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Maurice
Edgar Coindreau
La mort de Maurice Edgar Coindreau,
découvreur et traducteur des grands écrivains américains
de lentre-deux-guerres
Par Michel Gresset, Le
Monde, 24 octobre 1990
Maurice
Edgar Coindreau est mort samedi 20 octobre, à lâge
de quatre-vingt-dix-huit ans : il était né en 1892 à
La Roche-sur-Yon, où il sera enterré. Ainsi en avait-il
décidé à son retour des Etats-Unis, en 1966.
Pour
les américanistes de ma génération, il arrivait précédé
de la cohorte des grands écrivains américains quil
avait découverts. On connaît le mot de Sartre : « La
littérature américaine, cest la littérature
Coindreau. » Cest en vain, en effet, quon
chercherait un grand nom des lettres américaines de lentre-deux-guerres
quil na pas traduit toujours le premier. En revanche,
il na jamais traduit de poèmes, de même quil
na pas entrepris la traduction duvres britanniques.
« Que voulez-vous, disait-il avec une honnêteté
un rien provocante, je ne connais pas le pays ! »
Pour lui, traduire nétait pas seulement une activité
intellectuelle ou même un choix de sensibilité : il
cherchait toujours à rencontrer ses auteurs après quil
les eut traduits une première fois. Cest ainsi quen 1937,
ayant traduit Tandis que jagonise, il fut reçu quelques
jours, à Beverley Hills, par William Faulkner ; ensemble,
ils se penchèrent sur les problèmes que posait la traduction
du Bruit et la fureur. « Je ne lai jamais vu rire »,
confiait-il trente ans plus tard, encore impressionné par le fait
quune seule fois Faulkner lui avait avoué quil ne savait
plus très bien ce quil avait voulu dire dans tel passage.
Il était parti sinstaller à Princeton en 1923.
Là, pendant trente ans, lui qui était agrégé
despagnol enseigna la langue et la littérature françaises
surtout Rabelais, son auteur préféré, mais
aussi les contemporains quil connaissait personnellement :
Eugène Dabit, Jules Romains, Jacque de Lacretelle, André
Maurois. Ses meilleurs amis, surtout pendant la guerre, il les connut
pourtant dans le monde musical : Debussy et Ravel étaient
ses dieux, et il fréquentait Darius Milhaud, Robert et Gaby Casadesus,
Zino Francescatti
A Gaston Gallimard il apporta, bon an mal an, le premier, puis le deuxième
roman (rarement plus, sauf dans le cas de Faulkner) de tous ceux quil
découvrit outre-Atlantique : Dos Passos, Hemingway, Faulkner,
Steinbeck, Caldwell (les cinq « grands » de ce que
Claude-Edmonde Magny devait appeler, en 1948, lAge du roman
américain), puis William Goyen (dont sa traduction de la
Maison dhaleine lui valut le prix Halpérine Kaminski),
William Styron, Flannery OConnor, Reynolds Price, Shelby Foote,
Fred Chappell, etc.
Maurice Edgar Coindreau avait également été le découvreur
et le traducteur de nombreux auteurs espagnols : Valle Inclan, dès
1927, Juan Goytisolo, Miguel Delibes, Elena Quiroga, Ana Maria Matute
et Juan Marsé.
Il navait pas de « théorie » de la
traduction, mais une éthique, celle de lhomme cultivé
(cétait un lecteur assidu) et cultivant le mot juste (lomission
était sa hantise) ; et, plus encore, une esthétique,
dans laquelle la musique jouait un grand rôle. « Pourquoi
ai-je traduit As I Lay Dying par un présent ?
Parce que Tandis que jagonisais, ça sonne mal. »
Son secret, cétaient ses racines. Quand on lui demandait
comment il avait pu traduire le « black english »
quest censée parler Dilsey, la gouvernante noire du Bruit
et la fureur, il répondait quil avait simplement tenté
de se souvenir comment parlait sa gouvernante vendéenne à
la fin du siècle dernier. On retiendra ce paradoxe : ce Parisien
cosmopolite à la vie transatlantique, ce pionnier du roman américain
du XXe siècle, était un provincial enraciné
dans le XIXe.
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