INTRODUCTION |
PRÉFACE dans l'édition anglaise de 2014 Wole
Soyila est un écrivain
|
||
Sea
Never Dry, Brief,
thronged, grisly and bewitching... Nothing is too prodigious or too trivial
to put down in this tall, devilish story. Dylan Thomas |
Mer
jamais à sec, Bref, bondé, macabre et envoûtant... Rien n'est trop prodigieux ou trop trivial pour être placé dans cette grande histoire diabolique. Dylan Thomas |
||
Dylan Thomas got it right, instantly. Yet, in his own home base, Amos Tutuola's first published novel was given short shrift. The general institutional attitude ranged between outright dismissal and condescension, though such hostile reception was not quite as uniform as some of the expatriate community (mostly British, and mostly academic) tried to suggest. There was however a lot of head-scratching among Tutuola's own countrymen and women - was this literature? Or simply an extended folk tale in search of syntax. A piece of exotica that could not even spell its own title correctly could not be called literature; the British were trying to dumb down literacy to accommodate their 'uneducated' colonials. Dylan Thomas's excitement proved infectious, however. and it did not take too long for Tutuola's The Palm-Wine Drinkard to fall into what is sometimes referred to as 'cult art' - which generally translates as: creating its own genre, setting its own rules, and enthralling its expanding coterie. | Dylan Thomas a tout compris, instantanément. Pourtant, dans son propre pays, on a fait peu de cas du premier roman publié d'Amos Tutuola. L'attitude générale de l'institution s'est située entre le rejet pur et simple et la condescendance, même si un tel accueil hostile n'a pas été pas aussi uniforme que certains membres de la communauté d'expatriés (principalement britanniques et principalement universitaires) ont tenté de le suggérer. Il y a eu cependant beaucoup de questionnements parmi les propres compatriotes de Tutuola - était-ce de la littérature ? Ou simplement un conte folklorique élargi en quête de syntaxe. Un morceau teinté d'exotisme qui ne pouvait même pas formuler correctement son propre titre ne pouvait pas être appelé littérature ; les Britanniques essayaient de niveler par le bas le niveau d'alphabétisation pour l'adapter à celui de leurs coloniaux "sans instruction". L'excitation de Dylan Thomas s'est toutefois révélée contagieuse et il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que The Palm-Wine Drinkard de Tutuola tombe dans ce que l'on appelle parfois "oeuvre culte" - se consistant généralement à créer son propre genre, établir ses propres règles et passionner sa coterie en pleine expansion. | ||
What
an imaginative rupture of spelling, to have turned a negative association
into a thing of acceptance, if not exactly approval. Not 'drunkard' but
- 'drinkard'. Difficult to damn "drinkinness' with the same moralistic
fervour as drunkenness. The social opprobrium attached to the grammar-strict
word is dissipated and the anti-hero is accepted as a first-rate raconteur.
The title then sets the pattern for a narrative of weird encounters. Tutuola
was not shut off from the 'correct' usage of the English language; he simply
chose to invent his own tongue, festooned with uproarious images, tuming
it into a logical vehicle of the colonial neither-nor (or all-corner) environment.
This was a polyglot proletariat - market traders, motor park touts, farmers,
office clerks and factory workers, pentecostal Christians and proselytising
Muslims, traditional orisa worshippers and all. Their urbanised existence
included routine forays into their villages, especially in festive season.
Tutuola intuitively realised that the more common 'broken English', or patois,
would not suffice to capture the sounds of such a community - a world that
was too realistic to be liminal, too paranormal to be realistic, each segment
intersecting with others according to its own laws - to impose a congruous
existence on the imagination. Is it any surprise that it was a Welsh poet
who felt so completely at home in Tutuola's world? It could also have been
the Irish or to a lesser extent the Scots - any one of those who have not
completely severed their umbilical cords from the earth of magic, fantasy,
trolls, gnomes and goblins. Witches'covens still flourish in the British
landscape, and the pits and bogs are infested with beings that are not listed
in the Domesday Book. |
Quelle
rupture imaginative dans la formulation [du titre anglais Le buveur de
vin de palme] que de transformer une association négative en
une chose acceptée sinon approuvée. Non "ivrogne"
mais "buveur". Difficile de dénoncer la "boisson"
avec la même ferveur moralisatrice que l'ivresse. L'opprobre social
attaché au mot au sens strict est dissipé et l'anti-héros
est accepté comme un conteur de premier ordre. Le titre donne alors
le ton pour un récit de rencontres étranges. Tutuola n'avait
pas abandonné l'usage "correct" de la langue anglaise ;
il a simplement choisi d'inventer sa propre langue, festonnée d'images
fracassantes, la transformant en un véhicule logique de l'environnement
colonial complètement négatif. Il s'agissait d'un prolétariat
polyglotte - commerçants du marché, rabatteurs de parkings
automobiles, agriculteurs, employés de bureau et ouvriers d'usine,
chrétiens pentecôtistes et musulmans prosélytes, fidèles
traditionnels de l'orisa, etc. Leur existence citadine comprenait
des incursions de routine dans leurs villages, en particulier pendant la
saison des fêtes. Tutuola s'est rendu compte intuitivement que l"anglais
cassé", ou patois, plus courant, ne suffirait pas à capter
les sons d'une telle communauté - un monde trop réaliste pour
être liminal, trop paranormal pour être réaliste, chaque
élément s'entrecroisant avec les autres selon ses propres
lois - pour imposer une existence congruente à l'imaginaire. Est-il
surprenant que ce soit un poète gallois qui se soit senti si complètement
chez lui dans le monde de Tutuola ? Cela aurait également pu
le fait d'Irlandais ou, dans une moindre mesure, d'Écossais - n'importe
lequel de ceux qui n'ont pas complètement coupé leur cordon
ombilical qui les lie à la terre de la magie, de la fantaisie, des
trolls, des gnomes et des gobelins. Les réunions de sorcières
s'épanouissent toujours dans le paysage britannique, et les fosses
et les tourbières sont infestées d'êtres qui ne figurent
pas dans l'inventaire du Domesday
Book. |
||
There
lies the difference however: the Yoruba metaphysical world shies away from
rigid compartmentalisation. The world of the living flows into the ancestral
domain and into the fragile world of the Unbom. Tutuola's compatriot, D.
