Restée
seule, il me fallait échapper à mon environnement, comme
en prison. Là-bas, javais appris à lire avec une force
proche de la folie. Une fois dehors, je métais aperçue
que je ne pouvais plus lire nimporte quels livres, car je voyais
clair en eux : les petites ruses, les accroches, le décor
diligemment planté au début, la pesante menace dune
fin tragique et puis la façon dont, à la toute dernière
page, lauteur tirait le tapis de tristesse sous les pieds du lecteur
en sauvant un personnage chéri. Javais besoin que lécriture
soit dune densité minérale. Quelle procède
dune intention authentique et non dune fabrication cynique.
Jétais devenue allergique aux manipulations. Cest pourquoi,
au-delà de sa langue répétitive, Elena Ferrante (que
jadore aujourdhui) magaçait par son recours systématique
au cliffhanger, ce suspense en clin dil appuyé
au lecteur. Jai parfois envie de pleurer quand jidentifie
à la fois du talent et du talent galvaudé. La vie de lauteur
ou de lautrice hante forcément lhistoire. Il est arrivé
que la force du don soit telle que je me laisse emporter par certains
romans, comme Tendre est la nuit. Ou luvre de Jean
Rhys. Le talent galvaudé irradie parfois dune généreuse
humilité. Aujourdhui, je veux lire des livres qui me fassent
oublier la lutte entre lélégante précision
cellulaire du bébé et le cours entropique de toute chair
humaine vers le désordre de la mort. Des livres qui me fassent
oublier quune fois ramenés aux éléments qui
nous composent, nous valons 1 dollar 43. Ça ma plu. Après la description détaillée de la fête le gâteau, les enfants déterminés, la tache de Coca-Cola sur la nappe , après le mépris rafraîchissant de la vieille dame pour sa famille : la mort était son mystère. Louise
Erdrich, La
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