Extrait du volume 11 de la collection "LE
MEILLEUR DU PRIX GONCOURT"
Cette collection exceptionnelle
conçue par Le Figaro et l'Académie Goncourt
propose 40 romans sélectionnés
par Le Figaro littéraire et l'Académie Goncourt
depuis sa création en 1903.
La
PREFACE (p. 7 à 11)
de Tahar Ben Jelloun
de l'Académie Goncourt
Avant dêtre
romancier, Amin Maalouf a été historien et journaliste.
Ses créations littéraires sont nourries par ses expériences
sur le terrain, et son imaginaire est profondément ancré
dans lesprit du conte, celui des Mille et Une Nuits. Le Rocher
de Tanios pourrait tout à fait être lune de ces
nuits contées par lexquise Shahrâzâd.
Il
a été aussi un excellent romancier en narrant la vie de
Léon lAfricain, un livre qui a rendu célèbre
ce personnage de lhistoire maghrébine.
Amin
Maalouf a eu raison de citer en préambule du Rocher de Tanios
un passage des Illuminations dArthur Rimbaud. Il y est question
des Libans : "Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette
région doù viennent mes sommeils et mes moindres mouvements
?" Ce poème a du sens en cette époque où le
Liban traverse lune des crises les plus graves de son histoire.
Amin
Maalouf est également visionnaire en racontant une histoire ayant
eu lieu au XIXe siècle et en faisant de Tanios, le fils de l'assassin,
le héros du roman. Il nous plonge dans les méandres de cette
région où le sang coule souvent et assez facilement.
Rarement
une région du Proche-Orient aura été la scène
d'une tragédie par intermittence, à tel point que la mort
est devenue banale, familière, côtoyant la vie avec arrogance
et humour.
Les
rochers ont un nom. Tanios est un nom de rocher et aussi un nom d'homme.
Amin Maalouf se souvient : des images de son enfance surgit ce rocher.
De là, il va construire une histoire où se mêlent
réalité et fantaisie.
Ce
rocher est un "trône de pierre" qui intimidait l'enfant
Amin et que le grand-père avait désigné comme le
"rocher interdit".
Il
y a d'abord un personnage appelé "le cheikh" qui possède
le village de Kfaryabda, comptant trois cents foyers. Il règne
en patriarche et fait vivre les hommes dans la crainte. Une sorte d'acte
intime le lie à ces gens. Il faut lui baiser la main, signe de
soumission pour ne pas perdre son gagne-pain. Les femmes sont sa passion.
Une par soir. Certaines rusent pour lui échapper. Lamia est l'une
d'entre elles.
Lamia
"portait sa beauté comme une croix". "Trempée
dans la lumière", sa beauté éclate de partout.
Gaie, espiègle, primesautière, elle est mariée à
Gérios, l'intendant du cheikh, lequel n'a d'yeux que pour elle.
Mais cet intendant est au service du patriarche, qu'il craint au plus
haut point.
Lamia
a un enfant avec Gérios, il s'appelle Tanios, du nom de ce rocher
de la montagne libanaise où des conflits déchirent le pays.
Tout le monde se demande si le cheikh n'est pas le père.
Tanios
grandit et entre à l'école d'un pasteur anglais, respecté
et parfois vénéré dans toute la montagne. Il doute
de son identité. Un jour, il exprime sa colère à
Gérios : "Tu n'es pas mon père ! Je ne sais pas qui
est mon père !" Il rencontre Asma, une fille d'une beauté
éblouissante. Mais le père de celle-ci lui dit : "Personne
n'a jamais su de qui tu étais le fils. Je ne veux pas d'un bâtard
comme gendre." De retour au village, Tanios prend la fuite avec son
père : Gérios a tué le patriarche. Le sang coule
dans cette montagne habituée au tragique. Pour la première
fois, Tanios appelle Gérios, "mon père". Ils doivent
fuir, partir loin. Ils arrivent à Chypre, territoire des Ottomans.
Là, une autre vie les attend, la malédiction aussi. Le destin
resserre son étau et la mort rôde.
