Stevenson
parlait-il français ?
"We're
far from home", avait un jour chuchoté un Écossais
moribond, que mon mari avait trouvé, gisant sur le sol d'une case
indigène, dans l'une des îles de l'archipel des Tukalao.
Il semble étrange que les Ecossais, dont l'amour du pays n'a d'égal
que celui que les Suisses vouent au leur, puissent être les plus
grands voyageurs qui soient sur terre, à la réserve des
Juifs qui, eux, ont au moins pour motif d'appartenir à une race
dépourvue de pays.
Mon mari est né assoiffé d'ailleurs. Dès sa petite
enfance il rirait sur sa longe, et jamais il n'était si heureux
que lorsqu'il partait en voyage avec sa mère pour se rendre dans
le midi de la France. C'est là, à Menton, qu'il avait acquis
l'accent et le vocabulaire qu'il a gardés pendant toute son existence.
Il ne savait pas grand-chose de la grammaire française (ni non
plus de quelque grammaire que ce fût), mais il s'exprimait en parler
vernaculaire avec une aisance et une précision telles que partout
les Français le tenaient pour l'un des leurs, mais probablement
originaire d'une autre province. A Nice, un jour qu'épuisé
par une longue marche il s'était arrêté dans un sordide
caboulot pour y prendre un peu de repos, deux individus à mine
patibulaire, assis à la table voisine, s'étaient arrêtés
de bavarder pour l'observer attentivement pendant quelque temps et, l'ayant
entendu commander une consommation et estimant qu'ils n'avaient rien à
craindre de lui, avaient repris le fil de leur conversation. Ils se disaient
l'un l'autre toute la haine que leur inspiraient les Britanniques et se
promettaient de soûler le premier Anglais qui entrerait dans l'établissement,
afin de le dévaliser.
Fanny
Stevenson
"Présentation"
L'appel de la
route : intégrale des récits de voyages
de Robert Louis Stevenson
Grande bibliothèque Payot, 1994, 1419 p.
Quand
Voix au chapitre lit Stevenson : http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/stevenson_dr_jekyll.htm
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