Folio, édition de 1988

Quatrième de couverture : Julien entra dans l'église neuve de Verrières. Toutes les fenêtres hautes de l'édifice étaient voilées avec des rideaux cramoisis. Julien se trouva à quelques pas derrière le banc de Mme de Rênal... La vue de cette femme qui l'avait tant aimé fit trembler le bras de Julien d'une telle façon, qu'il ne put d'abord exécuter son dessein. Je ne le puis, se disait-il à lui- même; physiquement, je ne le puis.
En ce moment, le jeune clerc qui servait la messe sonna pour l'élévation. Mme de Rênal baissa la tête qui un instant se trouva presque entièrement cachée par les plis de son châle. Julien ne la reconnaissait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua; il tira un second coup, elle tomba.

"Stendhal vient de froisser le cœur humain" (Balzac).

"Le dernier des grands psychologues français" (Nietzsche).


Folio, édition de 1988

Quatrième de couverture :
— C’est moi, lui dit une voix chérie, qui suis venue ici pour te dire que je t’aime, et pour te demander si tu veux m’obéir.
On peut juger de la réponse, de la joie, de l’étonnement de Fabrice ; après les premiers transports, Clélia lui dit :
— J’ai fait vœu à la Madone, comme tu sais, de ne jamais te voir; c’est pourquoi je te reçois dans cette obscurité profonde. Je veux bien que tu saches que, si jamais tu me forçais à te regarder en plein jour, tout serait fini entre nous.

"M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre" (Balzac).

 
Stendhal
Le Rouge et le Noir
La Chartreuse de Parme

Nous avons lu ces livres pendant l'été 1989.
Le groupe entamait sa quatrième année d'existence. Pour la première fois, des notes ont été prises à propos de la séance, ouvrant le premier cahier, avec d'abord des "notes d'ambiance" succinctes. Plus tard seront notés les avis individuels. Et bien plus tard, une dizaine d'années après, naîtra ce site.
Le groupe de Tenerife ayant mis à son programme Stendhal, c'est l'occasion de retrouver ces premières notes que voici.

Les 11 participants à cette première séance 1989-1990 ne se sont pas retrouvés dans la douceur estivale...

Plusieurs participants ont failli partir, de rage ou de désespoir.

D'autres, nerveux ou inquiets, se sont mis à fumer (c'est la première et la dernière fois !).

Les chats, électrisés par l'agressivité ambiante, sautaient dans les biscuits.

Bref, Stendhal nous a déchaînés.

Nous n'étions pas loin de : "si tu aimes Stendhal, tout est fini entre nous"...

Le problème a néanmoins été bien posé : en cas de "sentiments" différents par rapport au texte lu, que c'est difficile d'expliciter son plaisir ou son ennui (plus toutes les autres nuances...).

D'où l'intérêt de bien prévoir comment défendre ou rejeter le livre ou, moins militairement, comment faire partager au mieux, au plus précis, ses impressions, son expérience, son voyage en solitaire, avec les autres.


Eté 2024 : Claire, sachant que le groupe ami a programmé Le Rouge et le Noir de Stendhal, profite d'un passage à Grenoble pour visiter (avec grand plaisir) le musée (présenté =>ici - histoire du musée =>).

Les réactions du groupe de Tenerife
réuni le 17 septembre 2024

avec les avis de •Nieves José Luis Brigitte

Nieves commente : à La Laguna, on a été très heureux d'avoir repris nos rencontres. Malgré trois absences, on s'est retrouvé à six et le débat sur le Rouge et le Noir a été presque passionné, pas pour le plaisir de la lecture, mais pour le mal qu'on a eu de pouvoir arriver au bout.
Comment, on se demandait, est-ce possible, alors qu'on l'avait tant aimé lorsqu'on l'a lu à la fac ?
On trouve que ce n'est pas un texte qui puisse nous remplir d'enthousiasme comme à cette époque-là où on était bien plus jeunes et où l'on avait un contexte social et politique très différent.
Les allers-retours du jeune Sorel, ainsi que ceux de Mme de Rênal et Mathilde de la Mole semblent au lecteur actuel interminables...
Pourtant, malgré cet aspect négatif, on s'est attardé à commenter les réactions des personnages en les reliant à notre époque et, en particulier, on a lu et trouvé magnifique le discours de la fin qui pourrait résumer le parcours tortueux de la courte vie de Julien Sorel.
Peut-être que visiter le musée à Grenoble nous aurait aidé à jouir davantage de la lecture de ce grand classique de la littérature française.

José Luis signale l'émission de France Culture consacrée trois jours après la réunion au Rouge et le Noir, avec Antoine Compagnon.

