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La révolution iranienne, également appelée
révolution islamique ou révolution de 1979, a transformé
l'Iran en république islamique, renversant l'État impérial
d'Iran. L'ayatollah Khomeiny, après son exil de Neauphle-le-Château,
revient à Téhéran prendre le pouvoir.
La guerre Iran-Irak (1980-1988) a fait environ 800 000 morts et a
énormément marqué la vie iranienne.
Situation des femmes : Les
lois favorables à l'émancipation des femmes ont été
remises en question dès l'avènement de la Révolution
de 1979. Une modification de la loi abaisse lâge légal
du mariage de 18 ans à lâge de la puberté
9 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons
avec lobligation du port du voile (dès l'entrée
à l'école primaire) et linterdiction de la mixité.
Il est à noter qu'avec autoritarisme le dévoilement des
femmes avait été rendu obligatoire en 1936 ; les agents
en charge des lois étaient appeler à déchirer le
voile des femmes. Dans les deux cas, la liberté des femmes n'existe
pas. Actuellement les obligations sont les suivantes : toutes les parties
du corps doivent être couvertes à lexception du visage,
des mains et des pieds ; pratiquement dans la rue, les femmes ne sont
pas obligées de porter tchador, burqua, niquab, hidjab, mais un
voile donnant lieu en ville à une véritable élégance
(voir
ici). En revanche dans les administrations, la contrainte est bien
plus grande : le maghnaeh noir ou tchador doit être porté.
Le mariage est la seule union légitime
en Iran, toute autre union entre homme et femme est interdite et passible
d'une peine. Selon la charia, l'homme a le droit d'épouser quatre
femmes. La religion chiite permet également à l'homme musulman
chiite de pratiquer le mariage temporaire (quelques heures, quelques jours,
quelques mois...) avec une ou plusieurs compagnes provisoires tout en
épousant quatre femmes. L'adultère est un crime qui
condamne à la lapidation : il doit être avoué par
les accusés ou approuvé par le témoignage de quatre
hommes juste (ou trois hommes et deux femmes justes...) qui ont vu clairement
l'acte sexuel - ce qui rend la lapidation assez rare mais suscite la terreur.
Le divorce dépend de l'accord de l'époux. Cependant,
des mesures efficaces sont prises dès 1988-1989 concernant le contrôle
des naissances (distribution gratuite de préservatifs, sensibilisation
sur les moyens de contraception féminine et masculine),
permettant aux femmes d'être très actives dans les domaines
qui leur sont permis.
Un système d'éducation nationale ne faisant aucune
distinction entre garçons et filles avait été organisé
en 1936 où les premières femmes faisaient leur entrée
à l'université de Téhéran. Le droit d'éligibilité
et de vote leur fut accordé en 1963. Actuellement les femmes ont
un niveau déducation égal à celui des hommes
les universités iraniennes accueillent autant de filles
que de garçons, c'est à souligner , mais elles nont
pas accès au marché du travail à parité avec
les hommes.
Une émission de radio récente est éclairante
: Négocier
lémancipation : une lutte sans fin, Quid des femmes ?,
France Culture, "Iran : 40 ans de révolution" (3/4),
6 février 2019, 58 min. La vie quotidienne des Iraniens apparaît
tiraillée entre loi islamique et envies de modernité. De
la rue à lespace intime, les espaces de liberté se
négocient..., avec Fariba Adelkhah, anthropologue franco-iranienne,
directrice de recherche à Sciences po, et Leyla Fouladvind,
sociologue.
Changer de
sexe en Iran
Le travestissement est interdit, mais les hommes
et les femmes qui désirent changer de sexe sont paradoxalement
autorisés à subir une intervention chirurgicale. Ils peuvent
alors demander un certificat de naissance révisé, indiquant
leur nouvelle identité, avec laquelle ils peuvent se marier. La
Fondation de l'Imam Khomeini accorde des prêts à ceux qui
en ont besoin. Un religieux, Hodjatoleslam Karimian, a proposé
que le changement de sexe soit "un droit humain"...
Quant à l'homosexualité,
le Code pénal iranien fait froid dans le dos :
Article 110- La sodomie est punie de la peine capitale
; le juge religieux choisira les modalités de la mise à
mort.
