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Monsieur Vénus,
un texte qui a bougé...
Depuis l'édition
de 1884 :
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en passant par l'édition de 1889
reprise par Rachilde et rééditée
pendant plus d'un siècle :
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jusqu'à l'édition
de 2022
que nous avons lue :
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La censure, ou dit moins brutalement "les corrections apportées
à la première édition"..., et ce pour éviter
les sanctions causées par première édition en Belgique,
sont les suivantes :
1- Une description de Raoule éprouvant
un orgasme (softement relaté) alors qu'elle rêvait de Silvert
(au chapitre 2) a été
retirée :
CHAPITRE 2
(version modifiée)
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CHAPITRE 2
(version originale)
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Il faisait très
froid. Raoule, blottie dans le fond de son coupé, avait baissé
les stores et appuyait fortement son manchon sur sa bouche.
Certes,
la nerveuse ne voyait point pour la première fois un garçon
bien bâti, mais ce souvenir de mâle frais et rose comme
une fille la hantait cruellement. Chez Raoule de Vénérande,
l'activité cérébrale remplaçait presque
toujours les situations positives ; quand elle ne pouvait vivre
un moment de passion, elle le pensait, le résultat était
le même. Sans vouloir se rappeler l'escalier sinistre de la
rue de la Lune, la fleuriste malade et sale, cette mansarde où
régnait une odeur atroce de pommes, elle se mit à
évoquer Jacques Silvert.
Se souciant peu de la roture
de l'ouvrier en s'abandonnant à un encanaillement fictif,
Raoule rêvait de sa chair touchée du bout du doigt
et les yeux mi-clos de la descendante des Vénérande
se noyaient d'une langueur délicieuse. Sa mémoire
ne lui fournissait déjà plus les moyens de réveiller
sa conscience. A sa honte éprouvée devant le mâle
qu'elle avait eu l'audace de rendre grossier succédait une
folle admiration pour le bel instrument de plaisir qu'elle désirait.
Déjà elle jouissait de cet homme, déjà
elle en faisait une proie, déjà peut-être elle
l'arrachait à son misérable milieu pour l'idéaliser
dans les spasmes d'une possession absolue. Et Raoule, bercée
par le trot rapide de son attelage, mordait ses fourrures, la tête
en arrière, le corsage gonflé, les bras crispés,
avec de temps à autre un soupir de lassitude.
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Lorsqu'elle fut dans son coupé,
Raoule abaissa les deux glaces et longuement aspira l'air froid.
Tout à l'heure, dans l'escalier
de Silvert, il lui avait fallu un suprême effort de volonté
pour ne pas défaillir. Toute cette organisation délicatement
nerveuse se tendit dans un spasme inouï, une vibration terrible,
puis, avec l'instantanéité d'un accident cérébral,
la réaction vint, elle se sentit mieux. Elle éprouvait
ce vague de l'être ; effet bizarre dont les derniers mouvements
d'un ressort brisé en pleine évolution, rendent assez
bien l'idée ; état dans lequel l'activité du
cerveau semble s'augmenter en raison de la détente des muscles.
Raoule évoqua Jacques Silvert. La fille
des Vénérande emportée au galop d'un rapide
attelage revenait par la pensée à l'ouvrier de la
rue de la Lune. Du sentiment de honte qu'elle avait éprouvé
en repassant le seuil de la mansarde, rien ne restait. Qu'importait
la naissance de cet homme pour ce qu'elle en voulait faire, l'enveloppe,
l'épiderme, l'être palpable, le mâle suffisait
à son rêve.
Ramenée à
l'exactitude des faits, sa mémoire ne lui fournissait rien
qui pût valoir un réveil de conscience. La femme qui
vibrait en elle ne voyait en Silvert qu'un bel instrument de plaisir
qu'elle convoitait, et, qu'à l'état latent, elle étreignait
déjà par l'imagination. L'il mi-clos, la bouche
entr'ouverte, la tête à l'abandon sur l'épaule
que par intermittence soulevait un long soupir d'apaisement, on
aurait dit une créature délicieusement lasse d'ardentes
caresses.
