L'historien
de l'art PANOFSKY (1892-1968)
et l'iconologie Présentation de Panofsky Erwin Panofsky
a étudié à l'université de Fribourg-en-Brisgau,
à Berlin et à Munich. Il consacre sa thèse de doctorat
à Albrecht Dürer en 1914. Il épouse l'historienne de
l'art Dora Mosse
(1885-1965). En raison
de ses origines juives, il est radié de luniversité
par les Nazis en 1933. Il émigre
aux États-Unis, où il avait déjà fait plusieurs
séjours. Selon Ernst
Gombrich, il qualifiera cet épisode d'expulsion vers le Paradis
terrestre. Panofsky
enseigne à l'université de New York et plus tard à
l'Université de Princeton. Panofsky
se fait connaître pour ses études d'iconologie dans un
article publié en 1934 ; il publiera ensuite Les
Primitifs flamands. Il analyse le tableau de Jan van Eyck,
Le Portrait des époux Arnolfini, en repérant toute une
série de détails qui connotent tous l'idée de mariage.
La peinture est ainsi considérée, au-delà de son
genre et de son sujet indiqués par son titre, comme une accumulation
de signes indiquant une idée, à la manière d'un rébus,
que l'on peut décrypter en connaissant les codes en vigueur à
l'époque de sa réalisation, et également comme un
ensemble de symboles qui participent d'un réseau d'associations
mentales plus vastes. Présentation de l'iconologie L'analyse
d'un tableau relève de trois niveaux : Extrait d'un article d'Édouard Barnoin, "À propos de Panofsky : iconographie, sociologie, théorie de l'art", Raison présente, n° 6, avril-mai-juin 1968 Les Essais
d'iconologie ont mis vingt-huit ans pour venir jusqu'à nous,
Architecture gothique et pensée scolastique
(1) n'a fait antichambre qu'un peu moins de vingt ans. Mais déjà
pendant leur absence ces uvres nous hantaient : à l'occasion
d'un article, dans une note discrète au bas d'une page, une allusion
brusquement nous mettait en appétit. Le temps du festin est venu. L'iconologie ne descend pas du ciel ; elle a ses racines dans la vieille terre philosophique allemande. L'Institut Warburg enseigne la rigueur de la méthode historique, Ernst Cassirer et d'autres maintiennent la tradition kantienne. L'histoire de l'art en Allemagne est mêlée de philosophie. C'est dans ce milieu que se formera la pensée de Panofsky et, bien sûr, on aura beau jeu à déceler dans l'uvre ultérieure tel ou tel présupposé, telle ou telle trace philosophique ; peut-être l'"origine" de cette pensée dessine-t-elle sa limite. Il n'est pas sûr non plus que ce soit là l'essentiel. Demandons-nous plutôt ce qu'est l'iconologie, si elle procure une connaissance et de quel type. E.
Panofsky distingue trois niveaux
de signification de l'uvre d'art. D'abord
une signification primaire : l'uvre
représente des "objets naturels (tels que des êtres
humains, des animaux, plantes, maisons, outils, etc.)" (2),
de plus ces représentations ont des "qualités expressives"
(par exemple "l'atmosphère intime et paisible d'un intérieur").
Ainsi est constitué "l'univers des motifs". Ceux-ci
sont l'objet d'une description pré-iconographique,
qui ne pose aucun problème particulier de méthode :
l'expérience familière suffit. L'ICONOLOGIE L'iconologie
proprement dite, qui se distingue de l'iconographie, n'apparaît
qu'au niveau III, celui des "significations
intrinsèques" ou "contenus". Cette "signification
intrinsèque" qui est le sens dernier de l'uvre,
ce au-delà de quoi l'historien de l'art ne peut aller, ne peut
être dégagée que par une confrontation avec d'autres
uvres de culture, "documents portant témoignage sur
les tendances politiques, poétiques, religieuses, philosophiques
et sociales de la personnalité, l'époque ou le pays à
l'étude" (3). Et Panofsky ajoute, à
ce propos, que "réciproquement l'historien de la vie politique,
de la poésie, la religion, la philosophie, des situations sociales,
devrait utiliser dans le même esprit les uvres d'art"
; remarquons qu'un souci semblable anime Pierre Francastel (4). SYMPTÔME ET SYMBOLE On voit
ce que sont ici ces "valeurs symboliques" (expression
empruntée à Ernst Cassirer) : On peut
se demander d'abord si la distinction des trois niveaux est toujours valable
ou si elle n'a de sens que pour l'art figuratif, comme le fait par exemple
B. Teyssèdre dans un article de la Revue philosophique (9),
reprenant une indication de Panofsky lui-même. En effet il n y a
pas de significations conventionnelles (niveau de l'iconographie) "pour
la peinture de paysage, de nature morte et de genre" du moins
en Europe. On pourrait peut-être même se demander si l'iconologie
n'est pas à ce point liée, par sa différence même,
à l'iconographie, qu'elle ne puisse subsister sans elle, ou si,
du moins, elle ne devient pas tout autre quand la couche iconographique
fait défaut. Cela signifierait que le tableau des niveaux où
Panofsky situe l'iconologie est comme l"'image" d'un
certain champ artistique et que l'articulation des niveaux dit à
sa manière (rigoureuse ou non, c'est une autre question) la structure
de ce champ. Si le champ artistique changeait de structure (admettons
que l'art moderne soit justement ce "changement"), il
faudrait du même coup une autre "image" du champ,
c'est-à-dire une articulation différente (B. Teyssèdre
dans l'article cité propose quelque chose de ce genre) ; mais surtout
l'iconologie proprement dite devrait sans doute recevoir un contenu différent,
ou plus exactement se proposer une autre tâche. Nous voulons dire
que si l'uvre d'art moderne a effectivement une nature tout autre,
si elle est, par exemple (cela est vrai au moins pour certaines productions)
selon l'expression d'Umberto Eco, une "uvre ouverte",
il faut, pour dire la signification intrinsèque de cette nouvelle
uvre, une autre iconologie : non pas simplement ouverte
à la nouveauté de l'"ouverture", comme
catégorie artistique moderne, mais, si l'on peut dire ouverte
elle-même, en dedans, non pas fermée, close sur un système
de concepts (ceux utilisés par Panofsky par exemple) mais acceptant,
mieux : produisant de nouveaux concepts. Il nous semble que le travail
d'Umberto Eco est un bon exemple de cette iconologie de l'ouverture, ou
plutôt de l'ouverture de l'iconologie. La seconde
remarque qu'appelle le texte cité plus haut porte sur les deux
termes "symptôme" et "symbole".
