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Nos RÉACTIONS à
la lecture de
Derrière
l'épaule de
Françoise Sagan
Lors de ce 13 février 2022, nous étions 14
à avoir lu derrière l'épaule de Sagan
et à exprimer nos réactions
:
- en visio (9) : Agnès, Claire, Clara, Felina, Joëlle L, Laetitia,
Lucie, Patricia, Sandra
- par écrit lu à haute voix (5) : Aurore, Joëlle M,
Marion, Mathilde, Nathalie.
Étaient bien prises par ailleurs : Brigitte, Ingrid, Marie-Claire,
Muriel, Nelly, Sophie, Stéphanie, Véronique. Flora gardait
un bon souvenir d'un roman qu'elle avait lu, mais n'avait pas envie d'une
"autobiographie".
Le
decrescendo de la séance |
Certaines n'avaient jamais
lu Sagan, d'autres l'avaient lu jadis différence qui
n'influa d'ailleurs pas sur les réactions au livre.
Le hasard a ainsi fonctionné
: tous les avis formulés étaient successivement fort positifs,
puis peu à peu, ça s'est grippé et les griffes sont
sorties : de fans à mitigées en passant par des détractrices,
telle fut la courbe agitée des avis... Il y eut des extrêmes
dans un sens ou un autre, mais aussi des réserves légères
qui atténuaient des avis positifs ou, chez les sévères,
quelques douceurs émergeant quand même...
Joëlle M, Marion, Nathalie,
Mathilde, Aurore, Agnès, Laetitia, Sandra,
Claire et Felina apprécièrent le livre.
Clara,
Lucie, Joëlle L et Patricia eurent la dent dure.
Une des difficultés
pour rendre compte de la lecture du livre est que le personnage de Sagan,
découvert d'ailleurs par plusieurs d'entre nous incarné
à l'écran par Sylvie
Testud, a tendance à se substituer au livre : aime-t-on le
livre ou aime-t-on Sagan ? Parvient-on à s'en tenir au
livre ? Non ? Cela fait partie du plaisir... Sa vie est romanesque, flamboyante
: un parallèle a été fait par Agnès avec Virginie
Despentes, qui se distinguent pour elle et par leur écriture
et par leur côté rock star. D'ailleurs, plus d'une
aurait envie de fréquenter
son manoir,
de l'avoir pour amie : rien
qu'à la lire, Felina aimerait carrément l'étreindre...
Laetitia pense carrément l'inviter à une séance de
Lirelles...
L'originalité du choix
de Sagan a été soulignée : retracer la vie de ses
romans plutôt que sa vie.
L'humour,
le sens de l'autodérision, la lucidité, la modestie parfois,
ont été vivement appréciés. Nathalie a trouvé
la distance qu'elle
établit entre elle et son uvre amusante, plaisante.
Selon
les lectrices, outre le ton, le rythme du livre a séduit, son énergie
ainsi que la fluidité, l'élégance de l'écriture,
y compris du titre.
Ont
été remarqués son aplomb, la faculté de parler
légèrement de choses graves, également
l'irrévérence,
l'absence de considérations
morales. Se moquer
de ce qu'autrui pense de soi
n'est pas si banal.
Sa
culture, ses réflexions sur l'imagination, la mémoire, l'écriture,
le monde de l'édition, ont intéressé. L'amour de
la littérature qui transparaît n'a pas laissé Sandra
indifférente. Aurore a été captivée par l'analyse
critique de ses livres.
Certains
aspects l'ont fait découvrir autre qu'on se la représentait,
remarque Mathilde, par exemple sur les injustices ; ou encore à
propos de l'écologie des préoccupations prémonitoires.
Le nombre de ses livres est impressionnant
: et pas seulement des romans, des pièces qui ont d'ailleurs eu
du succès, des chansons...
Le
désir de lire d'autres livres de Sagan, déclenché
par le livre, a été partagé.
Un
clin d'il est à noter à notre
prochaine lecture (dans le chapitre "Un orage immobile")
:
Les écrivains
anglais ou américains que jadore, de Dorothy
Parker à Barbara Pym, en passant par David Lodge et Alison
Lurie, se passent fort bien de Dieu, dautant que les pasteurs
anglicans se laissent volontiers emporter par les sentiments exaltés
ou passionnés de leurs paroissiennes.
