Marguerite Duras
La douleur
Le livre comporte cinq textes
:
- La douleur
- Monsieur X. dit ici Pierre Rarbier
- Albert des capitales
- Ter le milicien
- L'ortie brisée
- Aurélia Paris
Nous avons lu ce livre en novembre 1993.
Nous avions lu auparavant Le Ravissement
de Lol V. Stein (en 1989), puis lirons Moderato
Cantabile (en 2015) et Dix
heures et demie du soir en été (en 2020).
Christine
Je l'ai lu il y a un an, ce fut un grand choc. J'ai lu le livre de Robert
Antelme, L'Espèce
humaine (1947) - un témoignage formidable à lire.
J'ai été très touchée par ce livre, fort.
L'attente est proche de la folie. Son amour pour Antelme doit la conduire
aussi à la folie. Son courage de vivre cela et de l'écrire
est incroyable. J'admire sa conscience éveillée. J'aime
aussi son analyse sur le nazisme.
Jacques
Je suis très impressionné par le premier texte, "La
douleur" ; elle a le courage d'affirmer sa lâcheté.
C'est la dualité du personnage qui est intéressante. Il
y a une intensité dramatique, qui nous donne le sentiment d'être
en direct. J'ai aimé la nouvelle sur Rabier, la fascination pour
le collaborateur ; elle est sans complaisance. J'ai moins aimé
les deux dernières. C'est du grand Duras. L'écriture est
extraordinaire. Pas comme L'Amant, qui est à chier.
Élisabeth
J'ai adoré. C'est tellement incroyable
La problématique
de l'attente. Il n'y a pas d'amour sans attente. Le courage qu'elle a
d'avouer qu'elle ne l'aime plus, c'est à tomber le cul par terre.
Dans la nouvelle sur Rabier, il n'y a aucune fascination pour ce type,
je ne suis pas d'accord avec toi, Jacques. Elle est fascinée par
leur relation, non par l'homme. Le troisième texte, sur la torture,
est décapant.
Brigitte
J'ai tout lu, mais je ne parlerai que de "La douleur". Ce texte
n'est pas de la littérature : c'est un trop plein, quelque chose
qui sort. La relation entre ces deux hommes est impressionnante ;
elle est touchée par quelque chose de rare. C'est plus un témoignage.
Elle ne dit jamais du mal des Allemands ; elle se sent solidaire
de celui qui a mal et de celui qui fait mal. Je trouve cela superbe d'arriver
à dire cela, au moment où elle le vit ; j'ai admiré
cette justesse pour savoir se situer. Le courage, c'est de savoir se laisser
transpercer par cette souffrance, de ne pas se trouver des béquilles.
Rozenn
Je ne peux pas dire que j'ai aimé
C'est vrai que cela dérange,
que c'est très fort. C'est insupportable à lire. Il y a
une page rigolote, avec la syntaxe syncopée. J'ai lu Le
ravissement de Lol V. Stein, j'ai adoré. J'ai aimé
nouvelle de la petite fille. Je trouve ça fort. Mais je n'ai pas
aimé. Le problème est de retirer ou non des passages.
Sabine
Je ne peux pas dire : j'ai aimé/j'ai détesté.
C'est fort. Pour moi, c'est de la littérature. Les phrases syncopées
,
l'emploi des pronoms
Son mari est devenu un paillasson. Elle ne
le nomme pas. C'est un livre qui dit l'absence, le silence, la négation.
La mort devient plus humaine que l'homme lui-même. Il y a le problème
de l'écriture et de la réalité : c'est le livre
d'une femme impudique.
Marie
J'aime beaucoup Duras. J'ai énormément aimé. J'ai
l'impression d'avoir vécu ce qu'elle a vécu. Les mots sont
d'une très grande violence. J'aime son excès. Elle exprime
cette violence avec des mots tranquilles, ordinaires. L'emphase naît
de cela. Ses phrases sont d'une violence incroyable. J'aime cette impudeur.
Elle va jusqu'à l'insoutenable. Elle ne le fait pas par bravade,
mais parce qu'elle ne peut la garder de l'intérieur. Duras ose
dire qu'elle aime deux hommes à la fois ; elle dit qu'elle
ne se sent pas coupable pour autant. J'aime les brusques changements de
temps, la dilation du temps qui produit de l'émotion. Le livre
que je préfère, c'est Hiroshima
mon amour, qui dit aussi la douleur, la déchirure. C'est
sensuel, dans le sens où cela donne la chair de poule.
Anne-Marie
J'ai été emballée. Par la justesse, l'intelligence,
le recul. Et l'aspect documentaire m'a plu. 'On est chacun responsable
des autres" - on retrouve cette notion ici.
Marie-Christine
Cela m'a fait plaisir de relire Duras. Son écriture faite de ruptures,
un état limite qui me plaît. Un monde entre réalité
et rêve, ce qui, dans la vie quotidienne, serait un vrai désastre.
Cela m'a touchée. Mais sa séparation avec Robert est une
douleur plus grande, me semble-t-il. La juxtaposition de mots est percutante.
Il y a une rupture entre le texte "La douleur" et les autres
histoires.
Claire
Les deux dernières me semblent artificielles, "Ter le milicien"
n'a aucun intérêt. Les trois premiers textes "La douleur",
"Monsieur X. dit ici Barbier", "Albert des capitales"
sont extraordinaires. Le texte sur Rabier présente une machinerie
qui se dissèque devant vous, avec distance, réaction intellectuelle.
Celui sur Albert m'a prise aux tripes. Quant à "la Douleur",
cela m'a fait chialer, j'étais submergée
Les rapports
sont très différents d'un texte à l'autre. L'écriture
se situe déjà dans la fiction avec des initiales, ce n'est
plus du réalisme ; la scène de torture est très
construite ; l'emploi des temps, une pagaille, crée une accélération
du récit : on voit la machinerie littéraire à
l'uvre.
Marie-Claire
J'ai fait une différence entre "La douleur" et les autres
textes : je ne peux pas dire que j'ai aimé. Je ne crois pas que
ce soit un journal ; c'est un catalogue d'archétypes : la femme
du héros, le traître, le tortionnaire - la guerre fabrique
des rôles. Le corps souffrant est emblématique de l'Allemagne ;
Robert, c'est un pays déchiqueté par la guerre. C'est plus
une image de la guerre que d'elle-même. C'est une tragédie.
Anne
J'ai trouvé cela très très fort. J'ai lu les trois
premiers récits d'affilée. Ce qui m'a intéressée,
c'est la charnière entre le réel et l'écriture. La
chair devient verbe. Je pense que c'est une uvre d'art. Elle se
situe par delà le bien et le mal. La beauté fait dépasser
l'impudeur.
Dominique
Sur le travail littéraire : au moment de cet événement,
elle le dit. C'est un texte qui dit des choses sur l'époque que
je n'avais jamais lues. "Obscène" est le mot qui correspond
bien à ce qu'on lit. Le corps n'est plus perçu comme à
l'ordinaire. Concernant Rabier, il n'y a pas de fascination.
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