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Comparaison
des trois traductions
1901
Mathilde Zeys, traductrice de quelques livres en anglais et allemand
Archipoche, 471 p.
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La traduction à éviter
est la plus ancienne, celle de Mathilde Zeys...
Pourquoi ? Parue en 1901 sous le titre Barbara, elle est rééditée
sous le titre Loin de la
foule déchaînée en 1980, légèrement
révisée, mais... : le nom des personnages et le découpage
des chapitres ne sont pas respectés, des paragraphes entiers sont
supprimés, ou modifiés, comme on peut le voir ci-dessous
avec le début des deux premiers chapitres...
Voici le commentaire alambiqué
de l'éditeur en 1980, qui suit une préface de Kenneth White :
NOTE DE L'ÉDITEUR
Du roman de Thomas Hardy, Far from the Madding Crowd,
nous reproduisons ici, à peine modifiée, la traduction
parue en 1901 au Mercure de France, sous le titre Barbara. uvre
d'un temps où l'on croyait encore au "génie"
de la langue, elle témoigne de la marge de liberté, dont
disposait un traducteur de roman face au texte original (signalons que
Bathsheba, l'héroïne du livre, devient Barbara).
Depuis lors, l'éthique du calque a succédé à
celle de la transposition. Les gains et les pertes qui résultent
de cette évolution font l'objet de débats infinis.
Une constatation toutefois : Goethe vit en Nerval, Poe dans Baudelaire,
Gogol dans Mérimée, Nietzche dans Henri Albert, Emily
Brontë dans Teodor de Wyzewa, bien plus fortement que dans les
traductions savantes, qui furent élaborées ultérieurement.
D'appartenir au même siècle que l'auteur qu'il traduit
ne confère pas ipso facto au traducteur le privilège
de l'authenticité. Mais, dans l'aventure très aléatoire,
contre nature, de toute traduction, l'inconscient collectif partagé
est au moins une une garantie.
Familière sans être trompeuse, libre, mais juste dans ses
effets, voici l'expression que des contemporains
de Thomas Hardy ont pu donner et recevoir d'un certain terroir imaginaire
mais profondément enraciné : un monde dont l'existence
en tout autre idiome que le sien demeure à jamais problématique,
le naturel étant sa loi.
Début du livre dans la
version d'origine en ligne sur gutenberg.org
CHAPTER
I - Description of Farmer Oak-An Incident
When Farmer Oak smiled, the corners of his mouth spread till they were
within an unimportant distance of his ears, his eyes were reduced to chinks,
and diverging wrinkles appeared round them, extending upon his countenance
like the rays in a rudimentary sketch of the rising sun.
His Christian name was Gabriel, and on working days he was a young man
of sound judgment, easy motions, proper dress, and general good character.
On Sundays he was a man of misty views, rather given to postponing, and
hampered by his best clothes and umbrella: upon the whole, one who felt
himself to occupy morally that vast middle space of Laodicean neutrality
which lay between the Communion people of the parish and the drunken section,-that
is, he went to church, but yawned privately by the time the congregation
reached the Nicene creed, and thought of what there would be for dinner
when he meant to be listening to the sermon.
CHAPTER II - Night-The Flock-An Interior-Another Interior
It was nearly midnight on the eve of St. Thomass, the shortest day
in the year. A desolating wind wandered from the north over the hill whereon
Oak had watched the yellow waggon and its occupant in the sunshine of
a few days earlier.
Traduction de 1901 de Mathilde Zeys,
Archipoche
1 Un incident dans la vie du fermier Oak
Le fermier Oak était un jeune homme
de vingt-huit ans, sérieux et intelligent. Infatigable au travail
et levé dès l'aurore, il allait et venait gaiement, sans
cesse occupé des soins nombreux qu'exigeait son exploitation. Toujours
très proprement vêtu, il avait un aspect très présentable.
Tel, du moins, il était en semaine ; mais, le dimanche, il devenait
un personnage guindé et gêné par ses habits de gala
et l'immense parapluie qu'il portait sous son bras gauche. Pour définir
son caractère, d'après la gamme de l'opinion publique, j'ajouterai
que, selon l'humeur morose ou gaie de ses semblables, il passait pour
méchant ou bon.
Comme, après tout, il y a six fois plus de jours ordinaires que
de dimanches, le portrait de Gabriel Oak lui convient mieux en habits
de travail, et c'est sous cette forme que nous le présenterons
au lecteur.
2 Plus ample connaissance
C'était la veille de la Saint-Thomas, le jour le plus court de
l'année. Minuit. Un âpre vent du nord soufflait sur la colline
d'où, quelques jours plus tôt, Oak avait aperçu le
chariot jaune.
