La vie d'Elizabeth von Arnim (1866-1941), auteure britannique, fut mouvementée,
entre l'Australie, la Poméranie, l'Angleterre, la Suisse, la France
et les États-Unis.
De son vrai nom Mary "May" Annette Beauchamp, elle naît
à Sydney, son père commerçant ayant fait fortune
en Australie. Lorsqu'elle a trois ans, la famille qui est anglaise s'installe
à Londres. Elizabeth, élève brillante, intègre
le prestigieux Royal
College of Music.
À la fin de ses études, elle part avec son père
faire un grand tour à travers l'Europe. Notons que ce type de "Grand
Tour" était plutôt un rite pour les jeunes hommes.
En 1889, alors qu'ils sont en Italie, elle rencontre le comte Henning
August von Arnim-Schlagenthin, (cousin germain du père de Kate
Mansfield), aristocrate prussien qu'elle épouse à Londres.
Ils s'installent à Berlin.
En 1895, ils emménagent dans le domaine familial du mari à
Nassenheide, en Poméranie (actuelle Pologne) où Elizabeth
découvre les joies de la vie à la campagne. Elizabeth met
alors à profit la tranquillité de cette vie rurale pour
commencer à écrire : en 1898, elle publie anonymement son
premier ouvrage Elizabeth et son jardin allemand qui a un énorme
succès. Ils ont cinq enfants éduqués par des précepteurs
célèbres, comme les écrivains Edward
Morgan Forster, ou Hugh
Walpole qui lui succéda.
En 1908, des problèmes financiers obligent la famille à
déménager à Londres où son mari meurt deux
ans plus tard. En 2011, Elizabeth s'installe en Suisse où, dans
son "Chalet Soleil", elle devient le centre d'une vie mondaine.
Pendant trois ans, elle entretient une liaison amoureuse tapageuse avec
le romancier, notamment de science-fiction, H.G.
Wells.
En 1916, elle épouse le comte Francis
Russell (condamné pour bigamie...) et frère aîné
du philosophe Bertrand
Russell (prix Nobel de littérature en 1950). Ce mariage est
un désastre, ils se séparent au bout d'une année
et divorcent en 1919. Elizabeth ne se prive pas de caricaturer par la
suite son mari dans ses romans. Elle rejoindra aux États-Unis deux
de ses filles, dont Liebet, sa future biographe.
Elizabeth continue d'écrire partageant sa vie entre l'Angleterre,
la Suisse et Mougins dans le sud de la France (et sa villa, "Le Mas
des Roses"). Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle
s'installe pour de bon aux États-Unis où elle meurt à
Charleston en 1941. Sa pierre tombale porte l'inscription latine parva
sed apta (petite mais qui convient bien), faisant allusion à
sa petite taille, et qui dénote son humour jusqu'à la tombe...
Histoire
du livre Elizabeth et son jardin allemand |
Le livre Elizabeth et son jardin allemand
est publié en 1898
Ce fut sa première publication : le manuscrit d'Elizabeth et
son jardin allemand, envoyé par la poste sans aucune recommandation,
fut immédiatement accepté par Macmillan,
la plus grande maison dédition littéraire dAngleterre
de lépoque.
On trouve facilement le texte d'origine de 1898
en ligne en anglais :
- en pdf sur la Bibliothèque
nationale du Royaume-Uni
- avec des photos sur Internet
archive
- sur Gutenberg.
Le livre emporta un immense succès. Lanonymat de lauteure
renforça lengouement pour ce livre : le Daily Mail
publia une enquête très fouillée pour tenter de dévoiler
lidentité de la mystérieuse comtesse anglo-allemande.
Macmillan le réimprima 11 fois de novembre 1898 à novembre
1899 et - car le succès fut durable - le maintint toujours à
son catalogue parallèlement aux 21 romans qui suivirent.
Le livre est le premier d'une série sur le même personnage,
"Elizabeth". L'auteure a indiqué qu'elle devait rester
anonyme car elle affirmait que son mari, l'aristocrate allemand le comte
Henning August von Arnim-Schlagenthin, dont elle fait la satire dans le
livre, aurait trouvé inacceptable que sa femme écrive de
la fiction commerciale...
