Quatrième de
couverture :
Parti des confins de la terre et de l'eau, Victor-Flandrin
Péniel, portant au cou les larmes de son père dont le visage
fut sabré en 1870 par un uhlan, et toujours accompagné d'une
mystérieuses ombre blonde, viendra s'établir dans un hameau
perdu au bout du territoire et encerclé de forêts où
rôdent encore les loups. C'est dans ces terres frontalières,
par où la guerre sans cesse refait son entrée au pays, et
dans la vie et la mémoire des hommes, que Victor-Flandrin, dit
Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup, prendra femme, par quatre fois, et engendrera
une nombreuse descendance, toute marquée par la gémellité
et la violence de la passion.
Bien des romans d'aujourd'hui s'emploient à nous montrer les hommes
et les femmes broyées par l'histoire. Mais, avec ce récit,
cette terrible réalité se transfigure aux dimensions du
légendaire, du conte fantastique.
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Sylvie Germain
Le livre des nuits
Nous avons lu ce livre en avril 1997.
Le nouveau groupe parisien le lira à son
tour en juin 2020.
Nous lirons également Jours
de colère en novembre 2014.
Sabine
J'avais plein d'a priori physiques par rapport à cette femme. Je
ressens une jalousie verte parce que Sylvie Germain a vécu à
Prague. Je me suis plongé dans les 50 premières pages cet
après-midi : c'est sublime, plein de poésie, rien d'artificiel.
J'ai aimé le côté conte. J'aime la succession rapide
des générations. Le style est extraordinaire. J'aime le rythme.
C'est une saga, un conte pas couillon. Capitaine Conan fange poétique.
Ça m'a emballée.
Henri-Jean
"Quel est le plus grand poète français ? Victor
Hugo hélas" (Gide) Trop, trop, trop
J'aime la langue,
les mots. Je suis partagé entre une admiration et le sentiment
du trop-plein. Il y a des trouvailles extraordinaires comme l'histoire
du collier de larmes. J'ai pensé à Malaparte dont nous avons
lu La peau. Des passages réalistes deviennent plats, à
côté de passages colorés. Il y a des choses inutiles,
des exercices de style. J'ai lu La
Pleurante des rues de Prague, et j'ai eu la même impression.
Je n'en lirai peut-être pas un troisième.
Marie-Christine
J'ai adoré ce livre jusqu'au lance-flammes. Trop, c'est trop. Jusque-là
je souffrais du destin de ces gens, mais avec distance. Le lance-flammes
m'a rendu le livre odieux. Il y a art de la phrase (Marie-Christine
lit un passage, la mort de Dieudonné pendant la guerre de 14).
Je n'ai pas aimé la fin, la mort du héros par suicide.
Anne-Marie
J'ai eu une impression de purée mystique. Le style est trop travaillé,
artificiel. Trop, c'est trop. Des guerres, des guerres, des guerres
C'est de la boulimie. Elle n'a qu'à écrire plusieurs livres.
Je n'aime pas l'aspect rêves. On ne sait pas où on est, dans
le conte, dans la réalité
Céline
Je n'ai pas terminé, mais je trouve ce livre extraordinaire. Il
est très travaillé. Au début l'eau, le personnage
de la mère, cela ne s'essouffle jamais, je suis marquée
par cette histoire d'enfance, la statue de sel brisé par le père.
J'ai moins aimé l'histoire du loup. J'aime la scène du mariage
raté de Margot. L'auteure rend bien l'horreur de la guerre des
tranchées. C'est un livre porté par le style. On sent la
terre, l'humus Ce livre sollicite tous les sens. J'ai été
gênée par l'histoire des stigmates : le mysticisme prend
alors la place du poétique.
Liliane
C'est une poésie un peu facile. Pas d'accord pour le comparer à
Malaparte. La poésie est un accès difficile à une simplicité.