L'absence de table des matières
est regrettable.
Des commentaires sur
des livres qu'on n'a pas lus sont démobilisateurs, voire ennuyeux.
L'écriture a paru
bâclée et Joëlle L s'est habilement déchaînée
pour le montrer, proposant un autre titre au livre : "Par-dessus
la jambe"...
On a l'impression que Françoise
Sagan fournit les clichés attendus de son personnage. Ce qui fait
qu'on n'est pas touchée.
Lucie
s'est posé la question du pourquoi de ce livre : est-ce une commande ?
Clara y a vu plus une suite d'articles qu'un livre.
On aurait attendu qu'elle évoquât (!)
la création de ses livres et non pas seulement la réception
de ceux-ci. Patricia
(qui avait lu Sagan
à toute allure)
aurait aimé qu'elle aborde le sens de son uvre, absent
de ses commentaires.
Elle
ne raconte pas sa vie mais celle de ses livres ; néanmoins elle
évoque à maintes reprises ses proches : nulle évocation
de ses amantes, notamment Peggy Roche (à qui Marie-Ève Lacasse
a consacré un roman : Peggy
dans les phares). C'est un vif reproche quasi unanime, qui vaut
d'ailleurs au-delà de ce livre.
Peggy
et Françoise
Joëlle
M (au fond de son lit, a juste la force de dire...)
Jai bien aimé le livre.
Marion
(brièvement au téléphone)
J'ai beaucoup aimé et le livre m'a donné
envie de relire ses livres (j'ai relu Bonjour Tristesse) ou lire
ceux que je n'ai pas lus.
Nathalie
Voici mon bref avis sur Derrière
l'épaule.
J'ai apprécié la tonalité de ce livre. J'ai lu cette
autobiographie comme un roman !
J'ai bien aimé le choix de l'autrice : l'idée de retracer
les moments importants de sa vie par le truchement de ses romans est plutôt
originale et que les romans (la fiction) "servent" à
relater une vie est un joli tour de maîtresse.
J'ai bien aimé l'humour, le recul que Sagan prend. Cette autodérision,
cette distance qu'elle établit entre elle et son uvre sont
amusantes et plaisantes.
Derrière l'épaule, j'aurais presque envie de dire
par-dessus l'épaule...
Je n'ai malheureusement pas pris le temps de relire Bonjour tristesse"...
Aurore
J'ai beaucoup aimé Derrière l'épaule ; je
dois avouer que j'étais assez sceptique au début, je ne
sais pourquoi d'ailleurs. Je m'attendais à ce que Françoise
Sagan parle de sa vie (en omettant Peggy Roche), mais elle a plutôt
parlé de ses livres et j'ai été captivée par
l'analyse critique qu'elle fait de ses propres ouvrages. Elle n'est pas
tendre avec elle-même ! Son texte est également rempli d'humour,
ce qui m'a aussi bien plu (et fait sourire à de nombreuses reprises
!). Il n'échappe néanmoins pas à quelques digressions,
telles que son abhorration pour les contes (que je partage néanmoins
dans une certaine mesure).
Pour le rythme, Françoise Sagan parle des critiques qui écrivent
que ses livres ont un rythme très rapide ; Derrière l'épaule
ne déroge pas à cette remarque, je l'ai lu assez rapidement,
j'ai été happée par cette prose énergique.
J'ai également beaucoup apprécié ses réflexions
sur l'imagination, la mémoire et l'écriture, qui apparaissent
tout au long du parcours, ainsi que le regard tendre ou parfois cruel
qu'elle pose sur ses personnages.
Je ne savais pas que Françoise Sagan avait autant écrit,
et cela m'a donné envie de découvrir certains de ses livres
(pas Un
profil perdu* !). En somme, j'ai été sensible à
l'humour et à la leçon de littérature qu'elle nous
propose, de son succès inattendu à la fin de sa carrière.
J'ai aimé me promener dans ses livres, main dans la main avec elle.
*Vu ce que Sagan en dit... : "Jen suis
au Profil perdu dont jai lu quelques pages et que jai feuilleté
ensuite, dont jai regardé la fin et dont la lecture mapparaît
comme une corvée. Cest une histoire qui ne tient pas debout,
qui est assommante, entre deux héros également sans intérêt.
