Le jansénisme dans Tous les matins du monde
 

 

 

Rappel sur le jansénisme
Le jansénisme dans le livre
Les personnages jansénistes
Dans le film

  Le jansénisme
 

Le jansénisme est un mouvement religieux, puis politique qui se développe au XVIIe et XVIIIe siècle, principalement sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV.

Il doit son nom à l'évêque d'Ypres, Cornelius Jansen, auteur du texte fondateur Augustinus en 1640.

C'est d'abord une réflexion théologique centrée sur le problème de la grâce divine : pour Jansen, la grâce de Dieu, qui est nécessaire au salut de l'âme humaine, est accordée ou refusée par avance, sans que les actions du croyant puissent changer le sort de l'âme.

Le jansénisme devient aussi une force politique qui concerne la théologie morale, l'organisation de l'Église catholique, la place du clergé dans la société et les problèmes politiques de son temps.

Le fief des jansénistes se trouve dans la vallée de la Bièvre, à Port-Royal des Champs. C'est une abbaye qui reçoit des novices versés dans la culture janséniste, adeptes des cinq propositions de Cornelius Jansen dans son Augustinus. Ce monastère isolé contraste avec celui de Port-Royal-de-Paris, beaucoup plus fréquenté et représentatif de l'Eglise catholique.

Les idées jansénistes sont combattues par les Jésuites, qui ont fait le serment d'obéissance absolue au pape. Les Jésuites sont particulièrement bien implantés dans l'entourage de Louis XIV. De plus la création des petites écoles par les jansénistes (dont Racine fut l'élève) concurrence les collèges dirigés par les Jésuites.
Le jansénisme fut condamné par l'Église catholique romaine en 1653 et persécuté par Louis XIV.

À partir de 1657, Blaise Pascal, publie clandestinement, sous un pseudonyme, les Lettres provinciales où il attaque les idées et la morale des Jésuites qu'il juge trop indulgentes pour les hommes qui fautent. Le livre est condamné par la Sorbonne (faculté de théologie) et brûlé en place publique en 1660.

   
  Le jansénisme dans le livre
 

Le jansénisme est également évoqué à trois reprises :
- P. 76 : "Les Messieurs de Port-Royal étaient en fuite. Ceux-ci avaient eu le projet d'acheter une île en Amérique et de s'y établi comme les Puritains persécutés l'avaient fait. Monsieur de Sainte Colombe avait conservé des liens d'amitié avec Monsieur de Bures."
- P. 89 : "L'année où on ouvrit les charniers de Port-Royal Ll'année où le roi exigea par écrit qu'on rasât les murs, qu'on exhumât les corps de Messieurs Hamon et Racine et qu'on les donna aux chiens)"
- P. 90 :
"C'était lors de la grande persécution de juin 1679".

   
  Les personnages jansénistes du livre
 

Un des premiers personnages jansénistes est M. De Bures, qui est un précepteur de Port-Royal venu pour enseigner les lettres, les chiffres, l'écriture sainte, et les rudiments du latin à Toinette et Madeleine. Il habite rue Saint-Dominique d'Enfer, à Port-Royal, et a été recommandé par Mme de Pont-Carré à Sainte Colombe. On peut donc remarquer que les filles Sainte Colombe baignent dès leur plus jeune âge dans un univers janséniste.

Sainte Colombe a gardé contact avec deux habitants de Port-Royal, dont Claude Lancelot avec lequel il fait ses études. L'autre est Mme de Pont-Carré.

Claude Lancelot est un des créateurs des Petites écoles de Port-Royal à partir de mai 1638. Il est chargé de l'éducation du duc de Chevreuse et des princes de Conti. C'est un théoricien de la rénovation de l'enseignement introduite par les Petites-Écoles. Il a écrit la Grammaire de Port-Royal. C'est l'un des premiers maîtres de Port-Royal, il est au centre du dispositif éducatif, donnant un enseignement basé sur le respect de l'enfant.

Madame de Pont-Carré est une femme de la société de Port-Royal qui organise des réceptions où les penseurs jansénistes se réunissent. Elle est considérée comme une femme influente parce qu'elle est mariée à Nicolas Camus de Pont-Carré qui est conseiller auprès du Parlement et Maître des requêtes.


Madame de Sainte Colombe qui n'est qu'une apparition a un fort lien avec le jansénisme, puisque sur les quatre fois où elle apparaît, deux ont un lien avec le jansénisme :
- Chapitre XV : elle apparaît après qu'il a joué l'office des ténèbres dans la chapelle de Madame de Pont-Carré après la mort d'un janséniste, elle apparaît ici comme une image de guide ; ils rentrent en carrosse, elle lui rappelle la place que le silence prenait dans leur amour, elle apparaît comme une femme nourricière avec l'image des pêches, p. 78.
- Chapitre XX : au moment de la Grande Persécution des jansénistes ; elle observe les mains de Sainte Colombe et l'encourage à jouer, p. 91.