Sylvie Germain en dit beaucoup trop, elle fait trop de commentaire. J'avais
lu ce livre il y a 10 ans et en avais retenu le côté baroque
très séduisant. En le relisant, j'ai retrouvé la même
séduction, mais je me suis lassée de certains côtés
du livre. J'ai aimé la sensualité de l'auteure, sa manière
de parler de l'amour, les descriptions de l'amour physique sont séduisantes,
les corps, la simplicité. On peut aimer beaucoup, on peut aimer qui
croise sa vie, mais où Sylvie Germain veut-elle en venir ? On perçoit
une certaine jouissance, trop appuyée parfois, dans le plaisir ou
la douleur. Qu'est-ce que Sylvie Germain, philosophe, veut dire dans ce
livre ?
Jeanne
Si je n'étais pas venue vous voir, je n'aurais pas dépassé
les 30 premières pages. Ces personnages n'ont pas de consistance
psychologique. Sylvie Germain décrit tous ces personnages avec
trois signes, elle aligne ainsi les générations, avec une
idée d'échelle. Toutes les pages sont bonnes, semblables,
elle sait parfaitement écrire. Elle sait empaqueter quelque chose
où elle n'a rien à dire. Elle a choisi un plan simple :
la chronologie. C'est un livre déversoir de très belles
phrases.
Claire
Je ne suis d'accord en rien avec tout ce que Jeanne vient de dire....
Une des mauvaises tendances de Sylvie Germain est d'utiliser des mots
qu'on trouve dans les dictées. Elle tombe parfois dans le cliché
(Claire lit le passage de l'arrivée du char qui va détruire
les deux frères devenus nazis pour illustrer le trop du style).
La scène d'excision de Mathilde c'est too much. Je craignais que
Sylvie Germain tombe dans ses excès. Je n'aime pas non plus l'introduction
de certains chapitres.
MAIS j'ai trouvé ce livre extraordinaire. Je n'ai aucun problème
de repérage des personnages, ce n'est pas un roman psychologique.
Le propos du livre pour moi, c'est le destin d'un individu face à
l'histoire. C'est une ode à la fécondité, la vitalité.
Sylvie Germain peut introduire le merveilleux avec naturel, avec force.
Je n'ai pas ressenti l'essoufflement. Il y a ce superbe passage sur la
rose, sur l'école. J'ai adoré ce livre. Je le trouve grandiose
par sa puissance d'évocation.
Christine
Je ne sais pas quoi dire. J'ai un problème avec ce livre, j'aurais
pu l'aimer. L'auteure aime écrire, il y a une gourmandise dans
l'usage des mots. Les termes abordés m'intéressent, mais
le livre ne m'intéresse pas, je ne sais pas pourquoi. Je ne comprends
pas la durée du livre, pourquoi tant de jumeaux, tant de prénoms.
L'auteure a beaucoup de culture, elle aime le baroque, mais sa voix n'est
pas originale, elle rappelle Garcia Márquez, Claude Simon. Son
goût pour le fantastique, pour le conte, n'apportent rien de particulier.
Elle écrit comment on fait un tableau. J'aime sa violence, mais
ce n'est pas particulier.
Brigitte
J'avais lu La
Pleurante des rues de Prague il y a quelques mois. J'ai aimé
ce livre. C'est l'histoire des mythes des 100 dernières années.
C'est parfois artificiel par exemple quand comme elle amène l'extermination
des Juifs dans ce récit ; Sainte-Thérèse de
Lisieux, autre mythe décrit au travers de l'histoire des femmes.
Le propos du livre est de démontrer comment la guerre détruit
les hommes. Un père coupe les doigts de son fils pour qu'il ne
fasse jamais la guerre. J'ai été intéressée
par les prénoms, il y a quelque chose qui se transmet par ces prénoms.
J'aurais aimé que le thème de la sédentarisation
soit traité avec plus de profondeur. Cela aurait pu être
beaucoup mieux encore.
Rozenn
J'ai adoré. J'ai fini la première nuit en sanglotant. Je
ne m'en souviens pas, mais cela m'est complètement égal.
Le côté répétitif m'est égal aussi.