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2- Un chapitre
attribué à Francis Talman, co-auteur figurant sur la première
édition, a été
supprimé. Ce chapitre se concentrait précisément
sur le "genre" et les rapports de domination entre les deux
sexes.
Chapitre 7 (supprimé, présent
dans l'édition Imaginaire Gallimard)
L'homme assis à sa propre droite sur les nuées
d'un ciel imaginaire a relégué sa compagne au second rang
dans l'échelle des êtres.
En cela, l'instinct du mâle a prévalu. Le rôle inférieur
que sa conformation impose à la femme dans l'acte générateur,
éveille évidemment une idée de joug d'asservissement.
L'homme possède, la femme subit.
Les facultés passionnelles de celui-ci ne vont pas au-delà
des limites de sa puissance physique. Quand la procréation a
fait son uvre, l'apaisement descend en lui. Rien ne survit au
paroxysme sensuel.
Pour celle-là, au contraire, les manifestations brutales idéalisent
la chair, l'action des sens s'étend au domaine intellectuel,
l'imagination s'éveille aux aspirations sans bornes.
Tout est dit pour l'homme, repu, brisé, anéanti, il s'écroule,
et, pourtant, avide d'étreintes, appelant d'autres caresses,
évoquant de nouvelles joies., à ses côtés,
la femme se prostitue aux conceptions paradisiaques.
L'homme est matière, la volupté est femme, c'est l'éternelle
inapaisée.
N'est-ce pas à cette disparité profonde, monstrueuse antithèse,
qu'il faut demander le secret des ardeurs stériles, seuls fruits
d'accouplements sans nom ?
Oublions la loi naturelle, déchirons le pacte de procréation,
nions la subordination des sexes, alors nous comprendrons les débordements
inouïs de cette autre prostituée qui fut l'Antiquité
païenne.
Quelle passion aujourd'hui qualifiée vice ou monstruosité
ne fut pas alors chantée, encensée, déifiée.
L'Olympe est peuplé de dieux bâtards qui tous eurent leurs
poètes, leurs adeptes, leurs sacrificateurs.
Sous le suaire des générations éteintes, Rome,
Athènes, Lesbos, râlent encore les joies maudites.
Le doux Catulle, Virgile le pieux, Sapho l'inconsolée, Horace
le voluptueux et tant d'autres ne chantent-ils pas encore pour nous
ces mystiques ardeurs que l'homme, jaloux de reconquérir l'intégrité
de son empire, a depuis réprouvées sans jamais les éteindre.
Nées du rêve, elles échappent au joug commun. Leur
ascendance est immortelle comme la matière qu'elles transforment
en l'idéalisant !
Le sceau de l'infamie est à jamais brisé. Chaque jour
livre à la grande orgie un nouveau convive. Éphèbes
et vierges folles se multiplient. L'ivresse monte.
Digne fille de celle qui l'enfanta, la civilisation moderne, au sein
du silence et des solitudes, redit l'hymne des saturnales.
Maintenant, comme jadis, l'homme a dépouillé sa force,
brisé son sceptre. Efféminé, comme l'Éphèbe
antique, aux pieds de la Volupté, il se couche.
La volupté est femme.
Dans l'irradiation d'une aurore vengeresse, la femme entreverra pour
l'homme la possibilité d'une fabuleuse chute.
Elle inventera des caresses, trouvera de nouvelles preuves nouveaux
transports d'un nouvel amour et Raoule et Vénérande possédera
Jacques Silvert...
3- Une scène susceptible d'être
taxée de nécrophilie
est abrégée (suppression en rouge)
Ils viennent s'agenouiller près du lit, et, lorsqu'ils ont longtemps
contemplé les formes merveilleuses de la statue de cire, ils
l'enlacent, la baisent aux lèvres. Un ressort, disposé
à l'intérieur des flancs, correspond à la bouche
et l'anime en même temps qu'il fait s'écarter
les cuisses.
Ce mannequin, chef-d'uvre d'anatomie, a été fabriqué
par un Allemand.
Ces passages sont restitués dans l'édition de 2022.
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