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De
la Terre à la Terre Littérature :
Martin Amis, an englishman in New York
Installé outre-Atlantique depuis 2012, l'écrivain
n'a pas largué les amarres avec son pays natal et avec sa ville
de Londres, personnage à part entière de ses livres. Il
confie son amour et sa nostalgie d'une Angleterre qui se fourvoie dans
le Brexit.
Par Josyane
Savigneau, Les
Echos, 25 octobre 2019
Ce n'est plus à Londres qu'il faut aller pour rencontrer Martin
Amis, mais à New York. En 2012 il s'est installé à
Brooklyn, dans une maison qu'il a quittée après un incendie.
Il habite toujours Brooklyn, mais un bel appartement avec terrasse et
une vue splendide sur la statue de la Liberté et l'océan.
Son départ de Londres a suscité rumeurs et spéculations
- à son sujet, la presse britannique en est toujours friande. On
a dit qu'il s'exilait parce qu'il en avait assez de sa réputation
d'enfant terrible des lettres britanniques et de tout un tas de polémiques
depuis le milieu des années 1990.
On l'a beaucoup
critiqué quand il a rompu avec son agent, Patricia Kavanagh, pour
rejoindre le prestigieux Américain Andrew Wylie, qui lui aurait
obtenu un à-valoir de 500 000 livres pour son roman L'Information,
Patricia Kavanagh était la femme de son ami Julian Barnes et ils
se sont alors brouillés. Amis avait déjà un agent
américain, un dentiste américain très chic - pour
résoudre ses problèmes dentaires qui avaient fait la une
de certains journaux - et une femme américaine, Isabel Fonseca
- auteure notamment d'un passionnant essai sur les tsiganes, Enterrez-moi
debout. Il allait donc devenir américain lui-même.
D'autant que paraissait, précisément en 2012,
Lionel
Asbo, l'état de l'Angleterre,
un roman jugé anti-anglais. « Ce doit être dur pour
Martin Amis de ne jamais savoir s'il est un trésor national ou
un embarras national », écrivait alors un critique du
Guardian.
«
Je n'avais plus aucun pays »
Martin Amis a toujours démenti ces versions de son départ
d'Angleterre, et il continue : « Tout cela est absurde.
Quand ma mère est morte, à 82 ans, nous avons réalisé,
Isabel et moi, que sa mère, qui avait aussi 82 ans, vivait à
New York, et qu'il serait bon de se rapprocher d'elle. J'espérais
aussi retrouver mon ami Christopher Hitchens, qui avait non seulement
déménagé aux Etats-Unis mais pris la nationalité
américaine. Nous n'avons eu que très peu de temps ensemble
car il était très malade et je n'ai pu passer que ses derniers
moments avec lui, à l'hôpital de Houston au Texas, où
il est mort en décembre 2011. »
À
le lire, on sait que Martin Amis, sans doute le meilleur styliste actuel
en langue anglaise, est totalement britannique. Et il suffit de passer
une heure avec lui pour comprendre qu'il est, comme l'était son
père, le romancier Kingsley Amis, hyperboliquement britannique.
Il a la retenue, la distance, l'humour « so british ».
Il n'a pas
la nationalité américaine, ne veut pas l'avoir et s'est
rendu à Londres en 2016 pour voter contre le Brexit. «
Le lendemain, Isabel m'a réveillé pour me dire qu'on avait
perdu. Puis nous sommes rentrés à New York et il a y eu
l'élection de Trump. Et le sentiment que je n'avais plus aucun
pays. Maintenant, nous avons Boris Johnson. Non seulement il ressemble
à Trump, mais c'est un homme malhonnête. Il n'est certes
pas aussi vénal que Trump qui ne pense qu'à l'argent. Il
est éduqué, cultivé, et faux. »
Un amoureux
de l'Europe
Dans l'oeuvre de Martin Amis, Londres est un personnage à part
entière. « Bien sûr, ma relation à Londres
apparaît dans mes livres. Parfois de manière conflictuelle.
» En particulier dans « la trilogie londonienne »
qui rassemble Money,
London
Fields, - « C'est
une lointaine banlieue » - et L'Information.
Ce dernier volet est un roman très sarcastique sur le milieu littéraire
londonien et la rivalité entre deux écrivains, l'un ayant
du succès avec ses romans populaires, l'autre se prenant pour un
génie méconnu.
À
Londres, Amis a longtemps possédé une maison dans un quartier
habité par beaucoup d'écrivains, « pas très
loin du zoo ». « J'aimais beaucoup ce lieu. Ensuite,
j'ai eu un appartement dans l'ouest. N'y habitant plus, je le louais,
mais j'ai cessé, je l'ai repris pour pouvoir retourner plus souvent
à Londres où je me sens bien. Je ne sais pas si c'est l'Angleterre
que j'aime, mais j'aime les Anglais, leur manière d'être,
leur conversation, leur tolérance. Et le fait que ce soit un peuple
dépourvu d'amertume. »
Il ne voudrait
pas pour autant que ses propos le fassent passer pour anti-Américains,
dont il apprécie « un certain sens de l'hospitalité
». « Mais l'Amérique n'est pas un pays, c'est un
monde. On ne peut pas aimer un monde. » Plus encore que l'Angleterre,
c'est l'Europe qui le séduit, « ce lieu où il suffit
de prendre un train pour se retrouver en quelques heures dans une autre
région, avec un autre paysage ». Cependant, le pays qu'il
préfère à tout « c'est l'Uruguay, dont est
originaire la famille d'Isabel. Nous avons une maison là-bas, mais
c'est loin, on ne peut y aller en week-end ».