Je me demande même comment jai pu écrire cela pendant
des mois et comment mon éditeur Flammarion, en loccurrence
ne men a pas signalé les défauts. Il faut
croire que mes tirages ont eu plus dinfluence sur mes éditeurs
(on peut dire mes marchands, dans ce cas) que la littérature.
Jaurais plutôt honte, maintenant, davoir gagné
un sou avec ce texte.
Mathilde
Françoise Sagan y évoque, de manière
rétrospective, les 20 romans qu'elle a publiés entre
1954 à 1994, soit sur 40 ans.
Comme plusieurs parmi vous, sans doute, j'en ai lu plusieurs - mais seulement
ceux de ses débuts d'écrivaine (Bonjour tristesse, Un
certain sourire et Aimez-vous Brahms ?
) que j'avais appréciés,
bien sûr, mais dont l'univers très hétérosexué,
ne me fascinait pas plus que cela
J'étais donc plutôt intriguée en commençant
ce livre qui a été proposé à Lirelles.
La lecture des 20 chapitres très courts, s'est avérée
aisée et agréable
mais, de fait, il n'est pas simple
"d'écouter" parler quelqu'un de livres que l'on n'a pas
lus (soit 13 ouvrages sur 20 pour moi !), d'où une certaine lassitude
en fin de parcours !
Cependant, pour chacun d'entre eux, j'y ai trouvé des choses fort
intéressantes, bien au-delà de son travail d'écriture,
qui concernent sa vie
: ses éditeurs, ses amours - sa
liberté sexuelle (je n'aurais jamais imaginé Sagan faisant
l'amour dans une maison de passe, où elle croisait régulièrement
Sartre
), ses engagements féministes pour l'avortement, ses
voyages, sa fascination pour la poésie d'Aragon, son humour, ou
ses nombreux lieux de vie
Mais je dois dire que c'est au chapitre 10, consacré au roman Un
profil perdu - roman que Sagan considérait finalement
comme raté et assommant ! - que j'ai été le
plus surprise. En effet, elle dit qu'elle va "vite fait" passer
au chapitre suivant (le 11e) intitulé "Le Lit défait",
sauf que ce n'est pas du tout ce qui se passe, car elle reste bel et bien
au chapitre 10 et embraye :
"Le
Lit défait me rappelle un été
heureux, rue d'Alésia, une maison vide, et un trottoir jonché
de fleurs d'acacias. Je sens à nouveau leur odeur et je me rappelle
le pont de Tolbiac où, après avoir travaillé, j'allais
me promener à l'aube, respirer vers 5h du matin la Seine, l'eau
; et d'où je regardais fumer au loin ces usines égarées
au bord du fleuve, ces péniches encore endormies et le lever
du jour au loin."
De
même c'est là qu'elle écrit encore : "Je
me demande si on ne devrait pas, par la pendaison, la guillotine ou
le fusil, exécuter les personnages de l'ONU (entre autres), car
ces gens-là, quand on leur dit que la moitié du peuple
hutu sera massacrée le lundi, se donnent rendez-vous pour le
mardi, où ils pourront exprimer leurs regrets
"
Ou encore : "Ce
que peut supporter comme cruauté et injustices l'esprit d'un
peuple, n'est rien auprès de ce que peut supporter, avec cruauté
et injustice, l'esprit de plusieurs peuples".
J'avoue que c'est une Sagan
totalement inconnue qui m'est apparue ! Et rien que pour cela, je ne regrette
pas de l'avoir suivie, "derrière son épaule".
Juste un petit bémol, qui concerne la mise en
forme du livre (du moins celle de l'édition Plon que j'ai lue)
: aucun repère pour retrouver tel ou tel chapitre Tous les hauts
de page s'intitulent "derrière l'épaule" et il
n'y a pas de table des matières avec pagination associée
Agnès
(qui avait lu ce livre déjà
avant que nous le programmions, et qui a montré à l'écran
le livre d'Anne Berest Sagan
1954 consacré à l'année
où est sorti Bonjour tristesse,
ainsi qu'Un
orage immobile dédié
à Peggy Roche ; Agnès a évoqué
des passages du livre que nous avons lu sans faire de citations, mais
celles-ci sont reproduites ci-dessous)
Avec ce livre, je trouve que l'on poursuit bien notre envie de lire des
ouvrages plus dynamisants et moins sombres que ceux de l'année
dernière.
