Quatrième de couverture
: Julien entra dans l'église neuve de Verrières. Toutes
les fenêtres hautes de l'édifice étaient voilées
avec des rideaux cramoisis. Julien se trouva à quelques pas derrière
le banc de Mme de Rênal... La vue de cette femme qui l'avait tant
aimé fit trembler le bras de Julien d'une telle façon, qu'il
ne put d'abord exécuter son dessein. Je ne le puis, se disait-il
à lui- même; physiquement, je ne le puis. Quatrième de couverture
: "M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre" (Balzac). |
Stendhal
|
Les
réactions du groupe
de Tenerife
réuni le 17 septembre 2024 avec les avis de Nieves José Luis Brigitte |
Nieves commente :
à La Laguna, on a été très heureux d'avoir
repris nos rencontres. Malgré trois absences, on s'est retrouvé
à six et le débat sur le Rouge et le Noir a
été presque passionné, pas pour le plaisir
de la lecture, mais pour le mal qu'on a eu de pouvoir arriver au
bout. José Luis signale l'émission de France Culture consacrée trois jours après la réunion au Rouge et le Noir, avec Antoine Compagnon. |
Nieves
Je ne veux pas faire une analyse de ce roman, grand classique de la littérature
française du XIXe, car je ne saurais apporter rien de nouveau :
les analyses sérieuses et professionnelles sont déjà
nombreuses. D'ailleurs, il a été porté plusieurs
fois à l'écran, même au théâtre et en
manga.
J'avoue que je l'avais beaucoup aimé lorsque je l'ai lu à
la fac, mais cette fois-ci, j'ai eu du mal à finir ses 620 pages.
Le récit inépuisable, sans fin, des états d'âme
de Julien Sorel, ses hésitations à propos de vrais sentiments
qu'il éprouvait un jour et changeaient le lendemain ou sur le coup
même où il croyait les éprouver, je peux assurer que
j'en ai eu marre. Je me demande si Julien Sorel ne pourrait servir de
modèle de quelque trouble mental dans une unité psychiatrique
Pourtant il faut reconnaître que Stendhal a beaucoup travaillé
en s'introduisant dans la tête des personnages, en déchiquetant
leurs sentiments et émotions à chaque instant, habileté
difficile à trouver dans de nombreux romans actuels où on
crée plutôt des caractères ronds et plats. Mais Julien
est du genre intellectuel, malgré son origine sociale. Toutes ses
actions passent d'abord par sa tête, y compris ses relations amoureuses:
"L'amour de tête
a plus d'esprit sans doute que l'amour vrai, mais il n'a que des instants
d'enthousiasme ; il se connaît trop, il se juge sans cesse ;
loin d'égarer la pensé, il ne s'est bâti qu'a forcé
de pensées".
Cependant, cette attitude devant la vie d'un jeune sorti d' un entourage
modeste qui essaie de se libérer par les livres, est très
mal acceptée par la société de son époque,
aussi bien celle de province que celle de Paris. Il est vu comme un ennemi
dangereux et jugé comme tel, en fait, il est condamné à
mort :
"Les gens qu'on honore
ne sont que des fripons qui ont eu le bonheur de n'être pris en
flagrant délit (dit-il à la fin à juste titre). J'ai
commis un assassinat et je suis justement condamné, mais à
cette seule action près, le Valenod qui m'a accusé est cent
fois plus nuisible à la société".
Voilà, on perçoit un Stendhal pessimiste, critiquant une
société décadente et hypocrite, aveugle d'argent
et de pouvoir, encore très solide, bien qu'on puisse pressentir
quelques mouvements déstabilisants comme le personnage principal
de cet immense roman. Au fait, on ne peut pas nier non plus que quelques
traits de cette période sont encore présents dans notre
société.
José Luis
"Messieurs les jurés,
L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de
la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur
d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est
révolté contre la bassesse de sa fortune.
Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant
sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste.
J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects,
de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour
moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité.
J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand
je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter
à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront
punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes
gens qui, nés dans un ordre inférieur, et en quelque sorte
opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer
une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce
que l'orgueil des gens riches appelle la société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus
de sévérité, que dans le fait je ne suis point jugé
par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque
paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés
"
Réciter, à voix haute, ce morceau du discours de Julien
Sorel devant le tribunal qui le condamne à mort, c'est pratiquement
le seul plaisir que j'ai eu à relire ce célèbre roman
de Stendhal, Le rouge et le noir, que je n'avais plus lu depuis
cinquante ans, mais dont j'avais gardé un souvenir émerveillé.
La désillusion n'a été que plus grande. Je peux encore
ajouter à ces quelques lignes majestueuses, la satisfaction de
retrouver dans le texte deux ou trois phrases qui sont passées
dans l'histoire de la littérature : "La
politique au milieu des intérêts d'imagination, c'est un
coup de pistolet au milieu d'un concert" ; "Je
ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme [
]
: c'est la seule chose qui ne s'achète pas" ; ou
cette célèbre définition du roman réaliste
: "Eh, monsieur, un
roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt
il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la
fange des bourbiers de la route".
Pour le reste, j'ai trouvé le roman mal et très vite écrit
(ce qui explique, entre autres choses des répétitions innécessaires,
ou le nombre incalculable de "etc.,
etc." qu'on rencontre sans justification aucune tout le
long du texte, comme si l'auteur était pressé d'en finir
avec ce dont il est question à ce moment du récit, ou, qu'entraîné
qu'il était par la force de l'inspiration, il laissait là
comme des petits points de repère pour y revenir après et
développer et terminer le texte).