Un texte de l'écrivain E.M. Forster
précède Elizabeth et son jardin allemand
À l'occasion de la biographie d'Elizabeth von Arnim par sa fille
Liebet en 1958, publiée sous le pseudonyme Leslie de Charms,
Elizabeth of the German Garden, E.M. Forster publia Souvenirs de
Nassenheide.
Forster, qui appartint au groupe
de Bloomsbury, fut en 1905 recruté pour enseigner l'anglais
aux enfants d'Elizabeth von Arnim.
On trouve ce texte dans des éditions anglaises d'Elizabeth
et son jardin allemand et dans les deux premières éditions
en français, indisponibles aujourd'hui (Salvy et 10/18).
E.M. Forster
(1879-1970) est l'auteur de Avec
vue sur l'Arno (1908), d'Howards
End (1910) adapté au cinéma par James Ivory (Retour
à Howards End, 1992), qui lui fait connaître le succès.
Maurice
(explicitement homosexuel) sera publié après sa mort.
Voici ce texte de E.M. Forster qui précède
Elizabeth et son jardin allemand :
Regardez bien cette photographie. J'y parais jeune et mince car la
photographie est vieille de plus d'un demi-siècle. À côté
de moi se tient un autre jeune homme, d'allure nettement plus sportive.
C'est Herr Steinweg, le répétiteur d'allemand.
Moi, je suis le répétiteur d'anglais. Devant nous sont
assises les deux gouvernantes en blouses blanches, tabliers blancs,
longues jupes d'étoffe grossière et bottines plus solides
qu'élégantes. L'une est allemande - Fraulein Backe
-, l'autre française - Mlle Auger de Balben. Légende de
la photographie : "Le corps enseignant de Nassenheide en 1905."
Nous posons dans le jardin, sous le soleil d'un été d'avant-guerre
(soleil seulement d'avant la nuit, sans la moindre idée du chaos
à venir). Derrière nous, Nassenheide : un Schloss,
ou plutôt une charmante maison de campagne, basse et grise, au
fin fond de la Poméranie. Quelque part dans la maison, à
moins que ce ne soit dans le pavillon d'été, notre maîtresse
la comtesse von Arnim écrit l'un de ses romans, et Dieu sait
où sont allées se nicher nos trois petites élèves.
Qu'allais-je donc faire, me direz-vous, si loin de l'Angleterre ? Sachant
que je souhaitais apprendre un peu d'allemand tout en gardant du temps
pour écrire, l'un de mes amis de Cambridge m'avait mis en rapport
avec sa tante. Elle était anglaise - pour être tout à
fait exact, précisons qu'elle était née en Australie
-, et avait épousé un aristocrate allemand qui possédait
de vastes domaines en Poméranie. C'était, en outre, un
auteur célèbre et de grand talent, qui écrivait
sous le pseudonyme d'"Elizabeth". Son Elisabeth et son
jardin allemand avait connu un immense succès, et les noms
de ses trois filles étaient devenus des sobriquets familiers
dans bien des familles anglaises. Ses livres sont injustement négligés
aujourd'hui et j'espère qu'ils reviendront bientôt au tout
premier plan. Je n'étais que le premier d'une longue série
de répétiteurs - songez que c'est Hugh
Walpole en personne qui me succéda. Ma seule rémunération
consistait dans la possibilité qui m'était donnée
d'apprendre de l'allemand pendant mon séjour. Au début,
je craignis de ne pas obtenir le poste car je ne répondais à
aucune des exigences de la comtesse. Je ne pouvais l'assurer ni que
j'occuperais longtemps mes fonctions, ni que je les occuperais à
plein temps, ni que j'enseignerais quoi que ce fût d'autre que
la langue anglaise - en tout cas pas les mathématiques. Mais
plus je soulevais d'objections, plus les lettres d'Elisabeth se faisaient
chaleureuses. Elle finit par me supplier de venir, au moment et aux
conditions qui me conviendraient. Après m'avoir juré ses
grands dieux que Nassenheide ne m'ennuierait nullement, elle me demandait
d'avoir la bonté de lui rapporter de Londres des bulbes d'iris.
