La
littérature, j'ai déjà dit que, tout en la fréquentant
assidûment, je ne prétendais pas savoir ce que c'était
: au moins étais-je assuré que ce n'était pas le
petit commerce dont ces gens-là vivotaient. Il me semblait parfois
que les hommes étaient comme de grandes statues creuses à
l'intérieur obscur desquelles grondait un bruit furieux, disloqué
par la multiplication désordonnée des échos : et
écrire eût été alors tenter d'orchestrer cette
pure rumeur du chaos. Nous abritions, sous la majesté muette du
ciel, ces retentissements de citernes, ces mugissements d'océan
dans des grottes, de bêtes égorgées dans des caves.
Cela avait à voir avec la démence et la mort, ou bien si
l'on veut avec la raison et la vie considérées comme la
lutte confuse et perdue d'avance que nous menions contre ces pouvoirs
du néant, le retard qu'ils apportaient à venir nous faire
taire. Écrire eut été composer de la musique entre
le tohu-bohu et le silence éternel. Ces idées, je l'admets,
manquaient de clarté : mais en est-il, en ces matières ?
C'est en suivant aussi de semblables songeries qu'il m'arrivait d'imaginer
un rapport aussi aveuglant, bref et indescriptible que le tracé
de l'éclair, entre certaines nuées de mots et les hauteurs
vertigineuses de l'orage. Olivier Rolin, Port-Soudan, Points, p. 57
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