Avis du nouveau
groupe parisien réuni, 23 ans plus tard,
le 26 juin 2020
Françoise
J'ai lu très vite. Entre hier et aujourd'hui. L'auteure a mis du
style, qu'on voit travaillé. Au début je me suis demandée
"mais à quoi bon ? Au service de quoi ?". Jusqu'à
la narration de la Première Guerre mondiale qui est pour moi l'acmé
du roman. Après je me suis moins posé de questions. C'était
inconfortable. Je suis très mitigée. On a l'impression qu'elle
a beaucoup bossé, mais pourquoi ? Je ne l'ouvre qu'à
moitié.
Ana-Cristina
Les deux premières pages, je me suis dit que je ne tiendrais pas
le coup. Et puis il y a eu la première nuit. Et là, le coup
de foudre. Le début est magnifique, cette main qui s'ouvre
("la terre, alentours
d'eux, s'ouvrait comme une paume formidablement plate tendue contre le
ciel dans un geste d'attente d'une infinie patience."
Puis quelques lignes plus bas, le mot "rouis"
J'ai beaucoup aimé la première nuit. L'écriture de
la première histoire est fluide, ne rencontre aucun obstacle, comme
écrite dans un super grand souffle. C'est un style d'une grande
douceur. Mais on y lit aussi la douleur. J'avais l'impression que les
personnages étaient façonnés par la peur et la douleur.
J'ai la sensation que Sylvie Germain a travaillé sur la puissance,
capable de surmonter la boue et le sang. Il y a une énergie mortifère
qui déferle sur les personnages et les sidère. Sauf pour
ce qui concerne Vitalie, personnage magnifique. J'ai beaucoup aimé
l'épisode des tranchées. J'ai moins aimé les épisodes
où le fantastique est trop présent. Même si c'est
le côté fantastique qui permet de supporter certaines scènes.
Dans la nuit de cendre, il n'y a pas de fantastique. Là j'aurai
aimé du fantastique car toutes ces menaces, c'était vraiment
dur. Cela m'aurait permis d'ouvrir en entier. J'ouvre aux trois quart
Il y a plein de très belles images. L'auteure joue avec plein de
mythes, les pulsions
C'est un livre sur la puissance, sur le mal,
la souffrance et la peur.
Margot
J'ai été emportée par le conte, j'ai bien aimé
l'écriture - cela sentait Giono, les contes, la terre
jusqu'à la page 150. Et après
cela devient improbable
cette affaire. Dès la deuxième nuit, les identités
commencent à être brouillées. Je venais de lire un
essai sur la recherche de la plus petite unité dans les contes.
Quelle est la plus petite unité de ce conte ? Est-ce la nuit ?
Le corps des femmes ? Le cri ? La gémellité ?
Ceux qui fuient les leurs ? Est-ce la guerre ? La poupée ?
Les noms ? On ne retenait plus rien. C'est trop, trop touffu. Quel
est le registre ? Le registre fantastique, le conte, la légende,
l'Histoire de la terre ? Je me suis sentie trahie, ma confiance de lectrice
trahie. Je n'ai plus vu que l'emphase, les poncifs, les lieux communs
Tout est léché et cela n'est pas vraisemblable. Le pacte
de la vraisemblance n'est pas tenu.
Arrivée à la Deuxième Guerre mondiale, je jetai l'éponge,
ça suffisait. Pas après Rouaud, pas après Cendrars,
pas après Céline. Je décide que la plus petite unité
doit se regarder du côté de l'inceste. Et cela débute
la chaîne du malheur. C'est une unité biblique. Cela m'a
gênée. Mais surtout Sylvie Germain a trahi la confiance du
lecteur. Pour cette raison, je ne l'ouvre qu'à moitié.
François
Je n'ai aucun recul car je viens de le terminer. C'est un roman où
les pistes sont très brouillées. C'est un langage très
classique, très attiré par le baroque qui justifie le surnaturel.
La Bible est aussi présente. Je dirais que la plus petite unité,
c'est le nom Péniel, qui fait référence au lieu de
rencontre de Jacob avec l'ange.
Au départ, je me suis laissé prendre. Mais moi aussi je
me suis posé la question "Où veut-elle en venir exactement ?".
La gémellité, le roi des Aulnes de Tournier, le personnage
d'Orphée
tout ça, ça se mélange un peu.
