Journal
de Jefferson
Le
début du journal dans le texte original et la traduction française
mr wigin you say rite somethin but
i dont kno what to rite an you say i must be thinkin bout things
i aint telin nobody an i order put it on paper but i dont kno what
to put on paper cause i aint never rote nothin but homework i aint
never rote a leter in all my life cause nanan use to get other chiren
to rite her leter an read her leter fort her not me so i cant think
of too much to say but maybe nex time |
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meusieur wigin vous mavé
di décrir mai je sé pa quoi écrir et vous avé
dit je doi pensé à dé chose que jé raconté
a persone é je devré lé mètre sur le
papié mai je sai pas quoi mètre sur le papié
vu que jai jamé écri sof à lécole jé
jamé écri une lètre de ma vi pasque nanan demané
o zotr enfan décrir sé lètre é de lire
sé lètre, pa moi, alor je voi pas tro quoi écrir
mai peutèt la prochène foi. |
Commentaire
de Jacqueline
Comme
effectivement la traduction/transcription (en français ?)
rebute à peu près tout le monde et empêche d'accéder
à son contenu, j'ai profité de ses moments de retraite forcée
pour en établir une transcription fidèle au moins au sens,
en me prenant au jeu comme s'il n'était pas une fiction mais juste
un texte réel à "toiletter" . Mes partis pris
(par exemple : de restituer entre parenthèses quelques éléments
syntaxiques du code écrit commun qui facilitent la lecture) sont
très discutables... En fait pour que ça soit valable, il
aurait fallu d'autres compétences en créoles divers !
Transcription
de Jacqueline
Monsieur
Wiggins, vous m'avez dit d'écrire mais je (ne) sais pas quoi écrire
et vous avez dit (que) je dois penser à des choses que j(e n)'ai
raconté à personne et (que) je devrais les mettre sur le
papier. Mais je (ne)sais pas quoi mettre sur le papier vu que j(e n)'ai
jamais écrit sauf à l'école. J(e n)'ai jamais écrit
une lettre de ma vie parce que Nanan demandait aux autres enfants d'écrire
ses lettres et de lire ses lettres pas (à) moi. Alors je (ne)vois
pas trop quoi écrire mais peut-être la prochaine fois.
C'est le
soir et j'ai mangé mes haricots et mon riz et j'ai bu ma tasse
de lait. Et le soleil arrive à la fenêtre vu que je le vois
éclairer par terre et j'entends Ned et les autres parler et c'est
tout pour le moment.
Nanan m'a
apporté des ufs de Pâques et j'en ai mangé un
et Nanan en a mangé un. Le révérend Ambrose, il en
a mangé un et il m'a demandé si je sais pourquoi le Seigneur
il est mort. Et il a dit qu'il est mort pour moi pour que je le retrouve
dans le ciel. Et tout ce qu'il veut que je fasse c'est (de) dire que je
veux aller là-haut avec lui et les anges. Et si je le veux de tout
mon cur et de toute mon âme, j'irai au ciel. Et Nanan s'est
remise à pleurer et Miss Lou l'a serrée dans ses bras, et
Nanan a dit (que) tout ce que j'ai à faire pour que sa vie vaille
la peine c'est de demander au Seigneur de pardonner mes péchés.
Et Miss Lou était toujours sur la chaise à la serrer et
j'ai été content quand Paul est venu me chercher.
Je (ne) sais pas quel jour on est mais la nuit passée, je (ne)
pouvais pas dormir et j'entendais Ned ronfler et j'étais couché
là et j'ai pensé à Samson qui disait si le Seigneur
même, comment ça se fait qu'il a laissé ma femme mourir
et m'a laissé avec les enfants. Et comment ça se fait qu'il
(ne) vient pas ici prendre comme le frère Martin sur la rivière
Saint Charles au lieu de tourmenter de pauvres gens qu(i n')ont jamais
rien fait qu'essayer de le servir du mieux qu'ils pouvaient.
