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QUELQUES
DATES,
QUELQUES LIVRES
Mary Ann
Evans naît en 1819, dans le Warwickshire. Le père est régisseur,
elle est la plus jeune dune fratrie de cinq enfants, et particulièrement
proche de ses aînés immédiats, Isaac et Chrissey.
De 1824 à 1835 elle fréquente diverses pensions, y fait
de bonnes études classiques, latin, grec et français, et
subit la forte influence de quelques professeurs évangélistes.
Après la mort de sa mère en 1836, et le mariage de sa sur
lannée suivante, elle tient le ménage du père
et du frère, et quand ce dernier se marie à son tour, en
1841, elle sinstalle avec son père à Coventry, et
poursuit ses études à la maison, notamment en apprenant
lallemand et litalien.
À Coventry, elle se lie aux intellectuels de la ville qui gravitent
autour dun philanthrope libre penseur, Charles Bray. Elle devient
lamie de sa femme Cara, et de la sur de celle-ci, Sara, épouse
de Charles Hennel. Ce dernier est lauteur dune Enquête
sur lorigine du christianisme, un livre qui refuse le récit
biblique des miracles et entend étudier la vie de Jésus
en termes strictement historiques. Cest pour la jeune fille le début
dune crise religieuse, quelle nommera « la guerre sainte ».
Car son refus, en 1842, daccompagner son père à léglise
engendre un violent et douloureux conflit familial. Père et fille
finiront par trouver un compromis. Mais la déprise du dogme restera
pour elle sans appel. Cest alors quelle sattelle à
la traduction de La Vie de Jésus de David Friedrich Strauss
qui paraîtra en trois volumes en 1846, mais sans le nom de la traductrice.
Elle entreprend ensuite de traduire, cette fois du latin en anglais, le
Traité théologico-politique de Spinoza.
La mort du père en 1849, à la fois chagrin et délivrance,
lui permet de faire un voyage à létranger avec ses
amis Bray, quelle prolonge par un séjour hivernal à
Genève. À son retour, elle sinstalle à Londres
dans la maison de John Chapman, qui édite la Westminster Review,
et devient une collaboratrice régulière de la revue, non
seulement en y écrivant des articles, mais en participant pleinement
au travail éditorial. Dans ce milieu, elle se rebaptise Marian
Evans (pour la première fois, elle signe de son nom la traduction
de LEssence du christianisme, de Feuerbach) et fait la connaissance
du Tout-Londres littéraire, libéral et libre penseur. Elle
y rencontre John Stuart Mill, Herbert Spencer dont elle séprend,
mais sans espoir de réciprocité et George Henry Lewes,
un journaliste et écrivain qui prépare une biographie de
Goethe. Avec ce dernier, elle noue une relation de plus en plus étroite.
Ils rendent leur liaison publique en 1854 en partant ensemble pour Weimar
et Berlin : cest un scandale, car Lewes est dûment marié,
et dans lincapacité de divorcer pour avoir reconnu un enfant
adultérin ; et cest aussi la rupture de la jeune femme avec
sa famille, groupée autour dIsaac, frère intransigeant,
et avec nombre damis, parmi lesquels ceux de Coventry. Lostracisme
familial et social va cependant lui offrir une compensation dans la naissance
dune vocation de romancière.
1856 est pour elle lannée climatérique : «
une nouvelle ère, écrit-elle, parce que jai
commencé à écrire de la fiction ». Encouragée
par Lewes, elle signe trois nouvelles pour un magazine publié par
un certain Blackwood, qui deviendra léditeur de presque toute
son uvre romanesque. Elle réunit ces nouvelles en 1858, sous
le titre Scènes de la vie cléricale, et sous la signature
dun mystérieux George Eliot. Lannée suivante,
toujours sous le même pseudonyme, elle publie Adam Bede.
Limmense succès du livre aura raison de lanonymat.
Si bien que lorsquelle publie en 1860 Le Moulin sur la Floss,
nul na plus de doute sur lidentité de celle qui se
cache sous ce nom masculin.
Au fur et à mesure que sécoulent les années
soixante, qui voient, en 1864, la publication de Romola, le roman
historique que lui a inspiré un voyage en Italie, puis, en 1865,
celle de Felix Holt, le succès de la romancière permet
au couple Lewes dacquérir une confortable maison au nord
de Regents Park, et de vaincre peu à peu son isolement social,
au point de faire du prieuré, les dimanches après-midi,
un lieu de sociabilité littéraire, où lon peut
rencontrer Charles Darwin, Robert Browning, John Ruskin, Thomas Huxley,
William Morris, le jeune Henry James, et même la princesse Louise,
fille de la reine Victoria. Pendant ces années, elle écrit
de la poésie, et se met à travailler à Middlemarch,
son uvre majeure, qui paraît en 1872. Puis, en 1876, ce sera
Daniel Deronda, toujours chez Blackwood, qui projette une édition
de ses uvres complètes. Survient, en 1878, la mort de Lewes.
George Eliot entreprend alors dachever pour publication le livre
de son compagnon sur « les problèmes de la vie et de lesprit
». Elle meurt elle-même en 1880. Non sans avoir, quelques
mois auparavant, épousé un jeune ami, John Walter Cross,
qui la soutenue dans lépreuve. Mariage suivi cette
fois dune réconciliation épistolaire avec son frère
Isaac, quelle ne reverra cependant jamais.
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Après
les dates, voici les livres. Luvre de George Eliot est loin
de se résumer aux romans. Si lon excepte le théâtre,
elle a illustré presque tous les genres décriture.
Elle a commencé par une carrière de traductrice. Elle a
poursuivi par une carrière de critique littéraire et dessayiste,
en donnant à la Westminster Review, où elle a assumé
pendant un temps la responsabilité de la section Belles Lettres,
nombre de recensions et dessais. On peut retrouver les plus remarqués
(sur la paysannerie allemande, les femmes françaises, les romancières
anglaises, la poésie de Tennyson et de Young, la moralité
de Wilhelm Meister) dans Essays of George Eliot, éd. Thomas
Pinney, New York, Columbia University Press, 2009. Elle a entamé
aussi une carrière de poète : The Complete Shorter Poetry
of George Eliot, éd. A. G. Van den Broek, Londres, Pickering
and Chatto, 2005. À tout cela il faut encore ajouter son activité
dépistolière (quon peut apprécier dans
The George Eliot Letters, éd. Gordon Haight, 9 vol., New Haven
et Londres, 1954-1956 et 1978), et de diariste, consultable dans The
Journals of George Eliot, éd. Margaret Harris et Judith Johnston,
Cambridge University Press, 2000.
Tout cela fournit un accompagnement remarquable à son uvre
romanesque. Avec le recueil des Scènes de la vie cléricale,
elle avait commencé par le genre de la nouvelle, quelle nabandonne
jamais complètement, comme en témoigne, en 1859, Le Voile
soulevé. Mais ce qui fait sa réputation, cest
le massif de ses sept grands romans, Adam Bede, Le Moulin sur la Floss,
Silas Marner, Romola, Felix Holt, Middlemarch, Daniel Deronda. Ils
constituent un ensemble dautant plus impressionnant quelle
avait entamé sa carrière de romancière à trente-six
ans passés, et quelle meurt à soixante et un ans.
Mona
Ozouf
Lautre
George : à la rencontre de George Eliot
Gallimard, 2018 ; Folio, 2020
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