Art. 121- Les relations sexuelles sans pénétration entre
deux hommes sont punies de 100 coups de fouet pour chacun. (Note:
Si le partenaire actif est un non musulman et le partenaire passif un
musulman, le premier sera condamné à mort.)
Art. 122- Si les coupables sont punies à trois reprises pour
des relations sexuelles sans pénétration, la quatrième
fois ils seront condamnés à mort.
Art. 123- Lorsque deux hommes sans liens de sang se trouvent nues sous
la même couverture sans nécessité apparente, ils
seront passibles de jusquà 99 coups de fouet.
Art. 124- Si un homme embrasse lautre de
manière lascive, il sera condamné à jusquà
60 coups de fouet.
Art. 127- Mossahiqa se dit des relations sexuelles entre femmes impliquant
les parties génitales.
Art. 129- Chacune des partenaires sera condamnée à 100
coups de fouet.
Art. 131- Si les coupables récidivent et sont châtiées
à trois reprises, elles seront condamnées à mort
après la quatrième récidive.
Art. 134- Si deux femmes sans liens de parenté se trouvent nues
et sans nécessité apparente sous la même couverture,
elles seront condamnées à plusieurs coups de fouet qui
pourrait atteindre les 100 (extrait du site www.iranfocus.com).
Après une première publication en italien
en 2006, Le
jardin de Shahrzad (publié en 2009 en France aux éditions
KTM, spécialisées dans les textes de fiction consacrés
à l'amour lesbien), met en scène des amours entre femmes
en Iran ; le pseudonyme Vida est collectif (trois lesbiennes et une transexuelle
: voir ICI
l'interview d'une des auteures).
Censure et littérature :
L'impact du régime sur la littérature s'exerce
par la censure : chaque livre avant impression devant obtenir l'autorisation
de publication, les maisons d'édition par conséquent examinent
minutieusement chaque ouvrage. Puis l'autorisation de distribution reste
entre les mains du Bureau du livre du ministère de la Culture.
Le mot ''censure'' n'étant jamais prononcé en Iran, on parle
plutôt d'''audit''. Certains ouvrages ou auteurs sont jugés
''impubliables'', en raison de leur message ''anti-islamique'', ''contre-révolutionnaire''
ou ''subversif'' : la censure peut concerner les thèmes contre
les traditions ou contre les lois islamiques et entraîne des suppressions
complètes de quelques parties, ou se contente de quelques petits
changements. Par conséquent, les romanciers iraniens évitent
les sujets risqués et les scènes problématiques :
par exemple, les détails d'une relation intime n'ont pas de place
dans le roman iranien.
La
littérature persane est renommée pour sa poésie.
Les poètes Saadi
(1210-1292), Hafez
(1325-1389) et Rûmi
(1207-1273) sont révérés. Le
Cantique des oiseaux est un recueil de poèmes célèbre
de Farîd-ud-Dîn
Attâr (1142-1220).
Le poème du XVe siècle,
Layla et Majnûn, les Roméo et Juliette de la littérature
persane, est mentionné dans le roman lesbien cité plus haut
(Le
jardin de Shahrzad) car l'héroïne s'identifie à
Majnûn, poète androgyne et mystique fou d'amour. Les deux
amantes se recueillent devant le mausolée
du poète Hafez.
Le classique iranien évoqué dans la nouvelle "Le
Père-Lachaise" est La
chouette aveugle, publié en 1936 par Sadegh Hedayat,
considéré comme l'un des plus grands écrivains de
l'Iran moderne : on lui doit pour la première fois en Iran une
véritable écriture romanesque, car avant lui la littérature
n'était presque exclusivement que représentée par
la poésie. Il est mort à Paris en 1951, enterré au
cimetière du Père-Lachaise (85e division).
Des écrivaines
iraniennes
Deux poétesses célèbres
- Parvin
Etesâmi (1907-1941) respecte la tradition classique littéraire
persane. Loriginalité de son oeuvre réside dans une
autre forme de poésie, celle du monazereh, ou dialogue,
mettant en jeu des êtres humains, des bêtes, des plantes,
des objets, des notions.
- Forough
Farrokhzad (1935-1967), morte à 33 ans a aussi réalisé
des films, joué sur scène. Le film de Kiarostami Le vent
nous emportera est titré d'après l'un de ses poèmes.
