Qu'il l'ait "mérité" ou non n'a évidemment aucun sens. Et que tout cela commence à m'être aussi étranger que s'il s'agissait d'une autre femme ne change rien à ceci : grâce à lui, je me suis approchée de la limite qui me sépare de l'autre, au point d'imaginer parfois la franchir.
J'ai mesuré le temps autrement, de tout mon corps.
J'ai découvert de quoi on peut être capable, autant dire de tout. Désirs sublimes ou mortels, absence de dignité, croyances et conduites que je trouvais insensées chez les autres tant que je n'y avais pas moi-même recours. À son insu, il m'a reliée davantage au monde.

Il m'avait dit "tu n'écriras pas un livre sur moi". Mais je n'ai pas écrit un livre sur lui, ni même sur moi. J'ai seulement rendu en mots - qu'il ne lira sans doute pas, qui ne lui sont pas destinés - ce que son existence, par elle seule, m'a apporté. Une sorte de don reversé.

Quand j’étais enfant, le luxe, c’était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de la mer. Plus tard, j’ai cru que c’était de mener une vie d’intellectuel. Il me semble maintenant que c’est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme.

 

Annie Ernaux, Passion simple
Gallimard, coll." Blanche", 1992, p. 76-77

 


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