On dirait que le Seigneur, il (ne) travaille que pour les blancs vu que
depuis que je suis tout petit j'ai été tout seul à
apporter l'eau dans le champ sur cette vieille charrette avec toutes ces
gamelles et la puisette. Je tapais et, la vieille Dorothée, elle
trottait, elle trottait, et moi, là haut, je la tapais avec la
corde; et (il y avait) toutes ces gamelles et la puisette qui tapaient
sur le tonneau d'eau pour que je porte leur eau et leur manger à
temps. Et les gens me voyaient et laissaient tomber leur houe et ils venaient
chercher leur gamelle vu qu'ils reconnaissaient leur ficelle ou la marque
qu'ils avaient fait dessus; Et Boo, assis sous un buisson avec ses haricots
blancs (il disait) : Et quand on pense, où il est à c't
heure ? et comment ça se fait qu'Il (ne) donne pas à un
homme une petite brise s'Il est si miséricordieux ? Et Miss Rachel
avec son riz et ses légumes qui lui disait "continue, continue
et tu verras si un coup de tonnerre (ne) va pas te taper sur le ciboulot".
Et Boo lui répond "qu'il vienne ça m'est égal
vu qu'un nègre mort c'est mieux qu'un nègre vivant un jour
de semaine. Et samedi je me saoule" Et il le répète.
Et samedi, debout au milieu de la route, il crie au ciel "Viens me
chercher, j'en ai rien à faire" et il tombe dans le fossé
et il ressort sur la route en montrant la bouteille pour que le Seigneur,
Il puisse la voir et il roule dans le fossé et il sort sur la route
et il tient la bouteille pour, que le Seigneur il la voit. Et il dit "je
sais que T'aime personne que les blancs vu que T'es leur Dieu. Et viens
lancer ton éclair si Tu veux parce que le nègre, il (n')a
pas de Dieu !" Et les gens qui vont à l'église, ils
ferment leur porte et leurs fenêtres pour (ne) pas entendre Boo
blasphémer le Seigneur. Mais moi et les autres enfants dans les
quartiers, on aime Boo parce qu'il nous achète toujours des bonbons
et des gâteaux.
Je (ne) peux plus dormir parce que sitôt que je ferme les yeux,
je vois cette porte et avant d'y arriver, je me réveille et je
(ne) me rendors pas parce que je (ne) veux plus marcher vers cette porte
parce que je (ne) sais pas ce qu'il y a derrière, si c'est là
qu'ils vont mettre cette chaise ou si ça veut dire la mort ou le
paradis. Je (ne) sais pas. Je me demande si BOO il est allé au
ciel vu que je sais qu'il (n') avait pas trouvé la religion avant.
Monsieur
Wiggins, vous avez dit que vous aimez ce que j'ai écrit mais vous
(ne) pouvez pas me mettre un 10 rien qu'un 9 parce que vous disiez que
je ne suis pas allé assez profond en moi encore, et vous savez
que je peux si j'essaye vraiment. Et quand je vous ai demandé ce
que vous voulez dire "profond en moi" vous avez dit "écris
seulement ce que t'as dans la tête. Comme ça, un jour, tu
seras sauvé et tu pourras sauver les enfants". Et j'ai dit
"Je (ne) sais pas ce que vous voulez dire. Et vous avez l'air si
fatigué, des fois, Monsieur Wiggins, j'ai envie de vous dire que
je vous aime bien. Mais je (ne) sais pas dire ça vu que je (ne)
l'ai jamais dit à personne et personne (ne) me l'a jamais dit.
Je sais
que ma Nanan elle compte beaucoup pour moi mais je (ne) sais pas si c'est
de l'amour vu que couper du bois et tirer de l'eau et des choses de la
sorte c'est de l'amour ou seulement du travail à faire. Et vous
dites que c'est de l'amour et que vous savez que j'(e n) ai que ça
à dire. Et quand je suis couché ici la nuit et (que) je
(ne) peux pas dormir, j'essaye de penser qu'est (à) ce que vous
voulez dire. J(e n)'ai plus (rien) à dire vu que j(e n)'ai jamais
autant pensé et écrit de toute ma vie.
C'est Lundi
et il (ne) me reste plus que quelques jours. Et j'espère voir ma
Nanan une dernière fois, vu que le révérend Ambrose
et Miss Lou disent qu'elle (ne) va pas bien et (qu') elle (n')a pas pu
venir avec eux cette fois. Mais Dieu sait, Monsieur Wiggins, j'espère
pouvoir la voir une dernière fois sur cette terre avant de partir.
Est-ce que c'est de l'amour ? Monsieur Wiggins, merci d'avoir dit que
je mérite neuf et demi et vous savez que le dix (n') est pas loin.