Pour tout dire, il me semble que l'écriture de Stendhal manque
de style, et ceci parce que ce n'est point l'écriture qui l'occupe
et le préoccupe, mais le récit des réalités
amoureuses, sociales et politiques - toutes les trois entremêlées
- qu'il a intérêt à transmettre avec une ambition
il faut dire démesurée, puisque le roman porte comme sous-titre
Chronique du XIXe siècle, quand, en réalité,
il s'agit, tout au plus, de la chronique de ce qui a précédé,
et de son tout début, la Monarchie de Juillet, tout ceci présenté
de manière plutôt confuse, sauf, peut-être, pour les
lecteurs contemporains de l'auteur.
Quoi qu'il en soit, le roman met en scène, de manière plus
ou moins efficace, les quatre groupes sociaux qui constituent la France
de l'époque : le peuple, la bourgeoisie, la noblesse et le clergé,
et le passage à travers eux - et les démêlés
de toute sorte qu'avec eux il eut - du jeune révolté Julien
Sorel, qui essaya par toutes voies - pour l'exprimer avec les mots
que Flaubert utilisera presque quarante ans plus tard pour caractériser
Monsieur Dambreuse dans L'éducation sentimentale - d'arriver,
sans jamais pouvoir y parvenir, sans doute parce que, au contraire du
grand bourgeois corrompu qui sera Dambreuse, Sorel avait, malgré
toute sa noirceur, une grandeur d'âme bien supérieure, sans
compter les sentiments amoureux, plus forts que tout, qui s'imposent inopinément
à lui, et terminent pour le blanchir de toutes ses turpitudes.
C'est sans doute pourquoi Julien est au début au-dessus de ce qui
constitue la valeur essentielle qui conduit les actions des gens de la
petite ville qui l'a vu naître, Verrières : l'argent, ou
comment s'enrichir, ou, avec la formule utilisé dans le texte,
comment s'arranger pour que leurs actions rapportent du revenu.
C'est ce que M. de Rênal, maire de la ville, exprimera de manière
éclatante : "J'aime
l'ombre, je fais tailler mes arbres pour donner de l'ombre, et je ne conçois
pas qu'un arbre soit fait pour autre chose, quand toute fois, comme l'utile
noyer, il ne rapporte pas de revenu". Et Stendhal de conclure
: "Voilà le grand
mot qui décide de tout à Verrières : RAPPORTER DU
REVENU ; à lui seul il représente la pensée habituelle
de plus des trois quarts des habitants. Rapporter du revenu est la raison
qui décide de tout dans cette petite ville qui vous semblait si
jolie". Mais ce désintéressement que le
maire semble afficher n'est qu'une tricherie, parce que, d'un côté,
le curé Malson a l'habitude de s'emparer "des
produits de la tonte", et, d'autre part, comme on le verra
plus loin dans le roman, M. de Rênal lui-même protestera des
pertes que l'ombre de l'utile noyer cause sur ses récoltes de blé
dans les terres de sa maison de campagne : "Chacun
de ces maudits noyers, disait M. de Rênal, quand sa femme les admirait,
me coûte la récolte d'un demi-arpent : le blé ne peut
venir sous leur ombre".
Et ce sera à l'ombre de ces inutiles noyers que Julien Sorel commencera
la conquête de Mme de Rênal, d'abord seulement pour montrer
- lui qui était d'une classe bien inférieure puisqu'il n'était
que le précepteur de ses enfants, c'est-à-dire un simple
employé - son pouvoir sur elle en prenant de force sa main, mais
finalement, petit à petit, à mesure qu'elle acceptera cette
emprise, en devenant fou amoureux d'elle au point de braver les plus grands
périls pour la rencontrer.
Il me faut avouer que tous ces jeux de mains, tous ces va-et-vient des
sentiments, ces colères, ruptures et retrouvailles entre les deux
amants, comme ceux qui se reproduiront après entre Julien et Mathilde
de la Mole, m'ont semblé des enfantillages, des conduites hors
de propos et m'ont beaucoup ennuyé. C'est sans doute que je n'ai
rien compris à l'esprit de l'époque ?
Je laisserai la réponse dans l'air et, fatigué, je conclurai
ici mes réflexions sur Le rouge et le noir.
Brigitte (par message vocal transmis)
Stendhal, figurez-vous, je n'ai même pas envie de le lire, du coup
je l'ai écouté, sur France
Culture.
Mais qu'est-ce que c'est vieilli pour moi, c'est pas croyable ! C'est
un bouquin que j'ai dû lire à 20 ans ou avant, je ne sais
plus.
Bien sûr, il y a des analyses de caractères, de sentiments,
tous ces mouvements de l'âme, etc. Oh la la, qu'est-ce que c'est
barbant pour moi ! Je parle de moi, attention...
Ensuite, je trouve ça passablement immoral, ce gamin de 18 ans
qui essaie de séduire une femme simplement comme ça pour
le plaisir, ça devait être dans l'air du temps, parce que
franchement, c'est pas très gentil tout ce qu'il a fait, voilà
je suis choquée par le manque de morale, j'ai vraiment des difficultés
avec cette littérature maintenant. Enfin, c'est comme ça
!
Je suis en train de lire le prix Nobel égyptien Naguib Mahfouz
: j'ai lu un roman, bien,
Passage des miracles, après j'ai lu La
Malédiction de Râ sur l'Egypte ancienne, j'ai beaucoup
aimé, beaucoup beaucoup ; et j'avance doucement dans la Trilogie
qui fait plus de 1000 pages, j'avoue que j'en ai sauté 100 à
un moment, c'est un peu trop long, certes avec le côté égyptien,
mais j'ai les mêmes critiques que je fais à Stendhal, avec
l'analyse détaillée des personnages, des mouvements intérieurs
du cur et des pensées etc. : j'avoue que c'est plus trop
mon truc...
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