Cet été, j'ai regardé pour la première fois un film classé X à la télévision, sur Canal +. Mon poste n'a pas de décodeur, les images sur l'écran étaient floues, les paroles remplacées par un bruitage étrange, grésillements, clapotis, une sorte d'autre langage, doux et ininterrompu. On distinguait une silhouette de femme en guêpière, avec des bas, un homme. L'histoire était incompréhensible et on ne pouvait prévoir quoi que ce soit, des gestes ou des actions. L'homme s'est approché de la femme. Il y a eu un gros plan, le sexe de la femme est apparu, bien visible dans les scintillements de l'écran, puis le sexe de l'homme, en érection, qui s'est glissé dans celui de la femme. Pendant un temps très long, le va-et-vient des deux sexes a été montré sous plusieurs angles. La queue est réapparue, entre la main de l'homme, et le sperme s'est répandu sur le ventre de la femme. On s'habitue certainement à cette vision, la première fois est bouleversante. Des siècles et des siècles, des centaines de générations et c'est maintenant, seulement, qu'on peut voir cela, un sexe de femme et un sexe d'homme s'unissant, le sperme – ce qu'on ne pouvait regarder sans presque mourir devenu aussi facile à voir qu'un serrement de mains.

Il m'a semblé que l'écriture devrait tendre à cela, cette impression que provoque la scène de l'acte sexuel, cette angoisse et cette stupeur, une suspension du jugement moral.

Annie Ernaux, Passion simple
Gallimard, coll." Blanche", 1992

 


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