Le shérif
et Monsieur Pichot et Monsieur Morgan ils sont venus dans la cellule aujourd'hui
et Monsieur Pichot, il m'a demandé comment je vais et je lui ai
dit "bien" et il a dit (que) oui il voit que je vais bien et
il me demande s'il peut faire quelque chose pour moi et je lui dis "non
monsieur, ça va". Et il me demande si je veux un crayon tout
neuf et une petite gomme mais je lui dis que je prendrai le crayon mais
(que) j(e n')ai pas besoin de la gomme vu que vous m'avez dit d'écrire
tout ce qui me passe par la tête et, si c'est pas bien, de rayer
et de continuer. Et il dit oui, il voit et il me demande si je veux qu'il
taille mon crayon. Et je dis "oui, monsieur" et il taille mon
crayon avec un tout petit canif qui a un manche de nacre et je regarde
le canif. Et j'ai vu Monsieur Pichot regarder le shérif Guidry
et Monsieur Morgan. Et Monsieur Morgan, il l'a regardé aussi mais
Monsieur Morgan, il a continué à me regarder comme s'il
voulait savoir ce que je pensais. Et Monsieur Pichot me demande si je
veux le petit couteau. Et je lui dis "oui Monsieur, je veux bien"
et il détache la petite chaîne d'or de sa ceinture et il
me tend le couteau et la chaîne. Et il me dit que c'est à
moi. Et je dis "pour quelques jours et vous pourrez les reprendre".
Et je tenais le couteau dans une main et la chaîne dans l'autre
et je les regardais. Et j'entends Monsieur Pichot dire "bon"
et j'entends Monsieur Morgan dire "c'est pas encore vendredi".
Et Monsieur Pichot dit "tu veux doubler le pari et ajouter ce trotteur.
Et Monsieur Morgan dit "c'est pas encore vendredi".
Le vieux Clarke, il est venu aussi pour essayer d'agir comme un être
humain. Mais je vois sur sa figure qu'il (n') est pas bon et je (ne) le
regarde pas quand il me demande si je vais bien et s'il peut m'apporter
quelque chose. "Non" et je continue à écrire dans
mon cahier. Et ça m'est égal s'il le voit quand je serai
mort et enterré.
Paul au contraire, il essaie de faire comme s'il (ne) voulait plus m'approcher
de trop près. Et tout le temps, il est le seul par ici à
savoir parler comme un être humain aux gens. Je te connais Paul
et je te connais Clarke et je vous connais aussi shérif Guidry
et Monsieur Pichot et Monsieur Morgan et tous les autres. Et j(e n)'ai
jamais dit ça avant mais je vous connais tous tant que vous êtes.
Seigneur ayez pitié, doux Jésus ! Monsieur Wiggins, d'où
ils sont venus tous ces gens ? Quand vous m'avez demandé si des
enfants pouvaient venir ici me parler je (ne) savais pas que vous vouliez
dire tous les enfants de l'école. Et ils étaient tous assis
par terre dans leurs habits tout propres et je voyais qu'il y en avait
qui avaient peur de moi mais la plupart étaient braves. Et ma petite
cousine Estelle, elle est même venue m'embrasser sur la joue et
j'ai pas pu me retenir.
Et puis après les enfants c'est les vieux
qui sont venus. Et on aurait dit que tous les gens des quartiers étaient
là: Miss Julia et Joe et Miss Harriet et Tante Agnès et
Monsieur Norman et Miss Sarah et Miss Lilia et Monsieur Harry et Miss
Léna et Dieu sait qui et Miss Félia avec son chapelet qui
prie. Et tous les gens disaient que j'avais bonne mine. Et Seigneur, ayez
pitié, doux Jésus, Monsieur Wiggins comment vous avez fait
pour faire venir Bok dans ce costume ? Ce costume qui a l'air deux fois
trop petit pour lui vu que je me rappelle que Miss Rita le lui a acheté
il y a dix ou onze ans. Et Bok qui bafouillait comme s'il me connaissait.
Et Miss Rita disait qu'il voulait dire qu'il était content de me
voir et (qu') il veut me donner une de ses agates. Et moi, je regardais
Bok et je secouais la tête. Et je secouais la tête
et j'arrêtais pas de dire "mon vieux Bok, mon vieux Bok, tu
veux me donner une de tes agates". Mais Bok voulait pas la lâcher.
