André Breton et Annie Ernaux J'avais
lu et fait mienne cette phrase du Manifeste du Surréalisme
: "Ce n'est pas la crainte de la folie qui nous fera laisser en
berne le drapeau de l'imagination". À vrai dire, c'est
le surréalisme entier comme forme d'existence, incluant mais débordant
de beaucoup la littérature, auquel je m'étais donnée,
adonnée, en découvrant les Manifestes rédigés
par André Breton qui venaient d'être rendus enfin accessibles,
dans
la collection Idées, en 1963. C'est donc au travers de l'écriture
d'André Breton que j'ai reçu l'empreinte d'idées,
de refus et de positions définissant le mouvement certainement
le plus déterminant du XXème siècle dans l'art et
sur la sensibilité. D'André Breton, plus que des autres,
si j'excepte l'Aragon du Paysan
de Paris et du Libertinage.
D'abord par les Manifestes, puis Nadja, L'Amour
fou, Les
Vases communicants, Arcane
17. Des textes inclassables, théoriques et poétiques
à la fois, ni romans - condamnés avec violence - ni autobiographies,
mais des quêtes d'une vérité individuelle, d'un salut
peut-être, que n'importe qui peut entreprendre à son tour.
Des textes sinueux, rompus, laissés "battants comme des
portes" qui constituent peu ou prou toujours des manifestes d'une
attitude face au monde, des modes d'emploi de la vie. Car la phrase d'André
Breton - structure fondamentale, unité première de son écriture
- est toujours, de la sentence brève à la période,
"morale". Morale non pas en termes de bien ou de mal, mais de
conduite et de style de vie. Par sa puissance, sa syntaxe impérieuse,
quelque part elle "oblige", elle est constamment - pourtant
si hautaine et dédaigneuse de celui qui la lit - un appel à
la suivre.
Une phrase dont la résonance en moi me reste mystérieuse :
L'année dernière, me trouvant dans le Nord, à Bailleul, dans le cadre d'une célébration de Marguerite Yourcenar - qui, elle, m'est absolument lointaine - j'ai été abordée par une jeune écrivaine, Amina Danton. Comme une messagère inespérée, elle m'a proposé de me conduire au cimetière municipal sur la tombe de Nadja, qu'elle avait trouvée en se rendant à la Mairie et où elle venait d'aller. J'avais lu que Nadja était morte dans un asile, je ne savais pas que c'était à Bailleul, la ville même où Bruno Dumont a tourné ses premiers, sombres, films. Devant la tombe - juste un carré de terre avec une bordure en ciment et l'inscription "Léona Delcourt 1902-1941" - je pensais à ses paroles : "André ? André ? Tu écriras un roman sur moi. De nous il faut que quelque chose reste ". Je pensais que nous étions dans ce cimetière sous un soleil de plomb par le pouvoir d'un livre, la grâce agissante de la littérature. Extrait
d'un texte inédit publié en 2018 Voix au chapitre a programmé André Breton en janvier 2021 http://www.voixauchapitre.com/archives/2020/breton.htm |