Plusieurs
livres sont traduits en français, ainsi que ses
oeuvres complètes. Elle est lune des figures les plus
marquantes de la poésie persane au XXe siècle. L'article
suivant fait le point sur son apport exceptionnel : "Retour
sur luvre de Forough Farrokhzâd et sa reception",
Mahsa Hashemi Taheri, La Revue de Téhéran, n°
109, décembre 2014.
Voir aussi "Deux
grandes figures féminines de la poésie iranienne contemporaine
: Parvin Etesâmi et Forough Farrokhzâd", Afsaneh
Pourmazaheri et Nahid Zandi, La Revue de Téhéran,
n° 55, juin 2010.
La première romancière
C'est en 1969 que sort en Iran le premier roman dont à la fois
l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont... une femme. Il
s'agit de Sou Va Choun (Le deuil de Siavosh) de Simine
Daneshvar (1921-2012), best-seller de qualité qui reçoit
un accueil jubilatoire du public et est réédité quinze
fois de suite. L'auteure introduit une révolution dans la prose
persane : pour la première fois de l'histoire de cette prose, la
femme iranienne est représentée à travers le regard
d'une femme et non celui d'un homme. Jadis vues par les hommes, les femmes
iraniennes dans la littérature étaient souvent dépossédées
de leurs corps et émotions, ou réduites à un statut
social idéalisé d'épouse, de veuve ou de mère.
Une héroïne des lettres
Shahrnoush
Parsipour, née en 1946, emprisonnée quatre fois durant
plus de cinq ans, a une oeuvre remarquable, avec 10 romans, des nouvelles,
ses Mémoires de prison, a traduit des oeuvres anglaises
et françaises vers le persan, est l'auteure d'essais, etc. Son
roman Femmes
sans hommes a été adapté au cinéma.
Sur les écrivaines iraniennes contemporaines,
deux livres, deux articles
- Les
mots et les enjeux : le défi des romancières iraniennes
de Leyla Fouladvind, L'Harmattan, 2014. Résultat de sa thèse
de sociologie soutenue en 2012 à lEHESS, le livre se fonde
sur huit écrivaines dont Zoyâ Pirzâd (et Farkhondeh
Aghayi, Tahereh Alavi, Fattaneh Hadj Seyyed Djavadi, Chahrnouche Parsipour,
Moniro Ravanipour, Parinouche Sanii et Fariba Vafi). Elle avait
écrit auparavant
La femme poétique : l'image de la femme chez les poètes
persans (1885-1964), Éditions Universitaires Européennes,
2010. Et a traduit du français en persan La
mort en Perse d'Annemarie Schwarzenbach, éd. Nachr Tarikh,
Téhéran, 2008.
- Les
mots sont mes armes : les femmes écrivains iraniennes et la liberté
de mouvement de Farzaneh Milani, Lettres personnes, 2012, publié
d'abord aux États-Unis en 2011 (Words,
Not Swords : Iranian Women Writers and the Freedom of Movement).
Elle avait déjà écrit Voiles
et paroles : la voix émergente des femmes écrivains iraniennes
en 1992.
- "Iran
La littérature féminine", Habibi Faranguis,
Confluences Méditerranée, n° 67, 2008.
- "Le
discours littéraire des Iraniennes", Katâyoun Vaziri,
La Revue de Téhéran, n° 93, août 2013
Relevant du témoignage plus que de la littérature,
voici d'autres livres de femmes sur l'Iran, dont certains furent
des best-sellers ; aucun n'est écrit en persan, aucun par une femme
vivant en Iran (contrairement à Zoyâ
Pirzâd) :
- 2000 : Persepolis
de Marjane Satrapi, franco-iranienne vivant à Paris, qui a adapté
Persepolis, BD autobiographique, à l'écran.
- 2016 :
Désorientale de Négar Djavadi, scénariste,
réalisatrice et écrivaine franco-iranienne, vivant à
Paris.
- 2003 : Lire
Lolita à Téhéran de Azar Nafisi, professeure,
romancière iranienne exilée, devenue américaine.
- 2014 : Vivre
et mentir à Téhéran de Ramita Navai, journaliste
anglo-iranienne vivant à Londres.
- 1988 : Jamais
sans ma fille de Betty Mahmoody, américaine, connue surtout
pour ce livre et sa lutte pour les droits des enfants.