Miss Rita a du lui dire plusieurs fois de la lâcher. Mais Bok voulait
toujours pas la lâcher et Miss Rita a du lui arracher de la main
et me la donner. Et Bok s'est mis à bafouiller, alors Miss Rita
a du me tendre la main pour que je la lui rende et elle l'a redonné
à Bok et Bok l'a remis(e) dans sa poche et s'est mis à la
remuer avec toutes les autres. Et Miss Rita a dit qu'elle était
sûre qu'il voulait me donner quelque chose: c'est pour ça
qu'il avait voulu venir et je lui ai dit que ça (ne) faisait rien,
j(e n)'avais besoin de rien. Mais elle a dit que Book (ne) pourrait pas
dormir s'il (ne) me donnait pas quelque chose et elle lui a dit de m'en
donner une autre s'il (ne) voulait pas me donner l'agate. Et Bok, les
yeux vides continuait à remuer les billes dans sa poche jusqu'à
ce qu'il trouve la plus petite. Et il me l'a donnée.
C'était la première fois que j'ai pleuré, quand ils
ont fermé la porte derrière moi, la toute première
fois et je suis resté assis sur mon lit à pleurer mais sans
les laisser voir ou entendre parce que je (ne) voulais pas qu'ils comprennent
de travers. Mais je pleurais à cause de Bok et de la bille qu'il
m'a donnée et à cause des gens qui sont venus me voir vu
qu'ils (n')avaient jamais fait une chose pareille pour moi avant.
Je (ne) veux pas dormir la nuit. Je fais juste de petits sommes dans la
journée quand il y a de la lumière parce que je (ne) veux
pas rêver de cette porte chaque fois que je ferme les yeux.
Quand ils m'ont amené dans le parloir et que j'ai vu Nanan à
la table, j'ai vu comme elle avait l'air vieille et fatiguée et
je lui ai dit que je l'aimais et je lui ai dit que j'étais fort
et elle avait l'air vieille et fatiguée. Elle m'a attiré
contre elle et c'était la première fois qu'elle le faisait.
Et c'était bon. Et je l'ai laissée me tenir longtemps parce
que vous avez dit que c'était bon pour elle. Et je lui ai dit que
j'étais fort et qu'elle (n')avait plus besoin de revenir parce
que j'étais fort. Et elle, elle était assise les yeux quasiment
fermés comme si elle avait envie de dormir mais elle me regardait
tout le temps. Et après, le révérend et Miss Lou
ont du l'aider à se lever et l'ont ramenée à la maison.
Monsieur Wiggins, quand j'ai vu votre bonne amie et les autres, j'ai vu
comme elle était jolie et je regrette la façon que j'ai
parlé ce jour que j'étais en colère après
vous. Et j'ai dit cette vilaine chose sur elle vu qu'elle est si jolie
et elle a un si joli sourire quand elle regarde les gens ! Et on voit
bien qu'elle (ne) se donne pas des airs, que chez elle, il y a de la qualité
et elle parle si gentiment aux gens. Et je voulais la regarder tout le
temps mais j'avais peur, vu qu'elle était si jolie et moi, je suis
laid. Et elle avait une jolie robe, avec de jolies fleurs et mes habits
(ne) sentent pas bon et j'avais pas pris de bain depuis samedi. Mais j'avais
quand même envie de la regarder. Et elle a dit qu'elle trouvait
que j'avais bonne mine, que j'avais l'air fort. Et quand elle a posé
la main sur mon épaule, je me suis mis à trembler et elle
s'est penchée tout près et elle m'a embrassé. Et
j'ai eu chaud et j'ai senti l'odeur de sa poudre et je me sentais bien
mais j'avais peur et chaud vu que c'est la première dame si jolie
qui m'embrasse et quand vous êtes partis, je suis allé à
la porte et je l'ai regardé si longtemps que j'ai pu et je sentais
l'odeur de sa poudre et sa bouche sur ma figure.
Je regrette si j'ai pleuré Monsieur Wiggins je regrette si j'ai
pleuré quand vous avez dit que vous (ne) revenez pas demain. Je
suis fort et le révérend Ambrose sera ici avec moi. Et Monsieur
Harry vient aussi et la raison que je pleure c'est que vous avez été
si bon pour moi, Monsieur Wiggins et personne (n')a jamais été
aussi bon, personne (ne) m'a jamais fait sentir que je suis quelqu'un.