Nieves
Je ne veux pas faire une analyse de ce roman, grand classique de la littérature française du XIXe, car je ne saurais apporter rien de nouveau : les analyses sérieuses et professionnelles sont déjà nombreuses. D'ailleurs, il a été porté plusieurs fois à l'écran, même au théâtre et en manga.
J'avoue que je l'avais beaucoup aimé lorsque je l'ai lu à la fac, mais cette fois-ci, j'ai eu du mal à finir ses 620 pages. Le récit inépuisable, sans fin, des états d'âme de Julien Sorel, ses hésitations à propos de vrais sentiments qu'il éprouvait un jour et changeaient le lendemain ou sur le coup même où il croyait les éprouver, je peux assurer que j'en ai eu marre. Je me demande si Julien Sorel ne pourrait servir de modèle de quelque trouble mental dans une unité psychiatrique…
Pourtant il faut reconnaître que Stendhal a beaucoup travaillé en s'introduisant dans la tête des personnages, en déchiquetant leurs sentiments et émotions à chaque instant, habileté difficile à trouver dans de nombreux romans actuels où on crée plutôt des caractères ronds et plats. Mais Julien est du genre intellectuel, malgré son origine sociale. Toutes ses actions passent d'abord par sa tête, y compris ses relations amoureuses:
"L'amour de tête a plus d'esprit sans doute que l'amour vrai, mais il n'a que des instants d'enthousiasme ; il se connaît trop, il se juge sans cesse ; loin d'égarer la pensé, il ne s'est bâti qu'a forcé de pensées".
Cependant, cette attitude devant la vie d'un jeune sorti d' un entourage modeste qui essaie de se libérer par les livres, est très mal acceptée par la société de son époque, aussi bien celle de province que celle de Paris. Il est vu comme un ennemi dangereux et jugé comme tel, en fait, il est condamné à mort :
"Les gens qu'on honore ne sont que des fripons qui ont eu le bonheur de n'être pris en flagrant délit (dit-il à la fin à juste titre). J'ai commis un assassinat et je suis justement condamné, mais à cette seule action près, le Valenod qui m'a accusé est cent fois plus nuisible à la société".
Voilà, on perçoit un Stendhal pessimiste, critiquant une société décadente et hypocrite, aveugle d'argent et de pouvoir, encore très solide, bien qu'on puisse pressentir quelques mouvements déstabilisants comme le personnage principal de cet immense roman. Au fait, on ne peut pas nier non plus que quelques traits de cette période sont encore présents dans notre société.