(Voir la suite ici)
Des éditeurs qui mettent en avant Elizabeth
et son jardin allemand
Dans les années 70, Virago
Press, maison dédition dédiée aux femmes,
fit de ce livre un pilier de sa collection et donna à lauteure
le nom sous lequel elle est maintenant connue, Elizabeth von Arnim, association
du nom de son personnage et de son nom dépouse.
Fondées en 1989, les éditions Salvy l'ont fait découvrir
en France : elles s'étaient fait une spécialité de
la littérature anglo-saxonne fin de siècle ou des écrivains
du groupe de Bloomsbury. Les
éditions Balland les ont rachetées en 1997, mais leur
directeur Gérard-Julien Salvy continuera à assurer leur
responsabilité éditoriale et à publier des titres.
Notons que les éditions Balland diffuseront la fameuse collection
"Le Rayon",
la première collection littéraire française LGBT,
créée par l'écrivain Guillaume Dustan.
Des adaptations qui continuent à faire
vivre Elizabeth et son jardin allemand
Dans la série TV Downton
Abbey, dans le deuxième épisode de la deuxième
saison, Joseph Molesley, le valet de Matthew Crawley, prête une
copie d'Elizabeth et de son jardin allemand à la femme de
ménage en chef Anna Smith, un geste romantique...
En 2015, il a été adapté en cinq épisodes
pour la série Book
at Bedtime sur BBC Radio 4.
Livres
d'Elizabeth von Arnim |
L'ensemble des livre publiés
On peut voir la régularité de ses publications. Les titres
en rouge sont ceux qui ont été traduits : sur 23 titres,
14 l'ont été, dont certains récemment.
Lorsque le livre en anglais est en ligne, un lien permet d'y accéder.
- 1898 : Elizabeth
and Her German Garden (Elizabeth
et son jardin allemand)
- 1899 : The
Solitary Summer (L'Été solitaire)
- 1900 : Le jardin d'enfance
- 1900 : The April
Baby's Book of Tunes, illustré par Kate
Greenaway
- 1901 : The
Benefactress (La bienfaitrice)
- 1904 : The
Adventures of Elizabeth in Rügen (Les Aventures d'Elizabeth à
Rügen)
- 1905 : Princess
Priscilla's Fortnight (La Princesse Priscilla s'est
échappée)
- 1907 : Fraulein
Schmidt and Mr Anstruther
- 1909 : The Caravaners (En caravane)
- 1910 : Priscilla Runs Away (pièce
de théâtre non publiée)
- 1914 : The Pastor's
Wife
- 1917 : Christine
(publié sous le pseudonyme Alice Cholmondeley)
- 1919 : Christopher
and Columbus (Christopher et Colombus)
- 1920 : In
the Mountains
- 1921 : Vera
(Vera)
- 1922 : The
Enchanted April (Avril enchanté)
- 1925 : Love (Love)
- 1926 : Introduction To Sally
- 1929 : Expiation
- 1931 : Father (Père)
- 1934 : Jasmine Farm
- 1936 : All the Dogs of My Life
(Tous les chiens de ma vie)
- 1940 : Mr
Skeffington (Mr Skeffington)
Livres traduits en français et disponibles
Les éditions Bartillat ont republié toute une série
d'ouvrages, traduits par François Dupuigrenet-Desroussilles (sauf
un) :
- Elizabeth
et son jardin allemand, 2011 ; rééd.
en poche, 2016 ; rééd.
2021
- Le
Jardin d'enfance, 2016
- L'Été
solitaire, 2013 ; rééd.
en poche, 2019 (d'abord publié aux éd. Salvy, 1991)
- En
caravane, 2014 (d'abord publié sous le titre En caravane
: mésaventures d'un officier prussien en Angleterre, trad.
Jean d'Albray, Grasset, 1913)
- Tous
les chiens de ma vie, 2019
- La
Princesse Priscilla s'est échappée, trad. Clotilde
Jannin, 2022.
Aux éditions Belles Lettres, tous trois traduits par Bernard Delvaille
:
- Mr
Skeffington, 2021 (d'abord publié par Salvy, 1993)
- Les
aventures d'Elizabeth à Rügen, 2014
- Vera,
2012 (d'abord publié par Salvy, 1994).