Titiou
Lecoq nous a permis de commencer l'année avec une belle énergie,
celui de Françoise Sagan m'a également fait beaucoup de
bien.
Tout d'abord, grâce à son humour :
- la farce qu'elle fait à ses ami·es endormi·es en
avançant leurs montre de plusieurs heures pour pouvoir aller à
la plage de bon matin :
Un beau matin récent, en effet, vers sept
heures, ayant travaillé toute la nuit, javais fait le tour
de la maison et avancé de cinq heures les montres de Bob, Sophie
Litvak et Bernard Frank. Javais remonté les pendules aussi
et les avais mises à midi. Puis jétais rentrée
gaiement dans leur chambre en criant : « Le petit déjeuner
! Il est prêt ! Il est midi. À la plage ! » Et jécoutais
leurs commentaires en trépignant de joie. « Mon Dieu
que je suis fatiguée
» disaient-ils. « Moi
aussi, pourtant on nest pas rentré si tard
»
« Ce que le ciel est blanc
» « Oui, latmosphère
est bizarre
Ce silence
pas un klaxon
» etc.
Nous étions donc montés en voiture et nous étions
arrivés en gambadant sur la plage (dont le propriétaire
commençait juste à allonger les matelas sur le sable).
Cest là que je filai sans demander mon reste, car la patronne,
ébahie, nous hélait avec laccent du Midi : «
Eh bé, quoi
Vous êtes tombés du lit, mes pôvres
Quest-ce que vous allez faire à cette heure-ci ?
La mer, elle nest même pas chaude
» Mes bêtises,
mon sens de la perturbation, mon goût des enfantillages, tout
cela avait été commenté et jugé à
mon retour. Mais, bien que boudée par une suite de dos bronzés,
je ne pouvais retenir mon rire. Jentendais encore : « Que
le ciel est blanc
Quelle drôle datmosphère
» tandis que ces cornichons tapotaient leurs montres comme si
elles eussent été responsables de leur crédulité.
- le poème de Prévert qu'elle lit au couvent :
La récitation dans un couvent élégant
de Paris dun poème de Prévert me fit mettre dehors.
Il nétait pas de très bon goût, je lavoue,
de le réciter dans un lieu consacré au Seigneur :
Notre Père qui êtes aux Cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
qui est parfois si jolie
- l'histoire du grand-père qui accroche son fauteuil au plafond
pour que personne d'autre ne l'utilise :
Pendant trente ans, par exemple, sétant
pris daffection pour un fauteuil précis, pas plus beau
quun autre, il avait décidé, pour quil ne
soit pas profané en son absence, de laccrocher au plafond
avec un système de poulie, un cadenas et une clef dont il ne
se séparait jamais.
Quand il partait pour lusine, tôt le matin et tôt
laprès-midi, il hissait son siège jusquau
plafond et ly accrochait. Il le redescendait à son retour
pour en profiter tout son saoul. Ma pauvre grand-mère recevait
ses amis proches ou ses relations lointaines sous ce fauteuil de Damoclès,
en donnant les explications les plus confuses.
- l'anecdote, que je connaissais, sur mai 68 (sa voiture de luxe) :
68 fut une année des plus amusantes et peut-être
plus libératrice que je ne le pensais. Je reçus des bombes
lacrymogènes chez Régine et je fis le taxi, des journées
entières, dans Paris, allant où désiraient aller
les auto-stoppeurs les plus divers. Certains dentre eux, qui avaient
bravement défié les forces de lordre, cédaient
parfois à leffroi une fois dans ma voiture. Je conduisais
très librement et mes jouets favoris me furent reprochés
un soir, à lOdéon, où une joyeuse et vociférante
assemblée se passait le micro de lun à lautre,
applaudis ou hués, pour évoquer la liberté, les
régicides, le prix des pommes de terre et le cinéma muet.
