« Triste Tigre, de Neige Sinno :

du manuscrit refusé au prix Femina, itinéraire d’un livre inattendu »

par Nathalie Crom, Télérama, 6 novembre 2023
Extrait :

Venue à Paris en juin, puis en septembre, Neige Sinno est de retour au Mexique, où elle vit, ce jour de fin octobre où on lui parle par écrans interposés. Revenant sur l’histoire du manuscrit, elle raconte :

« J’ai commencé à envoyer le texte à des éditeurs en France en février-mars 2022, et j’ai reçu entre quinze et vingt lettres de refus. Parfois des lettres argumentées dans lesquelles les éditeurs m’expliquaient qu’à cause du sujet du livre, ou de sa forme, ils ne sauraient pas comment le défendre. Ou que, dans la foulée du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (2021) [où l’autrice revient sur les viols subis par son frère jumeau à l’adolescence, perpétrés par leur beau-père, NDLR], d’autres ouvrages sur l’inceste étaient parus, et qu’il n’y avait plus d’intérêt pour ce sujet. J’avais donc abandonné les envois, tout en continuant de croire très fort à mon texte – pour ne pas désespérer, et parce que je ne pouvais pas le lâcher, j’avais commencé à le traduire en espagnol. Quand je me suis aperçue, tardivement, que les éditions P.O.L acceptaient de recevoir des manuscrits par mail, je le leur ai quand même adressé, en janvier dernier. Deux jours plus tard, j’avais une réponse

« Un matin, en relevant la boîte mail, j’ai cliqué sur le texte et, au bout de vingt pages, j’ai su que je le publierai », se souvient Frédéric Boyer, directeur de P.O.L. Ce qui frappe d’entrée l’éditeur, « c’est la façon dont Neige Sinno entreprend son lecteur, sa lectrice. Dès la première phrase, on est dans sa parole, sa volonté de partager une expérience et une réflexion avec celui qui la lit. À travers ce qui lui est arrivé, et son impuissance à en parler, elle explore, au-delà même de l’inceste, le discours de la domination qui traverse toute la société ».

Restait à savoir quand publier le livre. L’équipe éditoriale a choisi la rentrée littéraire : « Non sans craintes, poursuit Frédéric Boyer, la principale étant de voir le livre reçu comme un témoignage, et non comme le grand livre de littérature qu’il est : un livre sur les pouvoirs de la littérature et, plus encore, sur son impuissance. »


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