Comment
ne pas dire tout le mal que je pense de ce livre que... pourtant... j'aime...
?
D'abord, j'avoue que je suis séduite par Chantal Thomas :
-
par la femme : qu'elle est agréable à entendre à
la radio, ou encore à la Maison
de la poésie l'année dernière
ou auparavant à
l'Odéon sur Casanova, je ne m'en
lasse pas, car je sens sa liberté et son amour des choses de la
vie...
- et par l'aspect protéiforme de son uvre protéiforme
: j'apprécie a priori la diversité de ses facettes, j'admire
même, j'applaudis, bravo !
J'ai
lu plusieurs livres de Chantal Thomas.
Avec Lirelles, en 2008, chez Marion à l'Impatiente,
j'ai lu L'Île flottante
et vu l'adaptation rigolote d'Alfredo Arias au théâtre
de Chaillot où pendant toute la pièce était mitonnée
une recette du chef Alain Passard qu'on mangeait à la fin de la
représentation
J'avais lu
La Reine scélérate : Marie-Antoinette dans les pamphlets
où j'avais aimé l'extravagance de cette époque, pas
toujours marrante quand les coiffures obligeaient les femmes à
voyager à genoux... mais je n'avais pas été emballée
par ce qu'elle faisait de toutes ces connaissances historiques...
J'ai aussi dans ma bibliothèque Comment
supporter sa liberté dont le joli titre a dû jadis
me plaire sans que je le lise.
J'ai lu son
dernier East
Village Blues dont j'ai aimé l'évocation de l'époque
de Patti Smith à New York, le coming out comme si de rien était
à propos notamment du Katmandou
(mais toute étiquette ne lui conviendra pas protéiforme
là aussi. Hélas, le livre comporte des illustrations qui
n'apportent rien du tout (nous en avions parlé avec Sandra qui
l'a lu et nous étions d'accord).
J'ai lu Souvenirs
de la marée basse sur son enfance et la relation avec sa
mère, et contrairement à Patricia j'ai eu des réserves :
sur l'écriture ; sur le sous-titre
de "roman" irritant, pour "faire littérature".
Dans ce livre, elle dit au lieu de faire sentir, évoquant
"la grâce de l'instant" qui s'échappe pour
moi à la lecture. Alors qu'elle s'affirme féministe, mettant
dès qu'elle le peut la chambre à soi de Virginia
Woolf en avant, je l'ai pris sur le fait d'un essentialisme sans aucun
recul : "les hommes ont tendance à s'enferrer dans le silence,
tandis que les femmes s'affolent dans le non-sens, disent n'importe quoi".
Gênant pour notre livre sur les femmes !
J'ai alors découvert L'esprit de conversation : j'ai trouvé
une légèreté dans sa façon de nous faire découvrir
ces trois femmes, prenant presque la documentation historique par-dessus
la jambe. Le joli petit livre m'a plu comme objet et je vous en ai proposé
la lecture.
Enfin
vais-je enfin parler du livre lui-même ?!
Je suis d'accord avec toutes : j'ai aimé et j'ai des réserves.
J'ai aimé, car je me suis entichée des salonnières.
J'ai emprunté ou acheté d'occasion des livres introuvables
sur ces femmes extraordinaires. Par exemple, Les
grands salons féminins, un vieux livre aux pages encore
pas découpées qui évoque 23 salons, de la marquise
de Rambouillet au salon de Rachilde.
Ou encore les livres que Chantal Thomas a pompés : L'âge
de la conversation de Benedetta Craveri et Salons
européens : les beaux moments d'une culture féminine disparue
de Verena von Der Heyden-Rynsch.
J'aurais aimé faire remonter en vous l'amour pour Mona Ozouf (qui
a fait un flop dans le groupe avec son Autre
George) avec Les
mots et les femmes : essai sur la singularité française,
où elle consacre plusieurs chapitre à des salonnières.
Mon coup de cur va à Madame Geoffrin que Chantal Thomas ne
fait qu'évoquer, j'en suis fana.
Mais je ne néglige pas Madame de Staël, qui est une Grande,
une femme politique, et dont j'ai visité le château
de Coppet en Suisse : toute l'Europe intellectuelle s'y retrouvait.
J'avais avant de le visiter, lu, ne connaissant rien d'elle, une biographie
patapouf qui m'avait transportée. Et c'est là où
je viens "à tout le mal" que je pense de ce livre : Chantal
Thomas a massacré Mme de Staël. Alors que, comme le remarque
Agnès, le livre est déséquilibré en sa faveur,
elle nous pompe l'air avec Delphine,
puis avec le roman Corinne
et l'Italie qui franchement n'est pas ce qu'elle a fait de mieux,
ou avec le détail de ses amours avec Benjamin Constant. Là
où elle touche le fond, c'est quand elle dit que "condamnée
à l'exil par Napoléon, elle va tenter de recréer
à Coppet son salon parisien, pour constater, en définitive,
que c'est impossible" (p. 98). Je lis (dans l'une des sources
qu'elle utilise explicitement !) que ne pouvant s'installer à Paris,
"Paris vient à elle en Suisse. Le château dans le
canton de Vaud devint le salon le plus brillant d'Europe". Qu'y
faisaient-ils ? "Tous y venaient en foule et s'y adonnaient librement
à l'écriture, à la peinture et à la conversation".
Alors Chantal Thomas, historienne du dimanche, on ne lit que d'un il ?
Ça fait pas très sérieux...
Même
si son texte n'est pas très marrant et que je désespère
de de réconcilier tout le groupe avec elle, Mona Ozouf donne une
autre ampleur au destin de Madame de Staël (voici ICI
le long chapitre qu'elle lui consacre).
Pour
finir enfin, je ne boude pas mon plaisir et j'adore tenir ce petit
livre en main et l'ouvrir pour lire les noms de mes chères salonnières.
J'aime toujours Chantal Thomas et son enjouement, je lui pardonne pas
tout à fait ses défauts : trop légère, trop
sûre d'être publiée alors qu'elle se laisse aller au
farniente.
Confinée qu'elle est comme nous, qu'elle travaille un peu plus
sur son prochain bouquin !
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