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        Bellow sans fin Didier 
        Jacob, Le Nouvel Observateur, 7 mars 2002 Il n'avait rien publié depuis plus de dix ans. Né en 
        1915, il avait sans doute assez donné à la littérature 
        et à la vie, les deux qu'il épousa, en sus de cinq mariages, 
        accompagnant le baiser rituel de fougueux attouchements. Or voici qu'au 
        début de l'année 2000, Bellow sortait un roman qui fit aussitôt 
        scandale. Outre Naomi Rose, le bébé de chair et d'os qu'il 
        venait d'avoir avec sa nouvelle femme, Bellow avait fait, aux dires de 
        la presse américaine, un enfant dans le dos à son ami, l'éminent 
        professeur de philosophie politique Allan Bloom, dont le livre raconte 
        la vie. Bellow révéla, dans Ravelstein, que Bloom, 
        qui disparut en 1992 à l'âge de 62 ans, mourut non pas d'un 
        cancer comme la presse l'avait alors annoncé, mais du sida. Les 
        journaux américains s'emparèrent de l'affaire, et Bellow 
        fut obligé de se dire "désolé" d'avoir 
        publiquement révélé l'homosexualité de son 
        ami.
 
 On mesure aujourd'hui, à la lecture du livre, que le scandale tenait 
        dans l'émotion suscitée davantage que dans le livre incriminé. 
        Ravelstein est une extraordinaire leçon de littérature 
        et d'humanité, où l'intelligence le dispute à la 
        pudeur, le désespoir à l'humour et le singulier à 
        l'universel.
 
 Dressant l'admirable portrait d'un homosexuel flamboyant, hédoniste, 
        flambeur, Saul Bellow raconte aussi son propre déclin, sa maladie, 
        sa mort annoncée. On séjourne à Paris en compagnie 
        de Bloom-Ravelstein, on fait ses courses chez Lanvin avant d'aller chez 
        Sulka finir d'épuiser le compte en banque, on disserte sur Joyce, 
        Rousseau, Céline, Kojève, le déclin de la culture 
        française, l'humour juif, le désespoir juif, Michael Jackson 
        (un "petit singe à paillettes"), Hitler, l'homosexualité, 
        la nature, l'écriture et la vie. "La règle avec 
        les morts est qu'ils devraient être oubliés", écrit 
        Saul Bellow. Cette règle comportera donc, un jour, au moins une 
        exception.
 Ravelstein, 
        par Saul Bellow, traduit de l'américain par Rémy Lambrechts, 
        Gallimard, 276 p., 18,50€ 
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