Les commentaires de Farzaneh Milani, qui enseigne la
littérature persane et les women's studies à l'Université
de Virginie, incitent, dans le livre cité plus haut (Les
mots sont mes armes), à considérer avec prudence
deux de ces livres : Lire
Lolita à Téhéran et Jamais
sans ma fille. Elle montre en effet que ces deux ouvrages, d'une
part font l'impasse sur l'activité voire l'activisme d'Iraniennes,
et d'autre part dressent un tableau empreint d'erreurs ; par exemple,
le club de lecture qu'animait Azar Nafisi n'était pas interdit
comme elle le présente (clandestin). En revanche, elle approuve
l'introduction de Marjane Satrapi à Persepolis,
qui est bien plus nuancée sur l'état de la société
iranienne.
Quelques autres
femmes iraniennes marquantes
- Pourandokht
et Azarmidokht,
soeurs, furent successivement impératrices perses de la dynastie
sassanide au VIIe siècle.
- Fatemeh
(1817-1852), appelée aussi Tâhereh la Pure, fut une poétesse
(dont des poèmes sont traduits
en français), pionnière du mouvement féministe
en Iran du XIXe siècle. Première femme apparaissant non
voilée en public, elle fut une figure du mouvement
Bahai qui se prononça pour lémancipation
féminine et apporta son soutien aux féministes iraniennes.
Après 4 ans d'emprisonnement, Fatemeh finira exécutée
pour avoir tenté de tuer le roi Nasseredin
Shah (qui fut reçu en grande pompe par la reine Victoria au
château de Windsor en 1889). Quand on lui annonça son exécution
par pendaison, elle se fit belle et déclara fièrement :
"Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais jamais vous n'arriverez
à empêcher l'émancipation des femmes !" Elle
fut finalement étranglée avec son foulard de soie par un
soudard ivre et son corps fut jeté au fond d'un puits et recouvert
de pierres.
- Shirin Ebadi,
née en 1947, reçoit le prix Nobel de la paix en 2003. Avocate
féministe défendant les droits de lhomme, elle permet
ainsi aux militantes iraniennes du droit des femmes de faire davantage
entendre leur message en Occident. Ancienne juge et présidente
du tribunal de Téhéran sous le Shah, aujourdhui avocate
au Barreau de Téhéran, Shirin Ebadi défend des prisonniers
politiques et des enfants. Elle est également à lorigine
de la célébration en Iran de la journée internationale
de la femme et elle crée la Société pour la protection
des droits de lenfant.
- Faegheh Atashin,
née en 1950, mieux connue sous son nom de scène Googoosh,
est une célèbre chanteuse pop interdite de représentation
publique depuis la révolution islamique, comme toutes les chanteuses.
- Tahmineh Milani,
née en 1960, est une réalisatrice iranienne, auteure de
Deux femmes sorti en 1999.
- Mahsa Shekarloo (1970-2014), fonde en 2000 le premier webmagazine féministe
iranien, baptisé Badjens,
jeu de mots entre l'anglais "bad" et le persan "jens",
qui peut se traduire par "mauvais genre".
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Rencontre : Zoyâ
Pirzâd : "Les mots dépendent des personnages",
Le Monde, 18 juin 2009, propos recueillis par Nils C. Ahl ("Les
cinq textes correspondent à cinq façons différentes
de considérer une même expérience à travers
des personnages autonomes. Elle voulait cinq tons, cinq registres de langue
sans rapport entre eux.")
Portrait :
Zoyâ Pirzâd ou lécriture fragmentée Lucie
Geffroy, L'Orient Littéraire, novembre 2009
(« Ma mère,
Arménienne à 100 %, a épousé un musulman et
est devenue musulmane. À lécole arménienne,
on me regardait de travers parce que mon nom ne finissait pas en ian»
.
« Jai la hantise dennuyer le lecteur, si un de mes
personnages parle trop, je lui rabats le caquet sans états dâme.
»)
Interview vidéo
sur le site de la
Librairie Mollat, 22 juillet 2011, 5 min : très intéressante,
elle explique ses influences, son intérêt pour les femmes
("Les femmes sont plus intéressantes que les hommes"),
l'universalité des réactions...
Entretien par Naghmeh Tarjoman
Porshkoh, réalisé le 24 juillet 2015 pour sa
thèse soutenue en 2018, dont voici quelques extraits.