En 10/18
-
Christopher et Columbus, trad. Alain Defossé, 2001
- Avril
enchanté, trad. François Dupuigrenet-Desroussilles,
(d'abord publié chez Salvy, 1990).
En archipoche :
- La Bienfaitrice,
trad. Marguerite de Vaudreuil, révision Géraldine Barbe,
préface Isabelle Vieville Degeorges, Archipoche, 2013.
Introuvables :
- Love,
trad. Bernard Delvaille, 10/18, 1997 (d'abord publié par Salvy,
1997)
- Père
(d'abord publié sous le titre Comtesse Russell. La Cage ouverte,
trad. Mme Charles Daniel Mayer, Plon, 1935 ; rééd. avec
le titre Père / Comtesse Russell, trad. Marguerite Goltz,
Nouvelles éditions latines, 1948 ; rééd. Archipoche,
préface Catherine
Rihoit, 2014).
Romans adaptés au cinéma (adaptés
de Mr Skeffington et Avril enchanté)
- 1935 : Avril enchanté, film américain réalisé
par Harry Beaumont.
- 1944 : Femme
aimée est toujours jolie (adapté de Mr Skeffington),
film américain réalisé par Vincent Sherman, avec
Bette Davis et Claude Rains.
- 1992 : Avril
enchanté, film britannique réalisé par Mike
Newell.
Une "société internationale"
L'International Elizabeth von Arnim Society a été fondée
en 2015 à Cambridge, rassemble passionnés et universitaires
et présente sur son site (elizabethvonarnimsociety.org),
bio et bibliographie.
Articles
- "Elizabeth
von Arnim : delikatessen...", Jean-Paul
Mulot, Le Quotidien de Paris, 17 janvier 1990
- "Fête
de la terre", Jean-Pierre Issenhuth, revue Liberté,
n° 4, août 1990, p. 112115.
Les deux articles précédents sont parus après la
traduction en français aux éditions Salvy ; en voici
un après la réédition
par Bartillat :
- "Le bonheur est dans le
jardin", Astrid de Larmina, Le Figaro, 6 octobre 2011.
Une étude universitaire
"Les
silences d'Elizabeth von Arnim dans 'son jardin allemand' (1905-1906)",
Anne-Marie Brenot, Estudios de lengua y literatura francesas, Universidad
de Cádiz, n°17, 2006, p. 81-98. Anne-Marie Brenot est professeur
émérite de lUniversité de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
(chaire de civilisation hispano-américaine).
Vidéos
- La chronique de Juliette Arnaud, France Inter, vidéo
ou audio,
7 décembre 2022, 4 min.
- Le libraire Gérard Collard en fait une
de ses chroniques, sur la chaîne youtube de la librairie La
Griffe noire à Saint-Maur-des-Fossés, 10 avril 2016, 6 min.
Le
traducteur et ses préfaces |
Ses traductions
François Dupuigrenet-Desroussilles traduit depuis trois langues :
- l'allemand : Alexander Lernet-Holenia (Le
Baron Bagge)
- l'italien : Gianni Celati, Carlo Emilio Gadda, Pétrarque
- et surtout l'anglais : Elizabeth von Arnim, Margaret Atwood (Mort
en lisière), Barbara Pym (Adam
et Cassandra), Elizabeth Taylor (Le rouge au front), Celia
Dale (Les petites soeurs du mal), Oscar Wilde (Le
Prince heureux et autres contes), Rudyard Kipling (plus d'une
dizaine de ses livres), Martin Lowry, Michael Arlen, Michael Frayn, Joe
Keenan, Tom Sharpe, Angus Wilson.
Un traducteur au CV inattendu
Né en 1953, François Dupuigrenet Desroussilles, élève
de l'École nationale des chartes, obtient le diplôme d'archiviste
paléographe ; sa thèse en 1976 est consacrée réformes
dans le domaine de la culture dans la République de Venise (1517-1563)...
Il devient alors conservateur à l'Inventaire général
du département des Imprimés de la BNF, tout en assurant
des cours de civilisation italienne à l'université de Genève
(1978-1980). Il dirige la commission de l'Afnor pour la rédaction
de la norme française de catalogage des livres anciens (1983-1985),
mais aussi les travaux bibliographiques sur les éditions de la
Bible antérieures à 1800 conservées dans les grandes
bibliothèques parisiennes. Il est commissaire de plusieurs expositions
et membre du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale.
