"Kokàntzis, pour mémoire", Florence Noiville, Le Monde, 8 mai 1995

C'est le drame de la communauté juive de Salonique ces dizaines de milliers de juifs venus d'Espagne et qui furent presque entièrement exterminés pendant la deuxième guerre mondiale, qui se lit en toile de fond de ce récit. Un chant d'amour, un témoignage. L'auteur, né en 1930, est originaire de cette ville et surtout une marque au fer rouge : "Je me souviens, comme si c'était hier, de cette période fondatrice de ma vie, de cet éveil dans un délire de couleurs, d'émotions, de désirs et en même temps la guerre (...), un combat où tout était bien défini, noir et blanc, sans aucune place pour l'hésitation et le doute."

C'est ce balancement entre l'éblouissement amoureux et le sombre pressentiment de sa fin qui structure ce récit, l'un et l'autre s'éclairant en un halo lumineux et lugubre. Au fond, l'histoire est "simple" : Nikos, un adolescent, et Gioconda, une jeune fille juive, s'aiment d'un "amour total" jusqu'à la déportation de celle-ci à Auschwitz, en 1943. Le texte de Kokàntzis est délibérément traité avec la naïveté et la fraîcheur d'une passion juvénile. Ses phrases, courtes et pudiques, sont chargées d'une poésie que la traduction restitue intacte. Au-delà du récit, c'est l'œuvre de mémoire, néanmoins, que l'on retiendra surtout : "Nombre de Grecs, ces temps-ci, voulant croire à une Thessalonique éternellement et purement hellène, s'empressent d'oublier ce qui, dans l'histoire de la ville, pourrait contredire cette vision grandiose", écrit Michel Volkovitch en postface. C'est pourquoi Kokàntzis a écrit son premier livre. Ce sera le seul.