Au début du chapitre 22 de L'avalée des avalés


Je prends goût à lire. Je me mets dans tous les livres qui me tombent sous la main et ne m'en retire que lorsque le rideau tombe. Un livre est un monde, un monde fait, un monde avec un commencement et une fin. Chaque page d'un livre est une ville. Chaque ligne est une rue. Chaque mot est une demeure. Mes yeux parcourent la rue, ouvrant chaque porte, pénétrant dans chaque demeure. Dans la maison dont la forme est : chameau, il y a un chameau. Dans la cabane : oie, une oie m'attend. Derrière les multiples fenêtres des manoirs : indissolubilité et incorruptibilité, se devinent l'indissolubilité du mariage et l'incorruptibilité de Robespierre. Je raffole des récits de voyage. J'ai passé la nuit dans Le Livre de Marco Polo. J'y ai vécu les plus belles aventures, mais je ne sais plus lesquelles. Je ne cherche pas à me souvenir de ce qui se passe dans un livre. Ce matin, en sortant de mon livre, j'éprouvais une délicieuse sensation d'ébriété et d'espace, une grande impatience, un magnifique désir. Tout ce que je demande à un livre, c'est de m'inspirer ainsi de l'énergie et du courage, de me dire ainsi qu'il y a plus de vie que je ne peux en prendre, de me rappeler ainsi l'urgence d'agir. Si presque tous les mots de cette nuit ont passé sur mes yeux comme l'eau de la mer sur les flancs d'un navire, les rares mots que j'ai retenus ont gravé dans mon esprit une marque indélébile. Je me rappelle très vivement, par exemple, l'épisode où l'empereur de Chine remet un sauf-conduit à Marco Polo "afin qu'ils fussent francs par toute la terre".


› Retour à la page littérature Ducharme de Voix au chapitre