Il a été aussi directeur de l'Enssib (École nationale
supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques)
de 1995 à 2005, puis professeur à l'université d'État
de Floride dans le département d'Histoire des religions. N'en jetez
plus !
Mais si, puisqu'il est donc traducteur ! Ah oui, il a aussi dirigé
plusieurs collections aux éditions du Sorbier...
Ses préfaces sont instructives
Elles développent de façon détaillée
des éléments de contexte sur l'époque et sur la vie
et l'uvre d'Elizabeth. Par exemple :
- La préface
d'Elizabeth et son jardin dont voici des extraits.
Le féminisme nécessaire jusqu'au
jardin
Le Jardin allemand offrit un modèle de libération
tranquille à bien des femmes, dabord en montrant que concevoir
un jardin, cest-à-dire symboliquement concevoir un monde,
pouvait être une tâche féminine à une époque
où les grands architectes de jardin étaient tous des hommes
(...)
Dans ce monde tout masculin la première "jardinière"
à avoir connu la célébrité,
Gertrude Jekyll (1843-1942) qui devait créer plus de quatre
cents jardins
Arts and Crafts en Angleterre, aux États-Unis et même
en France où on peut admirer, près de Dieppe, son jardin
du bois des Moutiers,
rendit hommage à Elizabeth dès son premier livre Wood
and Garden (1899), louant comme elle, contre la tyrannie des
plates-bandes victoriennes enrégimentées, le charme des
fleurs sauvages et des rosiers grimpants. Comme William
Robinson et Gertrude Jekyll, Elizabeth sinscrivait dans un
mouvement général de renouveau du jardin à langlaise,
que son succès dans toute lEurope au cours du XIXe siècle
avait figé dans des formules sans invention. Le jardin allemand
dElizabeth nétait autre que le nouveau jardin anglais,
baptisé souvent "cottage garden", que promut inlassablement
à partir de 1901 la revue Country life.
Potin familial et littéraire
Bien des romancières durent aussi leur vocation au Jardin
allemand. Pour nen citer quune, précisément
en 1898 Katherine Beauchamp, une jeune cousine dElizabeth qui
adopta en 1903 le pseudonyme de Mansfield, venait de publier à
lâge de dix ans seulement sa première nouvelle dans
le journal de son école de filles néo-zélandaise
quand ses parents lui rapportèrent, dun voyage en Angleterre,
un exemplaire du livre qui était la coqueluche de Londres. Katherine
le lut, le relut, et déclara dès lors à qui voulait
lentendre quelle serait écrivain "comme sa cousine".
Toute sa vie Katherine
Mansfield resta proche dElizabeth à qui elle écrivit
en 1922 sa dernière lettre, pour la remercier de lui avoir envoyé,
Avril enchanté, un de ses romans les plus fameux : "
quel livre adorable ! Qui dautre que Mozart, ou toi, aurait pu
lécrire ? Comment réussis-tu à écrire
comme cela ? Comment ? Comment ?
Adieu ma très chère
cousine. Jamais je ne rencontrerai quelquun comme toi. Je chérirai
ton souvenir jusquà ma mort."
- La préface
de Le jardin d'enfance.
Extrait pour midinettes
En 1940, aux Etats-Unis où elle
vivait, Life consacra un reportage à "Elizabeth comtesse
Russell", car elle avait adopté dans la vie courante le
nom de son double littéraire et, après avoir été
comtesse von Arnim, était devenue comtesse Russell depuis son
remariage avec lord Francis Russell, le frère aîné
du philosophe Bertrand Russell. Elle y était présentée
comme une des grandes figures du high life, à Londres
comme sur la côte d'Azur où sa maison de Mougins était
célèbre dans les années Trente pour ses réceptions
fastueuses, et surtout, avec Somerset Maugham et H.G. Wells, comme l'un
des auteurs les plus célèbres, et les mieux payés,
de l'édition anglaise.
