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Presque
chaque jour, joffrais mon bras à Colette.
Elle me parlait seulement pour faire quelques remarques sur lune
ou lautre.
Quand
je masseyais près delle, elle me regardait curieusement
: elle trouvait que javais une drôle de figure.
Un
jour, elle me demanda si je la trouvais jolie. Aussitôt, je me rappelai
que sur Marie-Aimée disait quelle était noire
comme une taupe.
Je
vis pourtant quelle avait un grand front, de grands yeux, et le
reste du visage tout mince. En la regardant, je ne sais pourquoi je pensais
à un puits profond et noir qui aurait été plein deau
chaude.
Non,
je ne la trouvais pas jolie ! Mais je nosai pas le lui dire, parce
quelle était infirme, et je répondis quelle
serait bien plus jolie si elle avait la peau blanche.
Petit
à petit, je devenais son amie.
Elle
me confia quelle espérait sen aller pour se marier,
comme la grande Nina, qui venait nous voir le dimanche, avec son enfant.
Elle
me tapait sur le bras en me disant :
Vois-tu, moi, il faut que je me marie.
Elle
sétirait longuement, en tendant tout son corps en avant.
Il
y avait des jours où elle pleurait avec un chagrin si profond que
je ne trouvais rien à lui dire.
Elle regardait ses jambes toutes tortillées, et c'était
comme un gémissement quand elle disait :
Il faudrait un miracle
pour que je puisse sortir d'ici.
Il me vint tout d'un coup l'idée que la Vierge pourrait faire le
miracle.
Colette trouva la chose toute simple.
Elle était tout étonnée de n'y avoir pas encore songé
: il était si juste qu'elle eût des jambes comme les autres
!
Elle voulut s'en occuper tout de suite.
Elle m'expliqua qu'il fallait être plusieurs jeunes filles pour
faire la neuvaine ; que nous irions nous purifier par la communion ; et
que pendant neuf jours nous ne cesserions pas de prier afin d'obtenir
la grâce.
Il fallait que cela fût dans le plus grand secret.
Il fut convenu que ma camarade Sophie serait des nôtres, à
cause de sa grande piété. Colette se chargeait d'en parler
à quelques grandes qui avaient bon cur.
Deux jours après, tout fut réglé.
Colette devait jeûner et faire pénitence pendant les neuf
jours. Le dixième, qui serait un dimanche, elle irait communier
comme d'habitude, en se servant de sa canne, et du bras de l'une de nous
; puis, l'hostie dans son cur, elle ferait le vu d'élever
ses enfants dans l'amour de la Vierge ; après cela, elle se lèverait
toute droite et entonnerait de sa voix magnifique le Te Deum, que nous
reprendrions en chur.
Pendant les neuf jours, je priai avec une ferveur que je n'avais jamais
connue. Les prières ordinaires me semblaient fades. Je récitais
les litanies de la Vierge ; je cherchais les plus belles louanges, et
les répétais sans me lasser !
- Étoile du matin, guérissez Colette.
La première fois, je restai si longtemps à genoux que sur
Marie-Aimée vint me gronder.
Personne ne remarqua les petits signes que nous échangions, et
la neuvaine se termina dans le plus grand secret.
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Colette
était bien pâle, quand elle vint à la messe : ses
joues étaient encore plus minces ; elle se tenait les yeux baissés,
et ses paupières étaient toutes violettes.
Je pensai que c'était la fin de son martyre, et une joie profonde
me soulevait.
Tout près de moi, une Vierge vêtue d'une grande robe blanche
souriait en me regardant, et dans un élan de toute ma foi, ma pensée
lui cria :
Miroir de Justice, guérissez Colette !
Et, les tempes serrées par la volonté de ne pas distraire
ma pensée, je répétais :
Miroir de Justice, guérissez Colette !
Maintenant, Colette s'en allait communier. Sa canne faisait un petit bruit
sec sur les dalles.
Quand elle se fut agenouillée, celle qui l'avait accompagnée
revint avec la canne, tant elle était sûre qu'elle serait
inutile.
Ce fut lamentable.
Colette essaya de se mettre debout, et retomba sur les genoux. Sa main
tâtonna pour prendre sa canne, et, ne la trouvant pas, elle fit
un nouveau mouvement pour se lever.
Elle se cramponna à la Sainte Table, et s'accrocha au bras d'une
sur qui communiait près d'elle ; puis, ses épaules
balancèrent, et elle s'écroula en entraînant la sur.
Deux des nôtres se précipitèrent, et traînèrent
la pauvre Colette jusqu'à son banc.
Pourtant, j'espérais encore, et, jusqu'à la fin de la messe,
j'attendis le Te Deum.
Aussitôt que cela me fut possible, je rejoignis Colette.
Elle était entourée des grandes, qui essayaient de la consoler
en lui conseillant de se donner à Dieu pour toujours. Elle pleurait
doucement, sans secousses, la tête un peu penchée, et ses
larmes tombaient sur ses mains, qu'elle tenait croisées l'une sur
l'autre.
Je m'agenouillai devant elle, et, quand elle me regarda, je lui dis :
Peut-être qu'on peut se marier malgré qu'on est infirme.
L'histoire de Colette fut bientôt connue de toute la maison ; il
y eut une tristesse générale qui empêcha les jeux
d'être bruyants. Ismérie croyait m'apprendre une grande nouvelle
en me racontant la chose.
Ma camarade Sophie me dit qu'il fallait se soumettre aux volontés
de la Vierge, parce qu'elle savait mieux que nous ce qui convenait au
bonheur de Colette.
Marie-Claire
de Marguerite Audoux, chapitres 17
et 18
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