À propos de la censure
Zoyâ Pirzâd :
« Cette question n'a jamais changé ma manière d'écrire.
J'écris pour moi-même et même au moment d'écrire,
je ne pense jamais au fait que mon oeuvre est publiable ou pas. Si le
livre obtient son droit de publication et est distribué, tant mieux
; sinon j'attends. (...) Mes oeuvres n'ont
jamais subi la censure. Je tiens toujours ma parole. Je ne change jamais
le récit que j'écris. Je préfère qu'il ne
soit pas publié. »
Le lien vie/fiction
« Tout influence un auteur. Toute une vie, cette nappe, toi-même,
même ton collier ! Moi, j'oublie tout, j'oublie le nom des gens,
j'oublie tout. Je suis souvent dans la lune. Pourtant, c'est très
bizarre, quand je me mets à écrire, le moindre détail
ressurgit dans ma tête. Par exemple, il est possible que je me souvienne
de ton collier et que je le mette au cou d'un personnage. »
« Moi, je travaillais, à l'âge
de dix-huit ans, dans une agence de voyages. [
] Aussi ai-je
créé un personnage qui travaille dans une agence de voyages.
Dans la nouvelle "Père Lachaise", il existe un jeune
couple dont la femme, Taraneh, travaille dans une agence de voyages. Effectivement,
les gens t'influencent. Globalement, la vie, cet arbre, cet endroit t'influencent
au moment de l'écriture. »
Une écriture féminine ?
« À mon avis, cette
question n'a pas d'importance. Tout dépend de qui tu es et de ta
manière d'écrire. Par exemple, Balzac était un homme,
pourtant il portait beaucoup d'attention aux détails des couleurs.
Certainement, il existe des différences entre homme et femme, mais
peu importe quelle est la différence. Un livre est bien écrit
ou mal écrit. Peu importe qu'il soit rédigé par un
homme ou par une femme. »
Le féminisme
« Certains pensent quil faut écrire
de la littérature féministe pour libérer des femmes
! Moi, je n'y crois pas ! Au contraire, à mon avis, il faut écrire
au sujet de la vie ordinaire de femmes normales. Des femmes qui ne sont
pas Jeanne d'Arc. C'est beaucoup plus efficace. »
L'écriture
- La non-description : « tu peux rencontrer
quelqu'un qui t'influence, au bout d'un certain temps tu peux complètement
oublier son visage mais sa personnalité et son caractère
resteront gravés dans ton esprit ». Elle ajoute
que la création du personnage ressemble à une esquisse :
« Je présente l'idée générale puis
chaque lecteur le dessine selon son goût. Il n'est pas nécessaire
de préciser tous les détails. Moi, je me limite à
certaines particularités générales comme la couleur
des yeux ou la forme des cheveux et c'est tout. »
- Une dimension cinématographique ? « Quand j'écris,
je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur
la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture
est fondée sur l'observation. J'observe beaucoup, les gens qui
me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et
je saisis forcément quelque chose. Lorsque j'écris, je me
projette moi-même dans la scène, c'est ainsi que cela fonctionne.
»
Entretien dans
Courrier international,
3 novembre 2009
Le prix Courrier international du meilleur livre
étranger a couronné cette année l'écrivaine
iranienne Zoyâ Pirzâd pour son recueil de nouvelles Le
Goût âpre des kakis, paru aux éditions Zulma. Entretien
avec cette auteure qui occupe une place atypique dans la littérature
persane.
Vous venez de recevoir le prix Courrier international pour Le
Goût âpre des kakis et vous avez également
reçu de nombreuses récompenses en Iran, notamment pour votre
dernier roman C'est
moi qui éteins les lumières (à paraître
en 2011 aux éditions Zulma). Est-ce très important pour
vous de voir vos uvres diffusées à l'étranger
et récompensées par des prix ?
Zôya Pirzâd : C'est un véritable encouragement
de voir que mon travail est reconnu, que des gens l'ont lu et aimé.
C'est pour cette raison que cela m'a fait plaisir de recevoir le prix
Courrier international. J'aime quand des gens viennent me voir
pour me parler des livres, ou quand je lis des commentaires sur des blogs.
Mais je n'aime pas trop m'asseoir avec des intellectuels pour parler littérature.