Et
voici NOS RÉACTIONS sur le livre
Lors de cette séance du 16 avril 2023, nous étions 7
:
- en chair et en os (6) : Agnès, Brigitte, Claire, Joëlle
L, Muriel, Nathalie
- en visio (1) : Patricia
Nombreuses étaient les retenues ailleurs
(15) : Aurore, Felina,
Flora, Joëlle M, Laetitia,
Léna,
Lucie, Marie-Claire, Marion,
Nelly, Patricia, Sandra, Sophie,
Stéphanie, Véronique.
Les tendances concernant
le livre
|
Les conquises roseraie comprise : Agnès,
Brigitte,
Joëlle L
Les conquises
verdure exclue :
Claire,
Muriel
Dépitée,
Patricia
n'est pas allée jusqu'au bout.
Nathalie faisait son come-back de Normandie sans
avoir pu lire le livre, mais était bien là pour entendre
l'habituelle diversité des réactions.
Et restent celles qui n'ont rien dit, celles que le livre n'a pas tentées
et qui n'en ont rien dit ou qui l'ont laissé entendre ou à
peine entrouvert l'ont refermé... Quel dommage qu'on soit privées
de leur avis...
La
succession des prises de parole
|
Agnès
Tout d'abord, je trouve que ce livre a été
programmé à un moment idéal, après le
changement d'heure et à l'arrivée du printemps, rien
de tel pour donner des envies de nature, de jardins et de fleurs.
Je ne connaissais pas cette autrice, donc c'est
déjà un plaisir de découvrir une écrivaine.
J'ai beaucoup apprécié l'humour,
l'irrévérence, le politiquement incorrect et l'esprit alerte
de cette narratrice, qui confie au fil des chapitres des sentiments peu
avouables - sa lassitude à la présence de proches chez elle
et son besoin de solitude.
On sent toutefois certains préjugés
de classe, envers les domestiques, les saisonniers
Elle semble en revanche très lucide sur
la condition des femmes de son milieu : la règle selon laquelle,
par exemple, elle ne peut pas jardiner elle-même ou selon laquelle
elle n'a pas le droit de s'adonner à la lecture. Elle est également
consciente et choquée par le sort réservé aux femmes
des milieux modestes ou miséreux : par le fait que les femmes saisonnières
sont moins payées que les hommes et qu'elles doivent continuer
à travailler malgré un accouchement.
Sa conscience féministe et sa fantaisie
m'ont le plus séduite, cette fantaisie et cet humour qui je qualifierais
de britannique, pince sans rire, qui a tant de charme : voir pages 162/3
quand elle explique qu'elle échange avec son amie les mêmes
cadeaux d'anniversaire d'année en année.
Brigitte
Une année de la vie d'une auto-proclamée excentrique dans
un immense domaine de Poméranie où elle a son Jardin, son
refuge car, si elle est toujours heureuse, elle l'est encore plus quand
elle est dehors : à l'intérieur il y a "les domestiques
et les meubles", et quelque part, régnant sur le tout,
le "man of wrath" comme dieu dans le kingdom of heaven,
son mari depuis cinq ans.
Livre englouti avec délices en trois jours, pour faire durer la
lecture au-delà des deux qui auraient été nécessaires,
et en le refermant sur les mots "the end" avec la tristesse
inconnue d'Elizabeth dans son Jardin, n'ayant pour me consoler, devant
moi, que quelques maigres fleurs de camélia abîmées
par la pluie.
Excentrique certes, et jusque dans l'écriture, qui reflète
ce bonheur de vivre au jardin. L'humour est là pour en témoigner,
un humour bien anglais mais mêlant au passage des bribes d'allemand
prussien, qui fait feu de tout bois à la moindre occasion : le
jardinier qui fait de la résistance passive, les "bébés"
qui se plaignent du lieber gott qui tance ses anges en pleine nuit
(d'orage) au lieu de le faire le jour, le pasteur du village qui fait
trimer sa femme comme les Polonaises du domaine et la voisine dans son
Schloss qu'il convient de ne pas déranger car elle est occupée
toute la journée, et pas dans son jardin la malheureuse. C'est
cet humour qui tient en haleine. On peut se moquer des détails
du jardin, on n'est pas forcément botaniste. Mais difficile de
résister à l'humour. J'avoue avoir lu en riant toute seule
(ou vice versa).