Pendant
ce temps, Lamia se lamente, ayant perdu mari et fils. Un vieillard dit
à Tanios : "Promène tes yeux sur notre Montagne. Ses
pentes douces, ses vallées secrètes, ses grottes, ses rochers,
son souffle parfumé, et les couleurs changeantes de sa robe. Belle,
comme une femme. Belle comme Lamia. Et elle aussi porte sa beauté
comme une croix."
A partir
de là, le roman suit le rituel de la tragédie.
C'est un conte, une belle métaphore une époque contemporaine,
du Liban en particulier.
Tout écrivain
est témoin de son époque. Amin Maalouf est non seulement
un incomparable témoin mais un merveilleux conteur qui restitue
au roman occidental sa part d'Orient que d'autres écrivains d'une
autre époque avaient abordée.
Le
Rocher de Tanios, nous dit Amin Maalouf, est inspiré de la
Chronique montagnarde, uvre du moine Elias de Karyabda, là
où tout commence. Il y puise les faits et leur déroulement
souvent déconcertant. Comme dans les récits épiques
des Arabes du temps de Haroun al-Rachid, on ne raconte une histoire qu'en
se référant à des chroniques écrites ou dites
par les anciens.
Comme
il est dit dans le préambule de cette chronique, "... aucun
de nos battements de cur n'aurait été possible s'il
n'y avait eu les générations successives des aïeux,
avec leurs rencontres, leurs promesses, leurs unions consacrées,
ou encore leurs tentation".
Amin Maalouf
a écrit un superbe roman sur ces tentations qui n'épargnent
aucun des personnages, aucun espace, surtout quand cela se passe dans
une montagne où la malédiction a ses habitudes et ses légendes.
Un dernier
point fait que ce livre méritait sa consécration par l'Académie
Goncourt en 1993 : une écriture fluide, dans une langue enrichie
et belle. Un apport à ce que l'on appelle la "francophonie",
qui n'est autre qu'une pratique intime et originale de la langue française
par un enfant du Liban où le français a toujours été
une langue aimée, célébrée et défendue.
Tahar
Ben Jelloun est écrivain et peintre. Il est l'auteur d'un recueil
de poésie, Les amandiers sont morts de leurs blessures,
et de romans parmi lesquels L'Enfant de sable et La Nuit sacrée
qui a reçu le prix Goncourt en 1987. Il a été élu
à l'Académie Goncourt en 2008.
À
PROPOS D'AMIN MALOUF (p. 13-14)
Amin Maalouf
est un écrivain franco Il naît le 25 février 1949
à Beyrouth. Il passe les premières années de son
enfance en Égypte, avant d'étudier au collège français
Notre-Dame de Jamhour, tenu par des pères jésuites, à
Beyrouth. Si ses premières lectures (dont les classiques de la
littérature occidentale) se font en arabe, ses premières
tentatives littéraires, d'abord secrètes, se font dans la
"langue d'ombre", soit le français (par opposition à
la "langue de lumière", l'arabe). Il étudie la
sociologie et les sciences économiques à l'Université
Saint-Joseph de Beyrouth, puis entame une carrière de journaliste
au quotidien An-Nahar, dans lequel il publie essentiellement des
articles de politique internationale. En 1976, Amin Maalouf quitte le
Liban pour la France, en raison de la guerre civile qui a éclaté
un an plus tôt. Il devient alors rédacteur en chef de
Jeune Afrique.
Ce n'est qu'en 1985 qu'il parvient à se consacrer entièrement
à l'écriture. Son roman Léon l'Africain qu'il publie
en 1096, est un succès. Suivent Samarcande (1988) et Les
Jardins de lumière (1991) qui consacrent l'auteur comme une
figure majeure du roman historique d'inspiration orientale. Son roman
d'anticipation Le Premier Siècle après Béatrice
(1992), porte un regard soucieux sur l'avenir de la civilisation,
sujet de nombre de ses essais (Les Identités meurtrières,
Le Dérèglement du monde). Amin Maalouf reçoit
le prix Goncourt en 1993 pour Le Rocher de Tanios, dans lequel
il décrit à travers un fait divers le monde de son enfance.
Il évoque pour la première fois la guerre du Liban, qui
l'a contraint de quitter son pays, dans Les Échelles du Levant
(1996). Le Liban, et ses tourments politiques, devient dès lors
un thème central de ses uvres.
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