O. Fagunwa was the first to co-opt this sensibility into contemporary literature
- The Forest
of a Thousand Daemons
(my translation, 1968) - with a slew of variations on the universal
theme of the quest. While Fagunwa's approach - and language - is dense,
dark and moralistic, Amos Tutuola's quest is mock heroic and irreverent.
In all the literature of the quest motif, what imagination until Tutuola's
ever located the holy grail in a gourd of palm wine? |
Là réside cependant la différence : le monde métaphysique yoruba évite le cloisonnement rigide. Le monde des vivants coule dans le domaine ancestral et dans le monde fragile de l'Unbom. Le compatriote de Tutuola, D. O. Fagunwa, fut le premier à coopter cette sensibilité dans la littérature contemporaine - La Forêt aux mille démons (ma traduction, 1968) - avec une foule de variations sur le thème universel de la quête. Alors que l'approche - et le langage - de Fagunwa sont denses, sombres et moralistes, la quête d'Amos Tutuola est faussement héroïque et irrévérencieuse. Dans toute la littérature du motif de la quête, quelle imagination jusqu'à Tutuola a jamais situé le Saint-Graal dans une gourde de vin de palme ? | ||
If television is today the plaything of their offspring, it can only be that, to the dead, 'transponding' was routine eternities before their now conceited children began to marvel at holograms. The logic is inescapable, certainly for the Yoruba, for whom the concept of tune is not linear. Those who were weaned on D. O. Fagunwa would slip easily into Tutuola's excursions in a fragmented territory of timelessness. | Si la télévision est aujourd'hui le jouet de leur progéniture, il se peut que, pour les morts, se transporter dans l'espace ait fait partie de routines éternelles avant que leurs enfants désormais vaniteux ne commencent à s'émerveiller devant les hologrammes. La logique est incontournable, certainement pour les Yoruba, pour qui la notion de temps n'est pas linéaire. Ceux qui ont apprécié D. O. Fagunwa se glisseraient facilement dans les excursions de Tutuola dans un territoire fragmenté d'intemporalité. | ||
Gradually, The Palm-Wine Drinkard caught on - and this, long before Rowling invented Harry Potter! What was once a textual curio became staple literary material. Identical (or allied) literary sensibilities do emerge from different - and widely separated - milieu, independently of one another, and it is invidious to attempt to assert precedence just because one work emerged from the printing press before another. Nonetheless, if we must establish Tutuola's place in the literary forum, it is pertinent to observe that he was forerunner of Gabriel Garcia Marquez, Ben Okri, Shahmush Parsipur and others in the narrative style conveniently known as magical realism. | Petit à petit, The Palm-Wine Drinkard s'est imposé - et ce, bien avant que Rowling n'invente Harry Potter ! Ce qui était autrefois une curiosité textuelle est devenu un matériau littéraire de base. Des sensibilités littéraires identiques (ou apparentées) émergent de milieux différents - et largement distincts -, indépendamment les unes des autres, et il est délicat de tenter d'affirmer une préséance simplement parce qu'une uvre est sortie de l'imprimerie avant une autre. Néanmoins, si nous devons établir la place de Tutuola dans le monde littéraire, il est pertinent d'observer qu'il a été le précurseur de Gabriel Garcia Marquez, Ben Okri, Shahmush Parsipur et d'autres dans le style narratif connu sous le nom de réalisme magique. | ||
Both within his immediate cultural environment, and across America and Europe, Amos Tutuola has been enjoying a quiet but steady revival. There is at least one film project in the works, based on Kola Ogunmola's stage adaptation of The Palm-Wine Drinkard, Omuti Apa Kini (1963). The act of renewal continues. Who can conceive of the sea drying up? As long as there is a drop of wine left to tap from the West African palm tree, Amos Tutuola lives on. |
Tant dans son environnement culturel immédiat qu'à travers l'Amérique et l'Europe, Amos Tutuola connaît un renouveau calme mais régulier. Il y a au moins un projet de film en préparation, basé sur l'adaptation théâtrale de Kola Ogunmola de The Palm-Wine Drinkard, Omuti Apa Kini (1963). Le renouvellement continue. Qui peut concevoir que la mer s'assèche ? Tant qu'il reste une goutte de vin à tirer du palmier d'Afrique de l'Ouest, Amos Tutuola continue à vivre. |
||
Wole
Soyinka
New York 2014 |
Wole
Soyinka |
||
Retour à la page sur L'Ivrogne dans la brousse d'Amos Tutuola http://www.voixauchapitre.com/archives/2021/s_tutuola.htm |