Monsieur de Sainte Colombe a toutes les apparences jansénistes, par son renoncement au monde, son retrait de la vie sociale et de tout le caractère artificiel de la Cour. Il ne veut pas avoir à faire à tout ce qui touche à l'avoir et au pouvoir : p. 30 chapitre V "votre palais est plus petit qu'une cabane et votre public est moins qu'une personne" ; p 29, "je préfère la lumière du couchant sur mes mains à l'or qu'elle me propose. Je préfère mes vêtements de drap à vos perruques in-folio. Je préfère mes poules aux violons du roi et mes porcs à vous-mêmes".
Il revendique son retrait comme un retour à l'essentiel : p. 25, chapitre IV, "il avait la charge de deux filles ce qui l'obligeait à demeurer dans une façon de vivre plus privée qu'un autre homme; qu'il ressentait du dégoût pour le monde".
Pour lui, la richesse est dans un rapport étroit à la nature. Il ne parle jamais pour ne rien dire : p 17, chapitre 2 "il s'excusa une autre fois auprès d'elles de ce qu'il ne s'entendait guère à parler et rire ; que pour ce qui le concernait il n'avait guère de langage et qu'il ne prenait pas de plaisir dans la compagnie des gens, ni dans celle des livres et des discours". Sainte Colombe apparaît comme un homme qui sait que l'essentiel est dans le dépouillement et dans la vie intérieure.
Son habit est typiquement janséniste, puisqu'il porte des habits de draps sombres et la fraise caractéristique d'un homme rejetant la superficialité de la mode et versé dans la pratique janséniste, chapitre V, p 29 : "Il est donc temps pour vous de brûler vos vêtements de drap, d'accepter ses bienfaits, de vous faire faire une perruque à grappes. Votre fraise est passée de mode.".
Sainte Colombe, "deux ans après la mort de sa femme, vendit son cheval" p. 11, cela montre qu'il ne veut plus se rendre à Paris, mais se focaliser sur la musique. Il considère qu'il vit une vie passionnée p.74.

Mais à aucun moment on ne le voit prier, ce qui amène à s'interroger sur la réelle nature de Sainte Colombe, qui parfois cède même à la colère, ce qui n'est pas en accord avec la doctrine janséniste.
Les détails qui peuvent montrer qu'il est versé dans la religion se trouvent p. 76, chapitre XV lorsqu'il joue à l'office des Ténèbres, et p. 74 chapitre XIV lorsqu'il dit "je hèle avec ma main une chose invisible."
De même le tableau qu'il ordonne à Baugin rappelle l'eucharistie par la présence du vin et des gaufrettes.

Pour conclure, Pascal Quignard met M. de Sainte Colombe dans un univers apparemment janséniste, sans jamais que l'on soit sûr qu'il le soit lui-même.

   
  Le jansénisme dans le film
 

Les décors et les costumes des personnages aident le spectateur à se faire une image du monde janséniste et de sa manière de vivre.
En effet Sainte Colombe vit dans l'austérité la plus totale, comme le montre le cadre de son manoir, vide et sombre et de sa cabane - sa "vorde" - qui est faite des matériaux les plus simples.

Les décors
L'intérieur de sa demeure est aménagé très sommairement : des chaises simples en bois, un bureau, mais aucun élément pour rendre l'habitat plus confortable et plus agréable à vivre. Cela cadre bien avec l'esprit janséniste qui préconise l'austérité dans sa façon d'être.

La façade du château est totalement négligée, ainsi que la pelouse qui arrive jusqu'aux cuisses de Sainte Colombe. On aperçoit des mauvaises herbes et un toit en mauvais état, signe de négligence, ou de déni volontaire (11e minute).

La vorde est perdue au fond de son jardin, entourée d'arbres et de plantations peu entretenues, la vorde elle-même n'étant que faite de planches de bois et de paille. Elle est meublée de façon très simple et sans confort : deux chaises et une table en bois, qui viennent de sa demeure.
Cette vorde cadre donc bien avec l'état d'esprit janséniste du XVIIe siècle, qui prône un rejet de tout ce qui est superflu et qui encourage à se comporter de façon exemplaire, pour espérer peut-être gagner sa place au paradis, en opposition avec les libertins, qui eux parient, jouent et vivent de façon luxueuse.

Les costumes
Sainte Colombe reste fidèle à l'habit janséniste noir avec une fraise blanche, ce qui renforce le caractère d'austérité qui se dégage du personnage.

M. de Bures est habillé de la même façon que M. de Sainte Colombe, avec un habit noir et une fraise. Nous savons que M. De Bures est un habitant de Port-Royal de Paris, et donc un janséniste.

Madeleine a elle aussi des caractéristiques jansénistes dans ses costumes puisqu'elle ne porte que des couleurs ternes, sombres, ce qui, en un sens, la fait ressembler à son père, en opposition à Toinette, qui porte toujours des toilettes colorées (rouge-orange) minute 21.

D'après wepedaggogique : ici et


Voix au chapitre a programmé Tous les matins du monde en novembre 2020
http://www.voixauchapitre.com/archives/2020/quignard.htm