Milan Kundera et la traduction
L'édition
des uvres complètes de Kundera dans La
Pléiade comporte un avertissement mentionnant le fait que "entre
1985 et 1987, les traductions des ouvrages contenus dans le présent
volume ont été entièrement revues par l'auteur et,
dès lors, ont la même valeur d'authenticité que le
texte tchèque".
Dans La
Plaisanterie ("Note de lauteur", à la fin de
la réédition de La Plaisanterie, coll. "Folio"),
il explique l'importance et la raison qui le poussent à réagir
de cette manière :
Un
jour, en 1979, Alain Finkielkraut m'a longuement interviewé pour
le Corriere della Sera : "Votre style, fleuri et baroque dans
La Plaisanterie, est devenu dépouillé et limpide
dans vos livres suivants. Pourquoi ce changement ?"
Quoi ? Mon style fleuri et baroque ? Ainsi ai-je lu pour la première
fois la version française de La Plaisanterie. (Jusqu'alors
je n'avais pas l'habitude de lire et de contrôler mes traductions
; aujourd'hui, hélas, je consacre à cette activité
sisyphesque presque plus de temps qu'à l'écriture elle-même.)
Je fus stupéfait. Surtout à partir du deuxième quart,
le traducteur (ah non, ce n'était pas François Kérel,
qui, lui, s'est occupé de mes livres suivants !) n'a pas traduit
le roman ; il l'a réécrit :
Il y a introduit une centaine (oui !) de métaphores embellissantes
(chez moi : le ciel était bleu ; chez lui : sous un ciel
de pervenche octobre hissait son pavois fastueux ; chez moi : les
arbres étaient colorés ; chez lui : aux arbres foisonnait
une polyphonie de tons ; chez moi : elle commença à
battre l'air furieusement autour d'elle ; chez lui : ses poings
se déchaînèrent en moulin à vent frénétique (
)
Oui, aujourd'hui encore, j'en suis malheureux. Penser que pendant douze
ans, dans nombreuses réimpressions, La Plaisanterie, s'exhibait
en France dans cet affublement !
Deux mois durant, avec Claude Courtot,
j'ai retravaillé la traduction. La nouvelle version (entièrement
révisée par Claude Courtot et l'auteur) a paru en
1980.
Quatre ans plus tard, j'ai relu cette version révisée. J'ai
trouvé parfait tout ce que nous avions changé et corrigé.
Mais, hélas, j'ai découvert combien d'affectations, de tournures
tarabiscotées, d'inexactitudes, d'obscurités et d'outrances
m'avaient échappé !
En effet, à l'époque, ma connaissance du français
n'était pas assez subtile et Claude Courtot (qui ne connaît
pas le tchèque) n'avait pu redresser le texte qu'aux endroits que
je lui avais indiqués. Je viens donc de passer à nouveau
quelques mois sur La Plaisanterie.
|