Le Brexit,
« un désastre »
Pour Martin Amis, il est évident que le Brexit va aggraver le déclin
de l'Angleterre. Le pays va s'appauvrir, le système de santé
va se dégrader. « Tous ceux qui, comme Nigel Farage, ont
dit le contraire, sont des menteurs. »« Toutefois,
l'Angleterre a toujours été assez bonne dans la gestion
du déclin
que je fais remonter à 1944, quand Roosevelt
et Staline ont cessé d'écouter Churchill. Pour eux, ce qu'il
disait ne comptait plus, il n'avait plus le pouvoir. Et ça a continué
jusqu'en 2016, avec ce Brexit sonnant comme un rappel de l'exception britannique,
une exhibition de cette exception. Les Britanniques ont choisi de se déporter
eux-mêmes du continent »
Est-il pour
autant de ceux qui voient dans un nouveau référendum la
solution du problème ? « Je ne poserais pas les choses
ainsi. J'aimerais qu'il y ait un second référendum, mais
j'ai des doutes sur le résultat. C'est une attitude très
britannique de dire : comme on fait son lit on se couche. On a fait le
lit, il faut y rester. Donc le vote serait probablement le même
qu'en 2016, bien que ce soit un désastre. »
Il a passé
l'été à Londres et s'est senti un peu accablé
par l'intense couverture médiatique de « cette idiotie
bureaucratique qu'est le Brexit ». Aussi était-il assez
content de retrouver son appartement new-yorkais. « Déménager
est bon pour stimuler la créativité, pour retrouver son
énergie, pour que les gestes quotidiens apparaissent sous un autre
jour, donc je suis heureux ici. Mais je dois bien avouer que l'Europe
me manque. Que les Anglais me manquent. »
L'écrivain
en dix dates
1949 : Naissance au Pays de Galles.
1973 : Publication de son premier roman, The Rachel Papers (Le
Dossier Rachel).
1984 : Parution de Money (
Money,
Money).
1989 : London Fields (London
Fields)
1995 : The Information (L'Information).
Ces romans forment la trilogie londonienne.
2000 : Expérience (Expérience)
2003 : Yellow Dog (Chien
Jaune).
Après la publication de ce roman, Martin Amis passe deux ans en
Uruguay, avant de revenir à Londres.
2008 : Désigné par le Times comme l'un des romanciers britanniques
les plus importants depuis 1945.
2012 : Lionel Asbo : State of England (Lionel
Asbo, l'état de l'Angleterre).
Martin Amis part vivre à New York.
2014 :The Zone of Interest (La
Zone d'intérêt).
Refusé par Gallimard, son éditeur depuis 1995, il est publié
par Calmann-Lévy. La quasi-totalité des livres de Martin
Amis est disponible en éditions de poche.
Expérience,
le livre clé
Inside
story,
le livre que Martin Amis a livré à son éditeur début
octobre après six ans de travail, est « très autobiographique.
On y trouve notamment la figure de mon grand ami Christopher Hitchens,
mais contrairement à 'Expérience', c'est un roman. »
Publié en 2000, Expérience
est un livre passionnant, l'un des plus étonnants de Martin Amis.
Ce n'est pas de la fiction, mais Amis se dit troublé par la qualification
qu'on lui applique généralement : autobiographie. «
J'ai toujours le sentiment qu'une autobiographie est chronologique,
close. Le temps du bilan n'était pas encore venu pour moi quand
j'ai écrit ce texte. Je préfère le mot de Mémoires,
récit de souvenirs entre plusieurs générations, celle
de mon père, la mienne et celle de mes enfants. Je n'y respecte
pas la chronologie. Tout est parti de la mort de mon père, en 1995.
On pense être préparé à cette mort, mais ce
n'est pas vrai. » Martin Amis avait 46 ans en 1995. Depuis une
vingtaine d'années déjà, il était considéré
comme « l'enfant terrible des lettres anglaises ».
Avec ce père, Kingsley Amis (1922-95), absolument britannique,
anobli par la reine en 1990 pour « services rendus à la
littérature », il n'était pas facile de décider
d'être soi-même écrivain. D'autant que, très
vite, Kingsley a signifié à son fils qu'il ne pouvait pas
continuer à le lire, car il trouvait ses écrits «
peu lisibles ». Comme Martin avait pour héros Joyce
et Nabokov - que son père n'aimait pas -, il s'est consolé,
avec l'arrogance de sa jeunesse, en pensant que celui-ci avait mauvais
goût. Mais à sa mort, relisant tous ses livres, il a entrepris
ce long récit, Expérience, dont Kingsley Amis est
le principal héros. Pour la première fois, les critiques
britanniques, qui ont généralement la dent dure avec Martin
Amis, l'ont trouvé « émouvant ». Emouvant,
certes, parce que dépourvu de sentimentalisme et de pathos, Expérience
est un étrange objet : 600 pages, avec un appendice, une bibliographie
et de nombreuses notes. C'est à la fois un roman familial et une
réflexion sur la littérature. On y trouve la relation de
Martin Amis avec son père et l'oeuvre de celui-ci, ses amours tumultueuses,
sa passion pour Saul Bellow - de très belles pages -, ses
cinq enfants - dont une fille aînée retrouvée quand
elle avait 20 ans -, ses polémiques avec les médias, et
même le destin tragique de sa cousine Lucy, « enlevée
par l'un des assassins les plus prolifiques de l'histoire britannique,
Frederick West ».
Josyane Savigneau
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