Je n'ai pas vraiment le sentiment de faire partie d'une lignée
ou d'un groupe d'auteurs iraniens, parce que le genre de la nouvelle et
ma manière d'écrire sont totalement
différents de ce qui s'est fait et se fait en Iran. Je pense qu'être
un écrivain c'est tout simplement écrire. L'autre volet
du métier, le contact avec les lecteurs, est très intéressant.
Le lecteur ne ment pas, il a aimé ou pas !
Vos personnages principaux sont souvent des femmes.
La femme iranienne telle qu'on la découvre à travers vos
uvres semble coincée entre la pression familiale, la nécessité
de travailler et ses désirs d'épanouissement personnel.
J'écris beaucoup sur les femmes car
elles sont au centre de mes préoccupations en ce moment. Le fait
que les femmes soient considérées comme forcément
dépendantes des hommes, c'est quelque chose qui me dérange.
En Iran, en Arménie, en Inde, dans beaucoup de pays de culture
non occidentale, la fille est d'abord, lorsqu'elle naît, la fille
de son père, puis elle est la femme de son mari, puis la mère
de son fils. Le sort de la femme est toujours lié à celui
d'un homme. Voilà ce que la société attend des femmes :
travailler à la maison, se marier, puis avoir des enfants. C'était
le cas en France il y a une cinquantaine d'années. Néanmoins,
la situation a évolué en Iran. Les nouvelles du Goût
âpre des kakis reflètent largement la réalité,
à savoir que certaines femmes travaillent et que d'autres restent
à la maison, comme dans beaucoup de pays. La particularité
en Iran, c'est que la famille est encore très envahissante. Dans
mon roman On
s'y fera par exemple, on m'a souvent demandé comment il
était possible qu'Arezou, une femme de caractère, qui dirige
une entreprise et qui a des hommes sous ses ordres, soit si soumise aux
exigences de sa mère et de sa fille. Beaucoup m'ont dit que cela
n'était pas crédible. Mais la relation mère-fille
est vraiment spéciale, et on en a une double preuve dans ce roman.
On voit beaucoup de femmes très fortes aux prises avec leur mère.
Elles sont coincées entre leurs obligations et leurs aspirations.
Arezou est obligé de travailler, de subvenir aux besoins de sa
famille, mais, dans son cur, elle veut être amoureuse, vivre
une vie simple.
Vous avez le sens du détail, une écriture très
minutieuse, et pourtant on ne sait pas grand-chose sur vos personnages.
Anton Tchekhov a dit que lorsqu'on décrit
une pièce au début d'un roman, si l'on parle d'un fusil
accroché à un mur, alors il faut que ce fusil revienne à
un moment donné de l'intrigue, qu'il ait un sens. On ne fait pas
une description de musée. Lorsque l'on décrit une maison,
on montre le caractère de son personnage. Si on trouve dans mes
nouvelles un appartement surchargé, où il y a par exemple
et un chauffage électrique et une cheminée, on sait que
l'on se trouve dans une famille de nouveaux riches de Téhéran.
Les choses ont davantage d'impact lorsqu'on les dit de manière
indirecte. Les personnages peuvent aussi donner des informations sur eux-mêmes
à travers les dialogues. Je pense que pour le lecteur c'est plus
intéressant. Je souhaite surtout qu'il ne s'ennuie pas. Pour moi,
c'est le plus important, car moi-même en tant que lectrice, si ça
ne m'intéresse pas, je me lasse très vite.
Vous dites vous inspirer beaucoup des films classiques et vous avez
une écriture très cinématographique, où l'on
peut même imaginer les gros plans.
Quand j'écris, je vois la scène
qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient
sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée
sur l'observation. J'observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand
je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément
quelque chose. Lorsque j'écris, je me projette moi-même dans
la scène, c'est ainsi que cela fonctionne.
Votre écriture est très simple, contrairement
à ce qu'on peut lire dans la majorité de la littérature
persane.
Je pense que chaque écrivain écrit
comme il est. Moi-même je ne suis pas quelqu'un de trop compliqué,
c'est pour cela que j'écris comme ça ! Ce que je n'aime
pas dans la littérature iranienne, c'est que les personnages ne
parlent pas comme dans la vie quotidienne. Quand j'ai commencé
à écrire, les mots se sont présentés comme
ça, et je me suis dit oui, je suis proche de cette écriture,
c'est ma langue. Le dialogue est très important, surtout dans la
langue persane, il peut vite être d'un style très lourd.