Il sen trouva un parmi eux qui, brandissant un micro à
lautre bout de la salle, sécria : « Madame
Sagan est venue en Ferrari, bien sûr, apprécier la révolte
des camarades étudiants ! » Des vociférations dont
jignorais le sens sensuivirent. On menvoya le micro,
auquel il fallut deux bonnes minutes pour me rejoindre, ce qui me donnait
le temps de chercher une parade cinglante (que je ne trouvai pas). Je
me bornai à me lever et à mécrier dans le
micro dun air sévère : « Cest faux !
Cest une Maserati ! » Comme on le sait, le rire est le plus
fort des arguments, en France tout au moins.
- la lettre d'un lecteur qui lui propose de faire affaire :
Jéprouve une indulgence sans fin et
sans limites pour certains de mes lecteurs et surtout pour ceux désespérément
lointains, ceux dont on reçoit ce genre de lettres :
Chère Madame,
Je vous lis depuis toujours. Jai beaucoup daffection pour
vous et destime, et je devrais vous parler dun projet fantastique
pour vous et pour moi. Voyez-vous, jai eu une vie passionnée,
inimaginable pour vous, et pour tout le monde dailleurs. Jai
pensé à vous la raconter directement, ou sur magnétophone,
car je nai pas eu le temps dapprendre à taper. Vous,
vous savez faire ça et si vous maidez à mettre en
forme mon histoire, vous la feriez publier (puisque vous avez des relations
dans le métier) et nous partagerions les revenus 50/50.
Nous pourrions même partager la gloire si vous y tenez (si vous
voulez vraiment être seule sur le titre, on peut toujours sarranger
: je suis honnête, tout le monde vous le dira).
Avec impatience, jattends, Madame, en même temps que toute
mon amitié et mes affectueuses pensées, une réponse
à cette bouée.
Votre dévoué et fidèle lecteur, peut-être
votre collègue bientôt,
Jean-Pierre Dubois, de Nevers
Ensuite, grâce à son élégance :
- l'élégance et la fluidité de son écriture,
qui m'enchante
- celle de son caractère, cette façon si britannique (understatement)
de parler de choses graves en atténuant le caractère dramatique,
quand elle parle de l'attentat de l'OAS qui l'a visée ; son autodérision
également sur ses problèmes d'élocution et son honnêteté
quand elle critique certains de ses livres qu'elle juge mauvais. Je trouve
qu'elle fait preuve de beaucoup de fair-play, d'élégance
toujours.
[un correcteur intransigeant]. Je parle de Philippe
Grumbach qui dirigeait un Express étincelant, grâce
à lui, semble-t-il, et auquel je téléphonai quand
lOAS me plastiqua chez mes parents. Mon récit le frappa
aussi peu que mon père, témoin blasé de lattentat.
Je nétais pas douée pour le drame que mon élocution
achevait dembrouiller.
Cet ouvrage m'a donné envie de poursuivre ma lecture (j'ai déjà
lu Bonjour Tristesse) par les romans suivants : Le
garde du cur (décrit comme son seul roman policier),
La
femme fardée et Avec
mon meilleur souvenir.
Le seul regret, toujours avec Sagan, est qu'elle ne fait jamais allusion
à son lesbianisme, elle a partagé toute sa vie successivement
avec plusieurs femmes et est enterrée avec Peggy Roche.
Joëlle
L (qui a rencontré Sagan quand
elle était enfant avec ses parents)
1) Derrière l'épaule ne
m'a pas emballée. J'aurais bien appelé ça "Par-dessus
la jambe" tellement j'ai trouvé ça bâclé.
J'avais le souvenir d'un style souple et précis que je n'ai pas
retrouvé dans ce texte écrit à la va-vite.
L'idée que j'y ai vue : "ils veulent du Sagan ? Je vais
leur en donner" et on enchaîne les clichés. L'élève
un peu cancre, les boîtes de nuit, les "surboums", la
Jaguar
sur un ton outrancier et surjoué, avec des effets
trop appuyés pour me toucher : on dirait du Alix de Saint-André.
Par exemple :
Je rentrais
dans un bistrot où le patron débonnaire me laissait siroter
interminablement un café imbuvable.
Quand enfin il partit, me laissant épuisée, je trouvai
ma mère pleurant de rire dans le grand salon avec cet air de
souffrance épuisée.