Traduction de 2011 de Thierry Gillyboeuf,
éd. Sillage
Chapitre
I - Description du fermier Oak - Un incident
Quand le fermier Oak souriait, les commissures de ses lèvres touchaient
presque ses oreilles, ses yeux se plissaient jusqu'à ne plus former
que deux fentes et un faisceau de rides apparaissait autour d'eux, qui
dessinait sur son visage comme les rayons d'un soleil levant sur un croquis
rudimentaire.
Il avait pour prénom Gabriel. Durant la semaine, c'était
un jeune homme au jugement sain, équilibré, proprement vêtu
et, d'une manière générale, doté d'un bon
caractère. Le dimanche, c'était un homme perdu dans des
abîmes de perplexité, plutôt enclin à la procrastination,
gêné par son costume et son parapluie. L'un dans l'autre,
il avait le sentiment d'occuper moralement cet immense espace intermédiaire
de la neutralité laodicéenne* qui se situe entre les ouailles
qui vont communier et la section des ivrognes - autrement dit, il se rendait
à l'église, mais bâillait en catimini au moment où
la congrégation arrivait au credo de Nicée, et se demandait
ce qu'il y aurait à déjeuner quand il était censé
écouter le sermon.
* Laodicée
était la capitale de la Phrygie, en Asie mineure. Jésus
s'adressa à ses habitants pour fustiger leur tiédeur et
leur prosaïsme (Apocalypse 3 :14-22)
Chapitre II - Nuit-Le troupeau-Un intérieur-Un
autre intérieur
Il était près de minuit en cette
veille de la Saint-Thomas, la journée la plus courte de l'année.
Un vent pénétrant soufflait du nord sur la colline où
Oak avait observé, quelques jours plus tôt, le chariot jaune
et ses occupants.
Traduction de 2023 de Sophie Chiari,
Livre
de poche
Chapitre
1 - Description du fermier Oak - Un incident
Lorsque le fermier Oak souriait, les coins de sa bouche remontaient jusqu'à
arriver à une courte distance de ses oreilles ; ses yeux se réduisaient
à des fentes tandis que des rides divergentes se formaient tout
autour d'eux, s'étendant de loin en loin sur son visage tels les
rayons d'un soleil levant grossièrement dessiné.
Il se prénommait Gabriel et, en semaine, c'était un jeune
homme au jugement sûr, leste, habillé comme il fallait et
d'un caractère agréable. Le jour du Seigneur, c'était
un homme aux idées floues, plutôt enclin à la procrastination,
gêné par ses habits du dimanche et son encombrant parapluie.
Dans l'ensemble, c'était quelqu'un qui, sur le plan de la morale,
avait l'impression d'occuper ce vaste entre-deux de neutralité
laodicéenne* qui séparait les buveurs de ceux qui prenaient
part à la communion : en d'autres termes, il fréquentait
l'église, mais il bâillait déjà intérieurement
au moment où la congrégation abordait le Credo de Nicée**
et songeait à ce qu'il y aurait à manger pour le dîner
alors qu'il était censé écouter le sermon.
*Les habitants de
la ville de Laodicée, qui vouaient un culte à Esculape,
le dieux de la médecine, étaient réputés pour
leur neutralité ou leur indifférence religieuse. Dans le
texte de l'Apocalypses, l'ange s'adresse ainsi à l'un d'eux : "
Ainsi, parce que tu es tiède, et ni chaud ni froid, je vais te
vomir de ma bouche ". (Apocalypse 3 :14-22)
**Le premier concile
de Nicée, convoqué par l'empereur Constantin Ier en Bithynie
(une province de l'actuelle Turquie) en mai 325, affirme l'idée
de la consubstantialité du Père et du Fils, alors qu'Arius,
lui, affirmait que le Fils, créé par le Père, n'était
pas éternel. Cette croyance fut condamnée et déclarée
hérétique lors de ce même concile. Six ans après
ce roman, Hardy écrira Un Laodicéen (1880-1881).
Chapitre 2 - La nuit, le troupeau, un intérieur,
un autre intérieur
Il était presque minuit en cette veille
de la Saint-Thomas*, le jour le plus court de l'année. Un vent
glacial venu du nord soufflait sur la colline où, quelques jours
auparavant, Oak avait observé sous le soleil la charrette jaune
et son occupante.
*Le 21 décembre,
jour où les ouvriers agricoles avaient coutume de battre la campagne
pour aller quémander auprès des fermiers une pièce
de monnaie ou quelque don en nature, généralement de la
nourriture.
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