propres au style de Fitzgerald : l’obscurité, l’étrangeté de certaines comparaisons est ainsi conservée.
Les nombreuses chansons américaines, à la mode dans les années que couvre le récit, apparaissent en anglais dans le texte (leur traduction est donnée en note), telles que les personnages les entendent ou les fredonnent.
Les mots en français dans la version originale sont imprimés en italique et suivis d’un astérisque. (Julie Wolkenstein, dans la "Note sur la traduction").