MAURICE
BLANCHOT et HUYSMANS
extrait
de "Chronique de la vie intellectuelle" (1941)
Il semble aussi qu'un certain humour, dont les autres naturalistes étaientt
fort éloignés, lui ait permis d'échapper aux effets
où sa recherche des travers et des sottises pouvait le conduire.
L'imaginaire garde sa place dans cet empire de triviales laideurs où
il paraît se plaire. Il joue avec lui-même et il montre qu'il
joue. Il s'indigne, mais il rend innocente sa colère par l'excès
qu'il lui donne et l'épisode comique où il la pousse et
il s'apaise, en rentrant en lui-même, n'ayant pas engagé
toute sa vie mentale dans l'observation des misères qu'il dénonce.
Ce même humour semble bien avoir enrichi son style de quelques qualités
particulières. Ce qu'a été son langage à une
époque où il fallait surenchérir sur les Goncourt
et donner à l'écriture artiste un surcroît d'artifice
on le sait : un effort pour travailler les images, pousser à l'extrême
les expressions, tirer des formules triviales une sensation de raffinement,
contraindre les mots à des rencontres inattendues, demander à
la syntaxe des transpositions et des écarts difficiles. Un tel
souci de fabrication littéraire, si capable de se démoder
et de paraître rapidement vain, a été heureusement
corrigé par une ironie qui en éloigne les formes pédantes.
Il arrive que ce langage parodie de style paraisse spontané par
la rapidité de ses déformations et la solidité de
ses accouplement insolites. Comme toute accusation de maniérisme
en est exclue, il laisse croire que sa vraie raison d'être est de
se tourner lui-même en dérision et d'enlever du sérieux
à l'usage des mots rares et des inventions singulières.
Il se sauve par le caractère ambigu de ses artifices. Il se prend
pour ce qu'il est, un moment instable dans une construction arbitraire
et provisoire de la langue littéraire. Huysmans a ainsi donné
l'image d'un art assez mystérieux et difficile, moins à
cause de ses procédés que par la forme équivoque
de ses intentions. Ce qu'il y a eu de simple et d'authentique dans sa
vie ne s'est pas révélé et on a assisté qu'aux
débats superficiels d'une âme nerveuse, irritée et
crédule. De même, ses uvres, plus surprenantes que
fortes, plus surchargées que vraiment riches, portent en elles
un art parodique et caché, à qui il n'a manqué que
d'être développé complètement pour marquer
tout à fait la littérature
Maurice
Blanchot
"Le secret de J.-K. Huysmans"
Journal
des débats, 18 novembre 1941, p. 3
Quand
Voix au chapitre lit Huysmans :
http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/huysmans.htm
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