On dirait qu'elle écrit comme les idées lui viennent, Elizabeth.
Sans doute. Mais c'est quand même bien construit, en une série
de morceaux de bravoure qui dressent un tableau décapant de la
société autour d'elle, en cette fin de 19e siècle,
et ce surtout quand elle reçoit la visite d'une amie qui fuit l'ennui
de son propre mari malade, et d'une jeune "artiste" que les
deux amies se divertissent à mettre en boîte constamment.
Il y a au fil des pages :
- le pèlerinage aux racines paternelles, dans un brouillard de
novembre qui lui permet de revoir le jardin de son enfance sans être
remarquée des cousins qui ont investi le domaine, avec la rencontre
inopinée de leur fille qui s'appelle justement
Elizabeth,
effet de miroir non appuyé ;
- les travailleurs russes, ou polonais, ou les deux, et surtout leurs
femmes qui font des bébés comme on respire et repartent
travailler aussitôt après ;
- les diatribes contre Luther et son pasteur ;
- la joie d'aller pique-niquer au bord de la Baltique par moins quinze
sous un ciel d'un bleu sans nuage, en avalant au passage la fourrure des
mitaines, ce qui permet aussi de se garder les intestins au chaud ;
- la satire sur les voisines dans leur Schloss, à ne pas
déranger impromptu car on pourrait tomber sur leur jour de grand
lavage
une fois par mois car moins serait avouer qu'on manque de
linge
Je n'aurais jamais cru prendre autant de plaisir à ce livre quand
je l'ai ouvert, dans une édition anglaise fac-similé de
l'édition originale de 1898 qui ne payait pas de mine a priori.
Claire
Quand Nelly m'a dit je n'aurai pas le temps de lire le livre
et je t'avoue également qu'il ne me dit rien, j'ai pensé
après avoir lu quelques pages : moi non plus, ça ne me dit
rien.
Quand plus tard Flora m'a dit : je ne pourrai pas être présente,
mais concernant le livre, il ne m'a pas du tout intéressée
; j'ai essayé quelques pages mais le sujet du livre ne m'a pas
emballée... Je lui ai dit : je suis entièrement d'accord
avec toi, j'ai essayé quelques pages et le sujet du livre ne m'a
pas du tout emballée, mais heureusement j'ai continué...
J'étais curieuse de découvrir ce livre qu'avait déniché
Joëlle, d'une auteure dont personne n'avait jamais entendu parler,
mais quand j'ai vu que ça ne parlait que de jardin, j'ai vite déchanté
et ai carrément fermé le livre au bout d'un certain nombre
de pages - pas que quelques pages, j'ai insisté. Au bout d'une
semaine, je me suis dit, mais c'est pas possible que ces jardineries aient
plu à Joëlle et je l'ai ouvert n'importe où à
la moitié du livre, juste quand elle reçoit deux nanas chez
elle : et là je me suis vraiment beaucoup amusée !
Quel humour ! Quelle fantaisie ! Quelle liberté par rapport
aux conventions ! C'est un feu d'artifice ! La maternité
même est tournée en dérision : on est en 1898
quand le livre est publié, dans une société corsetée,
c'est à ne pas croire !
Là-dessus, je découvre qui est Elizabeth von Arnim et nourrit
le site à ce sujet : quel parcours ! Encore une culottée !
Notre séance approchant, je me dis, je vais relire le livre, ou
plutôt lire scrupuleusement à partir du début, en
sachant tout ce qui m'a plu. Et là je déchante à
nouveau : c'est vrai que perce très vite l'anticonformisme, les
petites touches d'humour, mais petites... et il faut se tartiner le jardinage,
sur un bon tiers du livre avant de pouvoir goûter au meilleur.
Ce qui m'intrigue, ce sont les raisons du succès immédiat
de cette auteure alors, anonyme en plus. Pourquoi
le livre a-t-il eu autant de succès immédiatement ? J'aimerais
lire des critiques et réactions de l'époque.
En tout cas, très contente d'avoir découvert cette Elizabeth
von Arnim !
Muriel
J'ai connu jadis deux surs jumelles Von Arnim
qui me disaient descendre de la maîtresse de Goethe : pas mal !