Les auteurs iraniens tentent d'écrire en style direct ou indirect.
Moi, tout mon effort est de n'écrire ni en style direct ni indirect.
Autant que je peux, j'essaie de rapprocher la langue écrite de
l'oral. Mon obsession est de simplifier la langue. De plus, quand on écrit
une nouvelle, les mots doivent correspondre au cadre et au rythme de la
nouvelle. Dans la nouvelle "Le Goût âpre des kakis",
en persan, le rythme est totalement différent de celui de la nouvelle
"Les Taches". Pourquoi ? Parce que, dans "Le Goût
âpre", la femme est une aristocrate qui vit seule dans une
grande maison. Le temps passe lentement. Dans "Les Taches",
le rythme est très rapide, comme la vie d'un couple qui se délite.
C'est particulièrement frappant dans On
s'y fera. Lorsque j'ai écrit ce livre, on m'a dit : "Mais
étiez-vous si pressée de terminer ce livre ?" Je n'étais
pas pressée, je l'ai écrit au rythme de Téhéran,
très rapide de nos jours. Dans C'est
moi qui éteins les lumières, tout est très
lent, car Abadan [la ville natale de Zôya Pirzâd, dans le
sud-ouest de l'Iran], dans les années 1960, était une ville
très calme. Dans "Le Goût âpre", il y a des
mots ne sont jamais utilisés dans "Les Taches", parce
que cela ne correspond pas aux personnages. Je recherche la simplicité
et la justesse. Et c'est très difficile d'écrire simplement.
Dans votre roman
Un jour avant Pâques, vous situez la trame au sein de la
communauté arménienne. Vous êtes vous-même d'origine
arménienne. Comment conciliez-vous les cultures arménienne
et persane ?
La culture arménienne est très
différente. Les Arméniens vivent depuis quatre cents ans
en Iran mais ils ont conservé beaucoup de leur culture, même
s'ils ont emprunté beaucoup à la culture persane. Je possède
les deux cultures, et je suis confrontée aux problèmes qui
résultent de chacune d'elles. Les Arméniens sont très
chatouilleux sur leur langue et leur culture. Au début, je n'étais
pas favorable à cette forme d'intolérance. Moi-même
je l'ai subie. Ma mère, arménienne à 100 %, a épousé
un musulman. Cela a été très difficile pour elle,
sa famille l'a rejetée. Je me suis toujours fait importuner à
l'école arménienne, parce que mon nom ne finit pas en "ian".
Tant que je n'étais pas allée en Arménie, je n'avais
pas de proximité avec les Arméniens. En y allant, je me
suis rendu compte que si les Arméniens n'étaient pas comme
ça, ils n'existeraient plus. Dans Un
jour avant Pâques, c'est en quelque sorte de moi que je
parle même si l'histoire est fictive.
Dans vos livres, les personnages partent souvent aux États-Unis
ou en reviennent. Peut-on parler d'une fascination iranienne pour les
États-Unis ?
Les États-Unis ont un rôle très important pour les
Iraniens. Tout ce qui vient d'Amérique, la culture américaine,
exerce un grand attrait. Surtout depuis la révolution [islamique
de 1979], beaucoup veulent partir et vivre le rêve américain,
ils pensent que tous leurs problèmes vont s'arranger, ce qui n'est
souvent pas le cas, c'est même pire. En Iran, les gens qui vivent
aux États-Unis ou qui y vont régulièrement aiment
bien le montrer. Ils regardent les autres Iraniens avec une certaine condescendance.
Dans On
s'y fera, il y a une femme qui discute avec sa fille chez le coiffeur
et qui s'évertue à ponctuer ses phrases persanes de mots
anglais. Cette scène s'est réellement produite, je l'ai
mise telle quelle dans le livre ! C'est ce que nous appelons la culture
losangelesi [de Los Angeles, où vit une très importante
communauté iranienne]. Un jour, une Iranienne naturalisée
américaine m'a dit : "Je suis tellement fière de mon
passeport américain !" Je lui ai répondu que, de mon
côté, j'étais très fière de mon passeport
iranien. Je ne suis jamais allée aux Etats-Unis et je n'ai pas
du tout envie d'y aller !
Propos recueillis par Hamdam Mostafavi
Courrier
international, 3 novembre 2009
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