Par moment le réel devient mythique. Mais cela devient un peu systématique.
Il y a une malédiction que les membres de la famille Péniel
essaie de secouer. La référence au non qui devient le nom
et revient au non. Avec ces prénoms multiples. Une sorte de cancer
du langage avec la prolifération des noms.
Margot
Cela fait référence à la genèse.
François
C'est un roman qui m'a intéressé. Cela rappelle Giono notamment
dans Un
roi sans divertissement. On passe d'un registre à l'autre.
Mais le fantastique prend trop la main. Il y a un côté très
corseté. Je l'ouvre à moitié.
Nathalie
Ce roman est pour moi une découverte ensorcelante. J'ai été
ensorcelée dès les premiers mots. Et même après
"le dernier mot" qui "n'existe pas" de toute façon,
je suis restée ensorcelée. Je veux entendre et comprendre
le cri de Nuit-d'Ambre,
roman qui suit celui-ci. Je ne connaissais pas du tout cette autrice.
Et je remercie Monique qui a proposé ce roman à notre groupe.
J'aime tout dans ce roman que j'ouvre en très grand : le style
envoûtant, son incandescence flamboyante, sa poésie, qui
rappelle et les textes bibliques et les contes en même temps, les
personnages à la fois figures de style et visages de la nuit, les
histoires des Mille et une nuit, la beauté des espaces, et bien
sûr la douleur. Car la violence humaine ne nous est pas épargnée
avec ces trois guerres qui scandent la vie de la famille Péniel,
luttant avec l'ange pour extraire de cette terre un morceau de bonheur
qu'elle ne cesse de vouloir lui arracher. Le fantastique permet de faire
toucher au lecteur/lectrice le merveilleux de la vie en le/la protégeant
par sa mise à distance de l'horreur. On ressent le chagrin avec
cette distance qui permet de ne pas se laisser envahir totalement par
l'émotion et autorise la réflexion sur notre destinée.
Celle qui nous touche tous, car nous sommes tous mortels et la mort est
rarement belle. Nous venons de la nuit et y retournons. Avec ce passage
sur terre qui peut paraître un total non-sens. Pourquoi faire, justement ?
Le roman touche à l'invraisemblable mais la vie elle-même
ne l'est-elle pas tout autant ? Personnellement j'ai aimé
cette profusion de mythologie, mythes, contes, légendes mélangées
au "réel" du roman qui ne fait que semblant de l'être
et qui se veut sans doute plutôt fable. La genèse est très
présente avec ses 7 jours pour la création du monde et de
l'Homme (Homme = homme + femme). Le roman est composé de 6 nuits
mais la 7e nous attend, je suppose, avec Nuit-d'Ambre, le volume
suivant. Mais aussi l'exode, le Deutéronome
C'est un livre
qui se lit et se relit.
Ana-Cristina
Il y a l'idée de strates. L'individu est fait de tout son passé.
Chaque personnage se trimballe avec toutes les strates du passé
familial.
Françoise
Sur l'idée de l'identité, il y a le lieu. Elle raconte l'histoire
du point de vue du lieu. Tout est empesé du lieu.
Ana-Cristina
À partir de quand peut-on considérer que ce n'est plus vraisemblable,
pour toi, Margot ?
Margot
Jusqu'à la page 200, c'est très équilibré.
Après c'est trop souvent heurté. Elle a beaucoup lu Lovecraft.
Cela se sent beaucoup trop.
Ana-Cristina
Je crois qu'elle tente de réunir le maximum de choses pour parvenir
à la puissance de la douleur. Mais le bizarre induit des interrogations
auxquelles on ne répond pas
Margot
alors que là elle répond à tout. C'est exactement
ça. Rien ne reste en suspens.
Ana-Cristina
Ce qui pourrait éclairer sur le côté catalogue, c'est
que c'était une philosophe qui arrivait au bout de ses études
avec cette question "Qu'est-ce que je vais faire ?" La
seule issue pour elle, selon ses dires, c'était sortir du domaine
de l'idée par la fiction. C'est le tourbillon noir qui tient le
livre. Tout ce qu'elle va chercher (mythes, religions, contes, fantastique
),
c'est pour alimenter ce tourbillon noir.