Effectivement Bettina
von Arnim fut aimée du poète... J'étais allée
au mariage de Marina et en cherchant sur Internet j'ai lu dans le Carnet
mondain du
Figaro qu'elle est morte, mais avec double particule : vicomtesse
Roland du Fontenoux née Marina von Arnim...
Pour en revenir au livre, j'ai trouvé le début barbant,
je suis née avenue de la République et ne connais rien aux
arbres et rosiers... oui, on m'a fait croire que les nouilles poussent
sur des nouillers... Mais j'ai trouvé la suite beaucoup plus drôle,
Homme de colère et bébés compris, et le livre m'a
bien plu.
Patricia
Je penche du côté de Flora. Pourtant
le sujet m'intéresse, j'aime les jardins. Au début, j'étais
donc enthousiaste : un livre, en plus, de la cousine de Katherine Mansfield
! Je pensais à la maison de ma sur en Bourgogne, je lui ai
transmis le livre en PDF. Puis... j'ai commencé à m'ennuyer
à cause de l'énumération botanique, que j'ai trouvée
fade. Les bébés, j'ai trouvé ça pénible.
L'écriture de Colette me paraît beaucoup plus fine. J'ai
donc trouvé ça nul, bizarre, chiant et ai arrêté
en cours de route. Donc je n'ai pas du tout vu l'humour et la fantaisie
que j'aurais découverts plus loin... Je précise aussi que
la préface n'a pas été non plus motivante pour moi.
Joëlle
L
Je n'y connais
rien en jardin ni en nature. Même si j'apprécie de m'y promener,
de m'y installer avec un livre.
J'ai donc regardé ce livre sous un autre angle, celui du pas de
côté. Le jardin est un moyen d'échapper aux contraintes
et aussi d'exprimer sa personnalité, alors que normalement elle
n'y aurait aucun droit dans la société et à l'époque
où elle vit.
Je trouve ce livre intéressant et je pense qu'il vaut la peine
d'être lu notamment pour son approche féministe et donc avant-gardiste
puisqu'on est encore au XIXe siècle. C'est aussi un livre amusant,
un festival de petites piques élégantes, humour et vacherie
mêlées. Sauf quand il s'agit des plantations (mais les jardiniers
ne sont pas épargnés).
Ce n'est pas un féminisme militant, mais un mouvement de libération
personnelle, que même les femmes de son milieu social n'osaient
pas. C'est aussi un féminisme misogyne de femme s'exprimant depuis
une position privilégiée.
Ce qui n'empêche pas un regard compatissant sur les femmes exploitées
"Les femmes de pasteur qui sont aussi cuisinières, femmes
de ménage, gouvernantes, bonnes d'enfants, s'occupent du verger
et du potager, de la basse-cour et du soin du linge".
Les ouvrières agricoles russes ou polonaises qui viennent travailler
sur le domaine, moins payées que les hommes, n'ayant droit à
aucun repos après accouchement.
Elle critique pêle-mêle la religion luthérienne
"J'avais mérité d'être punie pour des crimes
dont je n'avais pas la première idée".
"Les vêpres qui jouent le rôle du thé dans
toute l'Allemagne luthérienne".
le mari
Il pérore et donne des leçons sans arrêt. À
sa femme, aux invitées de sa femme (voir la soirée de nouvel
an).
"Qu'il est réconfortant de savoir que je peux m'abreuver
à tout instant à cette inépuisable source de conseils
réfléchis !"
"Cessez de tant parler des femmes. Elles font partie des sujets
que vous connaissez encore mal."
l'invitée qui lui déplaît
Minora, l'invitée gaffeuse qu'on lui a imposée. Elle est
mise en boîte quasi en permanence, avec la complicité de
l'autre invitée, qui est l'amie de la maîtresse de maison.
Et quand elles partent en pique-nique dans la neige :
"Elle semblait craindre les effets du gel sur un nez qu'elle a
fort joli, je dois le reconnaître, et qui le serait davantage encore
au milieu d'une autre figure car elle ignore l'art de porter le nez avec
esprit".
Pour conclure, deux citations qui en disent long
"Être femme ou n'être personne, où est la différence
?"
"La lecture est réservée aux hommes. Pour une femme
ce ne saurait être qu'une perte de temps.
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