Par moment je n'ai même
pas compris ce que je lisais, tellement les phrases étaient confuses
et mal construites.
Le principe même me met mal à l'aise : revisiter son travail
titre par titres, c'est
- une auto-glorification (quand tout s'est bien passé)
- un plaidoyer "pro domo" quand le livre a été
mal reçu.
Et puis c'est très sympathique de lire des pages sur ses maris,
ses amants (quoique je doute) et son grand ami Jacques Chazot, mais ce
silence autour de Peggy Roche est vraiment insupportable. Surtout avec
cette excuse d'une mémoire complètement défaillante.
On n'est pas plus jésuite avec ce premier paragraphe du livre :
Je nai
jamais voulu écrire lhistoire de ma vie. Dabord parce
quelle concerne, heureusement, beaucoup de gens vivants, et ensuite
parce que ma mémoire est devenue complètement défaillante
: il me manque cinq ans par-ci, cinq ans par-là, qui feraient
croire à des secrets ou des cachotteries également inexistants.
Des références
sont bizarres :
- deux fois Barbara (!)
- "la charmante Antoinette FOULQUE" (pour Fouque) - et charmante,
hum.
Je note un clin d'il à notre prochaine lecture (Dorothy Parker,
dans le chapitre "Un orage immobile").
Côté
positif, j'ai été impressionnée par le volume de
production dont je n'avais pas pris conscience. On approche George Sand
! Et aussi par des éclairs de lucidité, voire de prescience
: "La terre est toujours aussi jolie quoique maltraitée
et semble-t-il condamnée à mort par ses habitants"
("Les merveilleux nuages")
Enfin j'ai regretté l'absence (dans la version numérique
que j'ai lue) d'un sommaire qui m'aurait été pratique pour
naviguer dans le texte.
2) Bonjour tristesse : je l'avais lu il y a bien longtemps. J'en
gardais un souvenir vague.
Un côté désuet m'a frappée :
- une situation qui date : on est dans une pièce de Sacha Guitry
en plus méchant. (Lana Marconi dans le rôle d'Anne
).
Le père qui "a des maîtresses" et sa façon
de ne pas le dissimuler est ressentie comme très audacieuse.
- des mots qui datent : femme de chambre, femmes entretenues, demi-mondaines,
grues.
- des idées et des comportements qui datent : femmes entretenues
versus femmes respectables, femme oisive qui dépense l'argent durement
gagné par son mari pour se payer des gigolos (la femme de Webb),
on parle mariage (Raymond/Anne, Cyril/Cécile) ; les jeunes filles
n'ont pas besoin de faire des études, puisqu'elles se marieront
avec un homme qui pourvoira à leurs besoins. Une histoire entre
gens très convenables en fin de compte. Tout le monde se dit "vous"
même Anne quand elle parle à Cécile. On s'habille
pour sortir (robes longues ? Ou robes fourreau ? Cécile qui monte
l'escalier avec difficulté à cause de sa robe avant de partir
à Cannes pour la soirée fatidique). La voiture a un rôle
pivot : Anne arrive avec sa voiture, ce qui déstabilise Raymond
et Elsa, c'est dans sa voiture qu'elle a un tête à tête
déterminant avec Raymond, et c'est avec sa voiture qu'elle va sortir
de l'histoire ; dans les années 50, la voiture était un
objet magique, et en plus difficile à obtenir ; Anne a une grosse
américaine décapotable : on ajoute au prestige d'avoir une
voiture le prestige qu'avait alors tout ce qui venait "d'Amérique"
comme on disait ; Anne prête le volant à Cécile, et
même lui laisse la voiture le soir de la virée à Cannes.
C'est une relation spéciale entre elles qui s'exprime par là.
La relation Anne/Cécile me semble très ambiguë : tendre,
tactile de la part d'Anne. Les gestes d'Anne vers Cécile sont longuement
décrits. Au retour de Saint-Raphaël, Cécile s'endort
sur l'épaule d'Anne et respire son parfum (ce qui arrive plusieurs
fois dans le récit). Les sentiments de Cécile pour Anne
sont fluctuants. Elle l'aime et la rejette en même temps. Elle hésite
longtemps à mettre son plan en uvre et quand elle a trop
bien réussi, arrive la tristesse.