Séverine (avis
transmis)
J'ai découvert cette auteure avec ce livre. De tous les prix que
ce premier roman de Sylvie Germain a reçu, le Prix du Livre Insolite
me semble le plus justifié, tant ce livre est original, à
la lisière de plusieurs genres, et laisse une impression d'"extra-ordinaire". Roman-conte,
roman-épopée, j'ai été vite ensorcelée
par sa prose poétique parfois lyrique et son histoire teintée
de réalisme merveilleux. Le style très séduisant
et personnel est travaillé sans être artificiel, riche sans
lourdeur, inventif, imagé, poétique, souple, et adapté
au récit. L'histoire est étonnante et prenante, les personnages
forts et attachants, même s'il faut parfois s'accrocher pour ne
pas s'emmêler avec ses générations successives d'épouses
et d'enfants jumeaux, aux noms composés parfois doublés
de surnoms ! Mais le personnage pivot de Victor-Flandrin dit Nuit
d'Or-Gueule de Loup permet de franchir les grandes étapes de sa
vie tumultueuse, dont la grande histoire infléchit plusieurs fois
tragiquement le cours, et de suivre comme chaussé de bottes de
sept lieux ce récit mené à grand train, d'un combattant
de la vie. J'ouvre grand ce livre qui m'a très vite emportée
dans sa magie, d'une grande profondeur sur l'homme et ses tourments, gardant
malgré la cruauté du sort une force de vie invincible, et
une capacité à donner sens à son destin. Un destin
qui s'insère humblement mais nécessairement dans un grand
tout, comme l'exprime à la fin du roman
(p. 299-300) Victor-Flandrin : "Seule
la Terre demeurait la même, immuablement, corps infiniment
millénaire doué d'une force fantastique, prêt à
poursuivre sans faillir ses cycles éternels. C'est ce qui apparut
à la fin à Nuit-d'Or-Gueule de Loup, aux confins même
de son exil immobile. Cela s'imposa d'un coup à son esprit avec
une terrible fulgurance un jour qu'il rentrait à travers champs
avec une charge de bois sur les épaules. Il s'était arrêté,
frappé de tant d'étonnement qu'il en avait eu le souffle
coupé. La pensée impossible de Dieu venait de faire retour
en son cur. Mais ce n'était plus ce Dieu qui si longtemps
avait siégé à l'à-pic du monde, tout là-haut,
comme un gigantesque oiseau de feu par -delà toute lumière
et le temps et ruisselant une fois l'an sur le front des hommes. Ce n'était
pas davantage le Dieu auquel croyait Pauline, ce Dieu de chair et de miséricorde
qu'elle priait chaque jour à genoux près du lit de son fils.
C'était un Dieu sans visage et sans nom, transfondu dans la terre,
fait de pierres, de racines et de boue. Un Dieu-Terre, se dressant tout
autant en forêts et montagnes que coulant en fleuves ou encore courant
en vents, en pluies et en marées. Et les hommes n'étaient
rien d'autre que des gestes plus ou moins amplement déployés
par ce corps très obscur enroulé sur son interminable songe.
Lui-même, Victor-Flandrin Péniel, qu'était-il sinon
ce geste lourd retombant lentement vers les profondeurs de la nuit après
avoir décrit quelques courbes inachevées et semé
au passage quelques éclats de ce rêve infiniment plus vaste
et long que sa propre vie ?"
Monique
(avis transmis)
J'ai aimé ce livre étrange, troublant, plein d'humanité
et de spiritualité, qui interpelle l'histoire de la Création
et celle de l'Humanité à travers les siècles. Le
roman se passe de la fin du 19e siècle au 20e, des rives de l'Escaut
aux terres fertiles de Terre Noire dans le nord-est de la France.
