Les jours qui suivent leur arrivée, elle déplace plusieurs fois les quelques objets d'Algérie qu'ils ont apportés. Elle les éparpille sur la table, elle les range dans un placard, les aligne au pied du lit. Elle ne trouve pas de place pour ce peu. Il détonne dans l'appartement nouveau. Il devient étranger, il devient étrange. Ce qui, là-bas au village, était un objet chéri et quotidien est ici une curiosité. Les meubles en Formica, le papier peint, le lino jaune pâle constituent pour ces objets un écrin qui les isole et les rejette, une sorte de vitrine de musée. Comme ces artefacts indiens ou africains que l'on montre au Quai Branly à travers une grande glace, devancés par un court texte explicatif qui devrait vous rapprocher de l'objet mais vous en éloigne en le désignant comme une bizarrerie que vous avez besoin - justement - que l'on vous explique, comme ces outils utilisés avec simplicité tout au long d'une vie (cuillères, couteaux, langes brodés) que l'exposition vous présente désormais avec une surprise émerveillée, les quelques trésors de Yema ne parviendront jamais à se fondre dans l'appartement HLM, qu'ils paraissent dénoncer ses angles et sa froideur ou que ce soit, à son tour, l'appartement qui souligne leur clinquant ou leur archaïsme.


Alice Zeniter, L'art de perdre, Flammarion, 2017, p. 217-218