Note
de Breton
Le
texte
«
Les espacements
brusques des mots dans une phrase même imprimée, le trait
qu'on jette en parlant au bas d'un certain nombre de propositions dont
il ne saurait s'agir de faire la somme, l'élision complète
des événements qui, d'un jour à l'autre ou à
quelque autre, bouleversent de fond en comble les données d'un
problème dont on a cru pouvoir faire attendre la solution, l'indéterminable
coefficient affectif dont se chargent et se déchargent le long
du temps les idées les plus lointaines qu'on songe à émettre
aussi bien que les plus concrets des souvenirs, font que je n'ai plus
le cur de me pencher que sur l'intervalle qui sépare ces
dernières lignes de celles qui, à feuilleter ce livre, paraîtraient
deux pages plus tôt venir de finir *.
»
La note
«
* Ainsi, j'observais par désuvrement
naguère, sur le quai du Vieux-Port, à Marseille, peu avant
la chute du jour, un peintre étrangement scrupuleux lutter d'adresse
et de rapidité sur sa toile avec la lumière déclinante.
La tache correspondant à celle du soleil descendait peu à
peu avec le soleil. En fin de compte il n'en resta rien. Le peintre se
trouva soudain très en retard. Il fit disparaître le rouge
d'un mur, chassa une ou deux lueurs qui restaient sur l'eau. Son tableau,
fini pour lui et pour moi le plus inachevé du monde, me parut très
triste et très beau. »
André
Breton, Nadja
Folio,
p. 175
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