Bien sûr ces termes sont "importés" de la
philosophie dans l'iconologie (10) et ils viennent d'horizons
philosophiques différents, mais ici ils s'unissent : l'uvre
d'art est "symptôme" parce qu'elle porte une "valeur
symbolique". Disons, si l'on veut, que le symptôme et le
symbole sont comme le signifiant et le signifié. Est-ce dire que
l'uvre d'art est un signe ? Non, en tout cas ce n'est pas ce que
dit Panofsky ici ; le texte est net : Panofsky ne définit pas l'uvre
d'art en elle-même, mais seulement l'uvre d'art considérée
du point de vue de l'historien de l'art. "Lorsque nous essayons
de comprendre cette fresque en tant que document..." ne veut
pas dire que cette fresque est un document. D'autres n'ont pas toujours
cette prudence et la faute de méthode peut se redoubler en contre-sens
théorique. De même envisager "l'uvre d'art
en tant que symptôme" n'est pas affirmer que l'uvre
d'art est symptôme. Il faut insister sur ce point car il s'agit
là de tout autre chose que d'une nuance ; la pensée ici
doit faire un choix : ou bien elle considère que l'uvre d'art
peut, mais seulement dans une intention définie et à partir
d'un point de vue déterminé, être traitée comme
un signe, et alors ce n'est même pas une comparaison, c'est simplement
la condition objective de possibilité de la sociologie de l'art
ou de l'iconologie ; ou bien, au contraire, elle cède à
la métaphore : l'uvre d'art est un signe. On devine les conséquences
désastreuses de cette confusion ; une métaphore prise à
la lettre ne peut être un concept, on peut y croire, on ne peut
la penser, vraiment, sans contradictions. Le texte suggère une troisième remarque : la signification intrinsèque n'est pas en général connue de l'artiste, le sens immanent à l'uvre demeure inconscient. Aux yeux du sociologue c'est sans doute l'apport le plus intéressant de Panofsky : qu'on lise, par exemple, de Pierre Bourdieu "Champ intellectuel et projet créateur" (Les Temps modernes, n° 246, novembre 1966) et sa postface à sa traduction d'Architecture gothique et pensée scolastique. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'un inconscient individuel, encore qu'il semble bien que l'iconologie doive nécessairement le rencontrer sur son chemin, comme on peut le soupçonner en lisant l'admirable étude consacrée à Piero di Cosimo dans les Essais d'iconologie ; ce que Panofsky exhibe c'est un "inconscient culturel" pour parler comme le sociologue (cf. P. Bourdieu, article cité, p. 896). Cela ne serait rien si c'était seulement la constatation de la présence d'une même signification dans les différents produits d'une culture : politiques, religieux, littéraires, etc. On serait alors tout près de Hegel et de "l'esprit de l'époque". C'est d'ailleurs une façon de comprendre Panofsky : le Zeitgeist est alors la "valeur symbolique" identique à soi qui "s'exprime" dans la diversité infinie des "symptômes". Ainsi dans l'article cité (p. 337) B. Teyssèdre, proposant pour son propre compte, comme nous l'avons signalé, une autre articulation des actes d'interprétation, écrit, parlant des principes sous-jacents aux "idées" et aux "formes", qu'"ils expriment la Weltanschauung d'une nation, classe, période, que manifesteraient d'autre façon leur pratique politique ou juridique, leurs idéologies philosophiques, morales, religieuses, leur théorie scientifique, et dont le fondement serait un fait social total". Laissons de côté la dernière référence à M. Mauss, retenons seulement la fameuse Weltanschauung dont la critique a été si souvent faite. On est très près par exemple de la notion d'homologie des structures de Lucien Goldmann (11). On sait le vice de ses conceptions : elles constatent, ou même à la rigueur supposent l'identité du sens, mais ne la "produisent" pas, ne l'engendrent pas. Ici l'empirisme de la constatation des ressemblances ou homologies et l'idéalisme de l'expression de la Totalité se confondent : l'un constate, l'autre décrète, ni l'un ni l'autre ne rendent raison. Panofsky le fait. (...) (voir la suite de cet article de Barnoin Édouard : "À propos de Panofsky : iconographie, sociologie, théorie de l'art", Raison présente, n° 6, avril-mai-juin 1968) (1)
Erwin Panofsky : Quand
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