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À
REBOURS : extraits
du chapitre 5
(tout ce qui suit est
de Huysmans)
Entre
tous, un artiste existait dont le talent le ravissait en de longs
transports, Gustave Moreau. Il avait acquis ses deux chefs-d'oeuvre
et, pendant des nuits, il rêvait devant l'un d'eux, le tableau
de la Salomé, ainsi conçu :
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Un
trône se dressait, pareil au maître-autel d'une cathédrale,
sous d'innombrables voûtes jaillissant de colonnes trapues ainsi
que des piliers romans, émaillées de briques polychromes,
serties de mosaïques, incrustées de lapis et de sardoines,
dans un palais semblable à une basilique d'une architecture
tout à la fois musulmane et byzantine.
Au centre du tabernacle surmontant l'autel précédé
de marches en forme de demi-vasques, le Tétrarque Hérode
était assis, coiffé d'une tiare, les jambes rapprochées,
les mains sur les genoux.
La figure était jaune, parcheminée, annelée de
rides, décimée par l'âge ; sa longue barbe flottait
comme un nuage blanc sur les étoiles en pierreries qui constellaient
la robe d'orfroi plaquée sur sa poitrine. |
Autour
de cette statue, immobile, figée dans une pose hiératique
de dieu hindou, des parfums brûlaient, dégorgeant des
nuées de vapeurs que trouaient, de même que des yeux
phosphorés de bêtes, les feux des pierres enchâssées
dans les parois du trône ; puis la vapeur montait, se déroulait
sous les arcades où la fumée bleue se mêlait à
la poudre d'or des grands rayons de jour, tombés des dômes.
Dans l'odeur perverse des parfums, dans l'atmosphère surchauffée
de cette église, Salomé, le bras gauche étendu,
en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant à
la hauteur du visage, un grand lotus, s'avance lentement sur les pointes,
aux accords d'une guitare dont une femme accroupie pince les cordes.
La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la
lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil
Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers
qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent ; sur la moiteur de sa
peau les diamants, attachés, scintillent ; ses bracelets,
ses ceintures, ses bagues, crachent des |
Gustave
Moreau
Salomé
dit Salomé dansant devant Hérode (1876)
Hammer
Museum, Los Angeles
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étincelles
; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée
d'argent, lamée d'or, la cuirasse des orfèvreries dont
chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux
de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi
que des insectes splendides aux élytres éblouissants,
marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés
de bleu d'acier, tigrés de vert paon.
Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule,
elle ne voit ni le Tétrarque qui frémit, ni sa mère,
la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l'hermaphrodite
ou l'eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône,
une terrible figure, voilée jusqu'aux joues, et dont la mamelle
de châtré pend, de même qu'une gourde, sous sa
tunique bariolée d'orange. |
Quand
Voix au chapitre lit Huysmans :
http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/huysmans.htm
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