Les personnages très typés, dotés de singularités
étranges, semblent appartenir au monde des légendes, des
contes fantastiques, en dépit de leur ancrage dans un environnement
aux faits bien réels : uhlans des champs de bataille de la
défaite de Sedan, scènes extraordinaires de vérité
de la guerre de tranchées de 14-18, horreur des massacres perpétués
par les nazis
Ces personnages sont puissants, ancrés dans
leur terroir, vivent en osmose avec leur environnement, la rigueur du
climat, le givre, la pluie et le vent, mais ils sont aussi entourés
de lumière, une lumière aveuglante qui émane du ciel ;
de la neige des routes, et surtout de leur âme, de la puissance
de leurs convictions, de leur attachement réciproque, de leur courage.
C'est une histoire comme un long et éternel recommencement, à
l'image de la vie, une vie archaïque, peuplée de songes et
de légendes, une vie de chair et de sang où s'expriment
la voix, le cri, la sueur, les passions et l'espérance des hommes,
ainsi que leurs croyances, leur lien à la terre, à la nature,
aux saisons, aux animaux. On sent une uvre unique, un tout, celui
de la Création, qui se perpétue à travers les âges,
portant, étroitement mêlés, la vie des vivants et
des morts ; car ceux-là, chuchotent encore à leur oreille,
tressaillent au fond de leur être, leur font des signes. J'ai eu
l'impression d'être plongée en des temps très anciens,
aux murs primitives, un temps où les hommes étaient
en lien étroit avec la terre et les animaux, où la nature
avait la proximité des origines ; alors que l'action se situe
il y a un peu plus d'un siècle. J'ai adoré cette façon
ancrée, puissante qu'à Sylvie Germain de faire surgir dans
l'inconscient du lecteur les images de l'histoire d'une humanité
éternellement recommencée ; d'en faire ressentir le
besoin profond de spiritualité, à travers le long parcours
de vie de personnages simples, habités par la conscience d'une
vie plus forte, qui transcende leur propre existence. Le style lent, poétique,
épouse la lente progression des chalands sur l'Escaut, se met à
l'unisson de ces gens simples, bateliers et paysans, faits de droiture
et d'endurance, dont Sylvie Germain entreprend le récit ;
un style donnant à voir de façon vivante : les lieux
traversés "villes
minières, villes drapantes, villes artisanes et commerçantes,
dressant à cru leurs tours et leurs beffrois dans le vent monté
depuis la mer, là-bas, et s'attestant cités d'hommes graves
et laborieux à la face de l'histoire et de Dieu"
; la nature et son empreinte dans le cur des hommes : "Mieux
que quiconque ils avaient connaissance des luminosités et des pénombres
du ciel , des humeurs du vent et du grain de pluie, des odeurs de la terre
et du rythme des astres" ; leur courage face à
l'épreuve "Ils
se remirent au travail, à mains nues, sans autre motivation que
la nécessité de lutter pied à pied contre l'emprise
du vide
" Mais c'est l'imaginaire empreint de poésie,
de magie, de spiritualité qui traverse le livre, qui en fait un
conte philosophique, un sujet de réflexion sur le sens de la vie,
que j'aime particulièrement, avec de très beaux passages
comme celui des larmes du père qui se figent en perles de nacre,
la mort de Vitalie dont le corps se dissout en lumière, la bosse
de Benoît Quentin dans laquelle se cache un merveilleux petit garçon,
la conquête du loup dont Victor-Flandrin se fait un ami avant de
s'endormir dans sa chaleur, le chant du noir qui s'élève
dans la tranchée à la mort de ses compagnons, les grains
d'or dans l'il de Victor Flandrin qui disparaisse un à un
à la mort de ses proches
Cette magie me semble jouer le rôle
de passerelle entre vie matérielle et spirituelle, met en évidence
la complexité du monde, ses aspects inconnus, secrets, en devenir.
Car la spiritualité transcende toute chose dans ce livre. Elle
sommeille page après page de lumière en lumière,
pour exploser à la fin dans ce très beau passage ou Victor
Flandrin découvre le sens profond que revêt Dieu pour lui
(Monique cite le même passage que Séverine, voir plus
haut).
Magnifique premier livre de Sylvie Germain que j'ouvre en grand.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
|
à
la folie
grand ouvert
|
beaucoup
¾ ouvert
|
moyennement
à moitié
|
un
peu
ouvert ¼
|
pas
du tout
fermé !
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