Le shérif Guidry m'a demandé ce que je voulais pour mon
dîner et je lui ai dit que je veux que Nanan me fasse des okras
et du riz et des côtes de porc et du pain de maïs et du lait
caillé. Et il a dit qu'il allait voir ce qu'il pouvait faire et
qu'est ce que je voulais comme dessert et je lui ai dit "juste un
peu de glace dans un bol et une tarte"
Ils m'ont emmené et ils m'ont laissé sous la douche avec
un nouveau savon et ils m'ont donné une grande serviette propre
et ils m'ont ramené. Et j'ai mis des habits propres et je me suis
assis parce que mon dîner était là. Et j'ai tout mangé
et c'était le meilleur repas que ma Nanan m'a jamais fait.
Le soleil se couche et je sais que c'est le dernier que je vois se coucher.
Mais je vais voir encore un lever de soleil vu que je 'ne) vais pas dormir
de la nuit.
Je vais dormir longtemps après demain...
Le shérif Guidry est venu après mon dîner et il m'a
demandé comment ça va et j'ai dit: "je vais bien".
Et il m'a demandé
Il m'a dit "je n'ai jamais pris ton
cahier pour regarder dedans" et il m'a demandé ce qu'il y
avait dedans. Et il m'a demandé ce que j'avais écrit et
je lui ai répondu "oh des choses" et il a dit est-ce
qu'il (ne) m'a pas bien traité. et je lui ai dit "si Monsieur
!" et il a dit et ses adjoints est-ce qu'ils (ne) m'ont pas bien
traité ? Et je lui ai dit "si Monsieur" et il a dit est-ce
qu'il a pas laissé les gens me visiter quand ils voulaient ? Et
j'ai dit "si Monsieur" et il a dit "est ce qu'il (n')a
pas laissé les enfants et tous les gens des quartiers venir me
voir il y a deux jours ? Et j'ai dit "si Monsieur" et il a dit
"tu vas mettre tout ça dans ton cahier ?" Et j'ai dit
"Oui Monsieur". Et il a dit "Bon ! écris ça
dans ton cahier, que je t'ai bien traité tout le temps que tu as
été là" et il a dit qu'il devait rentrer qu'il
devait rentrer chez lui vu qu'il (n') avait pas soupé encore mais
que j'appelle un adjoint si j'avais besoin de quelque chose. Et il m'a
demandé si je voulais que la lumière, elle reste allumée
toute la nuit au cas que je voulais écrire encore et je lui ai
dit " Oui Monsieur" et il a dit d'accord, je pouvais avoir toute
la lumière que je voulais.
Ma lumière est allumée mais et y a pas de lumière
ailleurs et y a pas de bruit mais personne dort.
Y a une lune dehors et je vois les feuilles sur l'arbre mais je vais plus
voir les feuilles après demain.
Je (ne) sais pas s'ils ont un paradis que Samson disait "c'est pas
possible" et Boo disait qu'y en (n')a pas pour les nègres,
mais , Révérend Ambrose, il dit qu'y en a un pour tous les
hommes et Bok il dit qu'il sait pas.
Je tremble, je tremble mais je vais rester fort.
J'avais pas besoin d'aller là-bas avec Brother et Bear parce que
c'était des vauriens et je vais les revoir bientôt.
C'est tranquille,
tranquille et j'entends mes dents claquer et mon cur cogner.
Quand j'étais
petit, j'étais le porteur d'eau et je menais la charrette mais
là, tantôt, faut que je sois un homme et que je m'assois
sur la chaise.
Je sais
pas si vous pourrez lire ça, Monsieur Wiggins, ma main tremble
et j'entends mon cur.
J'entends
Randy mais j'écoute plus, vu qu'il est pour les vivants et pas
pour moi.
Il est tard
et je sais pas quelle heure il est mais je sais qu'il est tard et je viens
d'aller au cabinet et de me laver la figure.
Il commence
à faire jour.
Le soleil
se lève.
L'oiseau
qui chante dans l'arbre, on dirait un dobleu.
Le ciel
est bleu, bleu, Monsieur Wiggins.
Adieu, Monsieur
Wiggins, dites leur que je suis fort, dites leur que je suis un homme.
Adieu, Monsieur Wiggins, je vais demander à Paul s'il peut vous
apporter mon cahier.
Le
journal de Jefferson réécrit par Jacqueline
Dites-leur
que je suis un homme
éd. Liana Levi, coll. "Piccolo", 2019
p. 265 à 274
Voix
au chapitre a programmé Ernest J. Gaines en novembre 2020
http://www.voixauchapitre.com/archives/2020/gaines.htm
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