Frédéric
Beigbeder: « Petite-fille, grand livre » CHRONIQUE - La Petite-fille de Bernhard Schlink est le grand roman de la réunification allemande. Il y a eu beaucoup de romans sur le Brexit (ceux de Jonathan Coe et Nick Hornby, notamment) mais on attendait le roman de la réunification allemande. Günter Grass avait essayé avec Dune Allemagne à lautre en 1990 mais sans le recul temporel que nous avons désormais. Cest le temps qui amplifie lémotion. Les Allemands furent séparés durant quatre décennies. Depuis 1989, ils ont dû faire semblant dappartenir au même pays. Voici enfin le roman capable de narrer cette histoire folle : La Petite-fille de Bernhard Schlink dose idéalement la tristesse et la tendresse. Le grand romancier allemand y reprend la trame de son plus grand succès : Le Liseur (1995). On se souvient de cette histoire damour entre un adolescent et une gardienne de camp de concentration. Ici, Kaspar, le grand-père, un libraire tout ce quil y a de plus progressiste, craque pour sa petite-fille néonazie. Vertigineux Il va tout faire pour retrouver Svenja et Sigrun. Les retrouvailles seront décevantes et déchirantes à souhait de distance, dempathie, de chagrin, de fascination. La petite rouquine est complo-tiste, facho, susceptible, et le mari de sa grand-mère tente de la convaincre des bienfaits de la liberté sans la braquer : « Ai-je trop parlé ? ». Imaginez un gentil bobo qui saperçoit que la descendance de sa femme est composée de militants dextrême droite détestant tout ce quil représente. Cest vertigineux. Bernhard Schlink est un prof de droit sinistre et sérieux, fils de pasteur protestant. Quand soudain il fend larmure, on est cueilli. Il me rappelle certains profs que jai eus, qui étaient autoritaires et emmerdants, mais qui provoquaient lhilarité des élèves les rares jours où ils se décoinçaient. Cest cela, le style Schlink. Une phrase résume tout le livre: « Il aurait voulu pleurer. » Le sublime, cest quon chiale à sa place. Il nous délègue ses larmes. |
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