José Luis
"Messieurs les jurés,
L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.
Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans un ordre inférieur, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que dans le fait je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés…
"
Réciter, à voix haute, ce morceau du discours de Julien Sorel devant le tribunal qui le condamne à mort, c'est pratiquement le seul plaisir que j'ai eu à relire ce célèbre roman de Stendhal, Le rouge et le noir, que je n'avais plus lu depuis cinquante ans, mais dont j'avais gardé un souvenir émerveillé. La désillusion n'a été que plus grande. Je peux encore ajouter à ces quelques lignes majestueuses, la satisfaction de retrouver dans le texte deux ou trois phrases qui sont passées dans l'histoire de la littérature : "La politique au milieu des intérêts d'imagination, c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert" ; "Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme […] : c'est la seule chose qui ne s'achète pas" ; ou cette célèbre définition du roman réaliste : "Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route".
Pour le reste, j'ai trouvé le roman mal et très vite écrit (ce qui explique, entre autres choses des répétitions innécessaires, ou le nombre incalculable de "etc., etc." qu'on rencontre sans justification aucune tout le long du texte, comme si l'auteur était pressé d'en finir avec ce dont il est question à ce moment du récit, ou, qu'entraîné qu'il était par la force de l'inspiration, il laissait là comme des petits points de repère pour y revenir après et développer et terminer le texte).
Pour tout dire, il me semble que l'écriture de Stendhal manque de style, et ceci parce que ce n'est point l'écriture qui l'occupe et le préoccupe, mais le récit des réalités amoureuses, sociales et politiques - toutes les trois entremêlées - qu'il a intérêt à transmettre avec une ambition il faut dire démesurée, puisque le roman porte comme sous-titre Chronique du XIXe siècle, quand, en réalité, il s'agit, tout au plus, de la chronique de ce qui a précédé, et de son tout début, la Monarchie de Juillet, tout ceci présenté de manière plutôt confuse, sauf, peut-être, pour les lecteurs contemporains de l'auteur.
Quoi qu'il en soit, le roman met en scène, de manière plus ou moins efficace, les quatre groupes sociaux qui constituent la France de l'époque : le peuple, la bourgeoisie, la noblesse et le clergé, et le passage à travers eux - et les démêlés de toute sorte qu'avec eux il eut - du jeune révolté Julien Sorel, qui essaya par toutes voies - pour l'exprimer avec les mots que Flaubert utilisera presque quarante ans plus tard pour caractériser Monsieur Dambreuse dans L'éducation sentimentale - d'arriver, sans jamais pouvoir y parvenir, sans doute parce que, au contraire du grand bourgeois corrompu qui sera Dambreuse, Sorel avait, malgré toute sa noirceur, une grandeur d'âme bien supérieure, sans compter les sentiments amoureux, plus forts que tout, qui s'imposent inopinément à lui, et terminent pour le blanchir de toutes ses turpitudes.
C'est sans doute pourquoi Julien est au début au-dessus de ce qui constitue la valeur essentielle qui conduit les actions des gens de la petite ville qui l'a vu naître, Verrières : l'argent, ou comment s'enrichir, ou, avec la formule utilisé dans le texte, comment s'arranger pour que leurs actions rapportent du revenu. C'est ce que M. de Rênal, maire de la ville, exprimera de manière éclatante : "J'aime l'ombre, je fais tailler mes arbres pour donner de l'ombre, et je ne conçois pas qu'un arbre soit fait pour autre chose, quand toute fois, comme l'utile noyer, il ne rapporte pas de revenu". Et Stendhal de conclure : "Voilà le grand mot qui décide de tout à Verrières : RAPPORTER DU REVENU ; à lui seul il représente la pensée habituelle de plus des trois quarts des habitants. Rapporter du revenu est la raison qui décide de tout dans cette petite ville qui vous semblait si jolie". Mais ce désintéressement que le maire semble afficher n'est qu'une tricherie, parce que, d'un côté, le curé Malson a l'habitude de s'emparer "des produits de la tonte", et, d'autre part, comme on le verra plus loin dans le roman, M. de Rênal lui-même protestera des pertes que l'ombre de l'utile noyer cause sur ses récoltes de blé dans les terres de sa maison de campagne : "Chacun de ces maudits noyers, disait M. de Rênal, quand sa femme les admirait, me coûte la récolte d'un demi-arpent : le blé ne peut venir sous leur ombre".
Et ce sera à l'ombre de ces inutiles noyers que Julien Sorel commencera la conquête de Mme de Rênal, d'abord seulement pour montrer - lui qui était d'une classe bien inférieure puisqu'il n'était que le précepteur de ses enfants, c'est-à-dire un simple employé - son pouvoir sur elle en prenant de force sa main, mais finalement, petit à petit, à mesure qu'elle acceptera cette emprise, en devenant fou amoureux d'elle au point de braver les plus grands périls pour la rencontrer.
Il me faut avouer que tous ces jeux de mains, tous ces va-et-vient des sentiments, ces colères, ruptures et retrouvailles entre les deux amants, comme ceux qui se reproduiront après entre Julien et Mathilde de la Mole, m'ont semblé des enfantillages, des conduites hors de propos et m'ont beaucoup ennuyé. C'est sans doute que je n'ai rien compris à l'esprit de l'époque ?
Je laisserai la réponse dans l'air et, fatigué, je conclurai ici mes réflexions sur Le rouge et le noir.

Brigitte (par message vocal transmis)
Stendhal, figurez-vous, je n'ai même pas envie de le lire, du coup je l'ai écouté, sur France Culture.
Mais qu'est-ce que c'est vieilli pour moi, c'est pas croyable ! C'est un bouquin que j'ai dû lire à 20 ans ou avant, je ne sais plus.
Bien sûr, il y a des analyses de caractères, de sentiments, tous ces mouvements de l'âme, etc. Oh la la, qu'est-ce que c'est barbant pour moi ! Je parle de moi, attention...
Ensuite, je trouve ça passablement immoral, ce gamin de 18 ans qui essaie de séduire une femme simplement comme ça pour le plaisir, ça devait être dans l'air du temps, parce que franchement, c'est pas très gentil tout ce qu'il a fait, voilà je suis choquée par le manque de morale, j'ai vraiment des difficultés avec cette littérature maintenant. Enfin, c'est comme ça !
Je suis en train de lire le prix Nobel égyptien Naguib Mahfouz : j'ai lu un roman, bien, Passage des miracles, après j'ai lu La Malédiction de Râ sur l'Egypte ancienne, j'ai beaucoup aimé, beaucoup beaucoup ; et j'avance doucement dans la Trilogie qui fait plus de 1000 pages, j'avoue que j'en ai sauté 100 à un moment, c'est un peu trop long, certes avec le côté égyptien, mais j'ai les mêmes critiques que je fais à Stendhal, avec l'analyse détaillée des personnages, des mouvements intérieurs du cœur et des pensées etc. : j'avoue que c'est plus trop mon truc...



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