Contexte de la citation de Queneau

(en exergue au chapitre XII "Les mules")

Queneau fait l’éloge de la maîtrise formelle de Rabelais qui, « en dépit de l’apparence chaotique de son œuvre, sait où il va et dirige ses géants vers le Trinc final sans se laisser écraser par eux ». Il ajoute :

Les Cinq Livres, d’après leur auteur, sont comparables à un os à moelle, et, à mon sens, toute œuvre digne de ce nom, toute œuvre qui n’est pas « gauche » ; car toute œuvre demande à être brisée pour être sentie et comprise, toute œuvre présente une résistance au lecteur, toute œuvre est une chose difficile ; non que la difficulté soit un signe de supériorité, ni une nécessité : mais il doit y avoir un effort du moins vers le plus. Pour suivre l’oiseau dans son vol, il faut lever les yeux : ce qui peut être fatiguant lorsqu’on a l’habitude de les garder baissés. Mais une œuvre ne doit pas être difficile par simple provocation : pour suivre l’oiseau dans son vol, il faut l’avoir vu s’envoler. L’œuvre doit être susceptible d’une compréhension immédiate, telle que le poète ne soit pas séparé de son public possible (tout homme parlant la même langue), abstrait du monde culturel où il vit. Et cette compréhension immédiate peut être suivie d’appréhensions de plus en plus approfondies. Rabelais fait la joie et l’instruction de quiconque ; ensuite, les plus forts parviennent à la moelle. Ainsi Ulysses se lit comme un roman ; ensuite, on va au-delà. Un chef-d’œuvre est aussi comparable à un bulbe dont les uns se contentent d’enlever la pelure superficielle tandis que d’autres, moins nombreux, l’épluchent pellicule par pellicule : bref un chef-d’œuvre est comparable à un oignon.

Raymond Queneau, « De drôles de goûts »,
Volontés, n° 11, novembre 1938
reproduit dans Le Voyage en Grèce,
Gallimard, 1973, p. 140-141
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Quand Voix au chapitre lit L'affaire Arnolfini :
http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/arnolfini.htm