Interview de Posy Simmonds

"Stephen Frears a été fidèle à mon livre, mais il a aussi fait son truc !"


Propos recueillis par Arnaud Claes, L'ActuaBD, 14 juillet 2010

De passage à Paris pour la promotion de l’adaptation cinématographique de son roman graphique Tamara Drewe, Posy Simmonds nous a accordé un entretien.

Quelle est votre impression sur le film de Stephen Frears ?

Au début, j’ai trouvé que ce n’était pas du tout une retranscription de mon livre ; mais je pense et j’ai toujours pensé qu’un film est une œuvre à part entière. Je crois que visuellement, le film est très proche de mes dessins, et Stephen Frears a bien compris la façon dont je décrivais le milieu des écrivains. Il a été fidèle à mon livre, mais il a fait son truc aussi : c’est plus une comédie que mon livre, qui a un côté sombre issu de Thomas Hardy. Mais je suis contente, parce qu’à Cannes, il y avait des gens qui disaient : Dans cette époque si triste, il faut rire !

Thomas Hardy, dont vous avez adapté, avec Tamara Drewe, le roman Loin de la foule déchaînée, est finalement un auteur très actuel, régulièrement adapté au cinéma – Tess d’Urberville l’a été plusieurs fois, notamment par Polanski, Loin de la foule déchaînée a également été adapté, il y a le Jude de Winterbottom…

C’est vrai ; chez moi, la référence à Hardy était un peu masquée, et après quelque temps, lors de la publication dans le Guardian, des lecteurs ont écrit au journal en disant : Mais c’est Hardy, n’est-ce pas ?… Je lui ai emprunté ses personnages principaux, son côté moraliste, et aussi son côté sombre – parce que la vie chez lui n’est pas très gaie.
Hardy est un auteur du XIXe siècle, mais comme Flaubert [dont Posy Simmonds a adapté Madame Bovary, NDLR], il était moderne, il s’intéressait aux gens ordinaires, aux paysans, et également aux femmes. Chez Flaubert, la psychologie du personnage principal est superbement cernée ; chez Hardy, elle est moins réaliste, mais il a tout de même essayé de comprendre la condition des femmes à cette époque. Et ce qui m’intéressait, c’étaient les points communs et les différences entre les femmes du XIXe et celles d’aujourd’hui. Celles du XIXe préservaient précieusement leur réputation – mais chez Hardy, elle couche avec trois hommes… Je crois qu’il y a toujours des difficultés pour les femmes aujourd’hui, et j’ai essayé de le montrer dans le livre : quand la presse s’intéresse aux événements qui se sont déroulés, c’est toujours la faute de la femme. Nicholas Hardiman est un dragueur, mais c’est la faute de Tamara parce qu’elle était trop belle – you can’t blame him… Et puis sa femme, elle est moche, elle a 55 ans, you can’t blame him either…

Pour revenir à Hardy, son travail était assez subversif pour la période victorienne, puisqu’il a dû arrêter d’écrire de la fiction et se consacrer à des poèmes, ses romans étant trop trash pour l’époque !

Oui ! Il ne traitait pas très bien sa première femme, qui vivait recluse dans le grenier à la fin de sa vie, et je ne sais pas s’il couchait avec d’autres femmes mais beaucoup de groupies lui tournaient autour. Pourtant, après la mort de sa première femme, il a commencé à écrire des poèmes d’amour, ce qui a beaucoup agacé sa deuxième femme ! Ces poèmes étaient vraiment très beaux, c’étaient des poèmes de deuil de l’amour, de regret, très touchants et très forts.

Les décors de campagne anglaise de votre livre font également penser à Thomas Hardy, puisqu’il était originaire du Dorset et que ses romans se passent dans le Dorset ou l’ancien Wessex… Est-ce que le décor a une importance pour vous également, et a-t-il été respecté dans le film ?

Oui ! C’est absolument le Dorset. Quand j’ai fait des recherches, c’était dans le Sud-Ouest, une région qui n’est peut-être pas très connue des Français, mais qui est très belle. Et Stephen Frears a une maison là-bas, il connaît bien la région… Au départ, il était question de tourner dans le Gloucestershire, qui est aussi une très belle région, mais le Dorset c’était idéal.

Tamara Drewe est notamment une satire grinçante des milieux littéraires, et vous aviez aussi fait, il y a déjà quelque temps, une satire des intellectuels de gauche, The Silent Three of St Botolph’s. Or vous êtes vous-même un auteur reconnu, et un auteur du Guardian, journal de centre-gauche : est-ce que ces satires reposent sur le principe du « Qui aime bien châtie bien » ?

Oui, et c’est un peu le « Madame Bovary c’est moi » de Flaubert : je me moque de moi-même !

Ces satires semblent largement fondées sur l’observation – est-ce qu’il vous reste encore des amis ?

En fait, je n’ai jamais dessiné mes amis, et même quand un enfant dit quelque chose de merveilleux, ou de simplement intéressant, je demande la permission de l’utiliser, et je mets ses initiales dans le Flaubert près de la citation… Mais je n’ai jamais utilisé, par exemple, ce que disaient les enfants de mon mari, parce que ce ne serait pas juste vis-à-vis d’eux. Mon travail repose beaucoup sur l’imagination et l’exagération ! Et puis, bien souvent, la vie est plus étrange que ce que j’imagine…

Il y a roman graphique et roman graphique, les vôtres sont vraiment proches de la littérature : est-ce que vous êtes parfois tentée de vous lancer dans l’écriture d’un roman ?

Non, car je trouve que c’est très difficile… Au début, je n’écrivais que des bulles, puis j’ai introduit un peu de narration, et dans Gemma Bovery il y en a eu beaucoup, mais d’abord à cause des contraintes de la publication : je n’avais que 100 épisodes d’une page et il fallait à tout prix que je bourre mes planches de l’intrigue… Cependant, après quelque temps, j’ai appris à mieux choisir entre l’information qui passerait par le texte et celle qui passerait par l’image. Je crois que quand il y a trop de bulles, c’est un peu fatigant à lire, et quand il y a un peu de texte ça permet de faire une pause.

Pour terminer, quels sont vos projets en cours ?

Je travaille sur un autre feuilleton pour le Guardian, qui deviendra un roman graphique, et pourquoi pas un film ? Aller à Cannes pour Tamara Drewe a été une expérience incroyable – je me suis retrouvée dans une grande voiture avec deux flics qui nous escortaient, on brûlait des feux rouges, c’était palpitant !

Propos recueillis à Paris le 17 juin 2010 à la librairie BD Spirit par Arnaud Claes


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