Côté style j'ai apprécié de retrouver comme
dans mes souvenirs ce passé simple et ces imparfaits du subjonctif
très naturels + le bel usage qu'elle fait des adjectifs, toujours
choisis. En deux mots, tout est posé. Exemple : le portrait d'Anne
au début : "Elle était aimable et lointaine".
Les chapitres sont courts.
Au rayon des bizarreries, outre la conduite sans permis, il y a le problème
des cigales. Les cigales ne chantent qu'au soleil. Pour les entendre la
nuit, il faut être très saoule ou avoir des acouphènes.
Et à deux reprises, Cécile écoute les cigales, tout
en regardant les étoiles. Strictement impossible.
Pour conclure, je suis contente d'avoir relu ce livre que j'ai regardé
d'un il certainement plus aguerri et que j'ai pu lire avec le recul
du temps. Ce qui fait ressortir des faits qu'on n'aurait pas soulignés
à l'origine (cf. la voiture, cf. le trouble vaguement lesbien des
relations Anne/Cécile)
Claire
Pour contredire Joëlle... il semble que dans certains cas, les cigales
chantent la nuit, voir ici...
Pourquoi la référence à Barbara serait-elle bizarre
? Elles étaient copines... les voici à une première
de Barbara à l'Olympia en 1969. Notez le jeu de mains...
Pour ma part, j'ai
trouvé original le genre du livre, cette autobiographie littéraire
à 63 ans.
J'ai comme nombre d'entre nous aimé l'humour et la dérision
sur soi. Et les bons mots. Lors de ma première lecture, je n'aurais
pas disconvenue du mot utilisé par Joëlle : c'est "surjoué".
J'ai surtout été très déçue par la
superficialité "littéraire" des propos d'écrivaine
sur ses propres livres.
Je me suis souvenue d'avoir lu et aimé des livres d'elle. J'ai
donc lu Bonjour tristesse (sorti en 1954 et dans l'édition
d'origine) que j'ai vraiment adoré : j'ai compris pourquoi ce livre
avait fait scandale et comme il était novateur. J'ai visionné
le film Bonjour
tristesse d'Otto Preminger sorti 4 ans plus tard, avec Jean Seberg,
que j'ai également beaucoup aimé. Je me suis plongée
aussi dans Avec
mon meilleur souvenir qui évoque ceux qu'elle a connus
: Billie Holiday, Orson Welles, Carson McCullers que nous avions lue,
Marie Bell, Rudolf Noureev, Tennessee Williams livre qui se
termine par un chapitre
très émouvant sur Sartre. Et ce qu'elle dit déjà
(le livre est de 1984
et celui que nous avons lu de 14 ans plus tard) de Bonjour Tristesse
m'a paru parfait, cinglant comme elle sait l'être : "on
ne tolérait pas quune jeune fille de dix-huit ans fit lamour
sans être amoureuse avec un garçon de son âge et ne
fut pas punie. Linacceptable étant quelle ne fut pas
éperdument amoureuse et quelle ne tombe pas enceinte à
la fin de lété." (p. 57)
J'ai écouté avec un très grand intérêt
les 4
émissions de France Culture qui lui ont été consacrées
il y a 5 ans : spécialistes, ancienne amante, biographes..., avec
de nombreuses archives où on entend Sagan.
J'en étais à conclure ceci : je suis très contente
que nous ayons programmé Sagan, même si je pense que nous
n'avons pas choisi son meilleur livre ; il nous a permis d'entrer dans
son univers ; paraphrasant Sagan à propos de Bonjour tristesse,
je me disais alors : c'est "un livre qu'on peut lire sans ennui
et sans déchéance."
Puis j'ai repris le livre Derrière l'épaule que j'avais
lu plusieurs semaines auparavant. Toute empreinte de ce que j'avais lu,
vu, entendu, j'ai été complètement étonnée
: tout ce que je lisais m'enchantait. J'y voyais non seulement de l'esprit,
sans cesse pétillant, mais aussi de la profondeur. Donc, finalement,
ce livre ne m'a pas déçue et je suis ravie de l'avoir lu,
bien ensagannée...
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