Alors,
un jour, je la regarde bourdonner. J'ai une pince à la main. Et
je regarde sa mécanique qui bourdonne.
Je lui ai montré comment pincer un arbousier. Maintenant, c'est
à elle de le faire. Elle essaye de pincer l'arbousier. Mais, en
le faisant, elle ne s'arrête pas de bourdonner.
Alors moi, pendant ce temps-là, je l'observe, elle. Avec ma pince
à la main. Je n'observe pas ses gestes, comme d'habitude, pour
voir si elle pince bien. Non, j'observe sa face qui bourdonne. Elle est
à quelques dizaines de cen-timètres de ma pince. Sa face
parlante. Elle est creusée par les mots. Qui sortent de sa bouche
qui s'agite. Je vois ma pince. Et je regarde son cou. Les paroles passent
par là. Par sa gorge. Maigre. Décharnée. Comme un
tronc. Qui palpite. Elle a le souffle court. Mais les paroles viennent
de plus loin. De plus bas. Alors mon regard descend plus bas. Au moment
où elle se penche. Pour pincer. Alors mon regard tombe dans un
trou. Entre la peau et l'accident. Entre la peau et le tissu. Cela se
passe très vite. J'ai ma pince à la main. Et je vois une
tache rouge. Plus bas. Sous son cou. Puis le tissu le recouvre. Et l'observation
cesse aussitôt. Mon regard revient vite sur l'arbousier.
Je ne sais pas ce que j'ai vu.
Mais je me dis : "Elle est en équilibre, elle aussi. Sur une
bascule. Comme les bonsaïs. Et comme eux, elle continue de parler,
en équilibre." C'est cela que je me dis. Avec ma pince à
la main.
Antoine
Buéno, Le Maître bonsaï
Le
Livre de poche, 2015, p. 71-72
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