Les
aveugles,
de Bi Feiyu
Danièle (avis transmis)
Bi
Feiyu est l'auteur également du livre L'opéra de la lune,
que
j'avais lu dans le groupe en 2016.
Ce
livre est un ensemble d'histoires qui s'entrecroisent au sein d'une communauté.
Tous (presque tous) les personnages sont des non-voyants, qui arrivent
à gagner leur vie en exerçant le métier de masseur,
voie où ils excellent, et la seule où ils ont une certaine
supériorité sur les voyants. Ils travaillent dans un centre
dirigé également par deux non-voyants. À travers
ces histoires, souvent des histoires d'amour, l'auteur tente de nous faire
comprendre et ressentir leur vie de non-voyants. C'est le grand intérêt
du roman. Il connaît leur manière de communiquer, tactile
le plus souvent, mais décrit aussi leur sensibilité aux
différents qualités de bruit ou de silence, il sait communiquer
l'effroi qu'ils ressentent dans ce noir perpétuel, la dose d'audace
qu'il faut oser pour aller vers les autres sans les voir, la peur continuelle
d'être bernés, la difficulté d'entrer en contact ou
de tomber amoureux, tout particulièrement s'ils veulent rompre
leur solitude : comment trouver l'équivalent du sourire sinon
par le contact physique, qui peut paraître inconvenant ? Il
nous montre l'espace restreint dans lequel ils se meuvent, pour ne pas
courir le risque de se perdre à l'aventure, et le contraste entre
leur vie étriquée et leurs aspirations ou leurs rêves
(Le rêve de vrai grand mariage chez les jeunes filles !). On
prend conscience des efforts continuels qu'ils doivent fournir au quotidien
pour ne pas être perdus, ou bernés, ou ridicules, ou blessés
ou abandonnés. Tout ceci, parfois sous une forme amusante :
après avoir fait l'amour en cachette, à la va vite, ils
s'affolent, parce qu'ils ont oublié une règle élémentaire
chez un aveugle: ranger les habits au fur et à mesure pour les
retrouver facilement. Parfois, l'auteur nous informe tout simplement,
par exemple, des différentes formes de glissement vers la non voyance,
et les différentes formes de caractère q2i s'ensuivent.
Un aveugle de naissance n'a pas les mêmes repères qu'un aveugle
par accident. Parfois, c'est le lyrisme qui l'emporte, et force à
l'empathie. Ce n'est jamais lourd, même s'il y a parfois quelques
longueurs.
Mais
ce livre expose aussi certaines différences culturelles, à
mon avis typiquement asiatiques : ne pas se laisser aller à
des remarques ou des comportements impulsifs ou déshonorants. C'est
aussi l'autre intérêt de ce livre. Ce sont des aveugles chinois !
Je
retiendrai l'empathie communicative de l'auteur pour les non-voyants,
la sensibilité et la finesse d'analyse des relations communicationnelles
dans un monde finalement hostile et impitoyable par la force des choses,
par le fait même qu'ils ne peuvent le maîtriser par la vue.
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