Quatrième de couverture :
« Chaque uvre de Yi Munyôl,
dit Michel Polac dans sa lecture, m'apparaît non comme une
variation sur le même thème, la fameuse "petite musique
de l'artiste", cette touche personnelle qui permet de le reconnaître
et qui flatte tant son ego, mais comme une marche pour se hausser d'un
niveau à l'autre, élargir sa vision du monde, progresser
dans la connaissance ».
Les trois récits du grand écrivain coréen ici rassemblés
ont en effet chacun valeur de fable : Notre héros défiguré
- à travers le portrait de l'élève brutal qui,
avec la complicité du maître, impose sa loi à ses
condisciples - dénonce le règne des petits chefs et
les vices de la tyrannie politique. Le héros de l'Oiseau aux ailes
d'or s'interroge, au moment de la mort, sur son art de calligraphe et
le récit dès lors devient une méditation sur le rôle
même de la création. Dans l'Hiver, cette année-là,
c'est l'essence profonde de l'existence qui préoccupe le narrateur,
quand il voyage dans les solitudes glacées de la Corée avec
le projet de mettre fin à ses jours. »
Auteur de romans, de nouvelles et de récits, Yi
Munyol (né en 1948) est à l'heure actuelle l'auteur la plus
lu et le plus vendu en Corée du Sud. En France, il est publié
par Actes Sud.
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YI Munyol
Notre héros défiguré
Nous avons lu ce livre coréen
en juin 1997.
Il comporte trois romans :
- Notre héros défiguré
- L'oiseau aux ailes d'or
- L'hiver, cette année-là
et une "lecture"
de Michel Polac
Liliane
Jai préféré la première nouvelle, sans
doute la plus occidentale. La simplicité ma touchée.
Il a une analyse, bien dun adulte, et même adulte, ça
nest pas résolu. Il y a une sincérité, avec
ce thème universel du piège, la force sidérante,
imparable, de la capacité de certains à abuser de leur pouvoir.
Ladulte reste désemparé. Je me heurte à ça
dans mon milieu professionnel
Je me suis identifiée à
ce narrateur. Comment se situer ?
A travers les trois récits, on distingue un idéalisme, une
ascèse. Pour les deux autres récits, jai dû
faire un effort. Ils sont austères, mais intéressants, avec
la question : quel sens donner à sa vie ? Cest passionnant
et ennuyeux
Je nai jamais pensé un instant que cétait
artificiel car cest sincère. Et ça ramène à
nous.
Céline
Jai trouvé ça simple, mais avec un effet contraire
: un peu dennui car cest trop lisse et manichéen. "Notre
héros défiguré" est une toile de fond pour les
autres personnages. Il ny a pas assez de relations, on ne connait
pas les élèves (ils sont un), je nappréhende
pas la situation, je vois la parabole, ce nest pas exprimé
avec les tripes, cest décrit comme une presse rotative. Il
ny a pas de ressenti. Cest trop distancié. Il décortique,
cest intéressant, mais je ne suis pas convaincue de sa souffrance.
La seconde nouvelle, je ne lai pas terminée, mais jai
plus accroché.
Monique (avis téléphoné)
Cest une lecture pas désagréable, avec une concision
sur le sujet, mais le narrateur mhorripile, avec une certaine naïveté,
des clichés, sur limportance du QI, des ressources des parents,
lopposition ville/campagne. Il manque une vision "coréenne".
En conclusion, un livre "correct" écrit par un premier
de la classe.
Claire
Jai trouvé le premier roman magistral, les deux autres plus
"didactiques", avec des commentaires fumeux qui nuisent à
la "quête". Mais ce sont trois romans qui ont en commun
le destin dun individu, plus sous forme dun dessin que dun
tableau : les lignes essentielles.
Le point de vue de Michel Polac (extrait de la postface)
Notre héros défiguré
« Les
brutalités décrites par Yi Munyol sont, elles, fort banales,
mais à travers ce roman c'est tout un système politique
dictatorial qui est dénoncé : l'avilissement des individus
par le règne de petits chefs, des caïds ; la peur, le
mensonge, l'aveuglement ou la lâcheté des maîtres,
tout un système qui détruit les valeurs et la dignité
de l'homme.
Mais l'uvre de Yi Munyol n'est jamais noir et blanc et le jeune
narrateur du livre - dont on peut penser qu'il a certains points
communs avec l'auteur qui a été lui aussi exilé dans
des provinces reculées à la suite de la "disgrâce"
de son père - va finir lui aussi par s'abaisser devant le caïd
de la classe. Celui-ci ne sera pas vaincu par des méthodes très
exemplaires : le nouveau professeur, lorsqu'il découvre l'envers
du décor, va rétablir la justice avec beaucoup de brutalité :
on pourrait presque penser à un maître zen qui provoque l'ouverture
de l'esprit à coups de bâton sur ses disciples.
La force de Yi Munyol est d'obliger le lecteur à s'interroger,
à douter de lui-même : comment réagirait-on dans
une situation pareille ? N'y a-t-il pas en chacun de nous une inclination
vers la servitude volontaire, parce que la liberté fait toujours
peur et que d'une certaine façon la prison "protège",
et de soi-même et des autres ? Encore que l'exemple des pays qui
ont connu la dictature peut nous rassurer : Coréens, mais
aussi Espagnols, Italiens, Allemands et maintenant Russes nous prouvent
qu'ils sont "vaccinés" à une large majorité
- le "résidu" ne dépasse pas cinq pour cent en
Espagne, dix pour cent ailleurs ! Mais un autre danger survient et
Yi Munyol le fait apparaître dans les très surprenantes dernières
pages de Notre héros défiguré : trente
ans après, le capitalisme sauvage triomphe, et le narrateur est
victime de son honnêteté, de son refus des compromissions
mercantiles, il devient un chômeur, un raté dans la compétition
sans merci de la fin du XXe siècle, alors qu'"un ami avait
ouvert une boîte avec trois fois rien et plastronnait avec l'argent
qu'il s'était fait grâce à un produit dont lui-même
ignorait tout". A la dernière ligne le narrateur pleure-t-il
sur lui-même ou sur le sort des hommes ? Est-ce le pessimisme de
l'auteur qui pointe ? Je crois que l'auteur veut nous signifier qu'il
n'y a pas de fin au combat, qu'il y aura toujours une force négative
contre laquelle lutter, comme si dans chaque victoire se cachait le germe
d'une nouvelle défaite. »
«
L'Hiver, cette année-là
m'a rappelé un récit de Wemer Herzog : la traversée
d'une partie de l'Allemagne et de la France en plein hiver, à pied,
avec le vu d'obtenir ainsi la guérison de Lotte Eisner, l'historienne
du cinéma qui était gravement malade. Mais autant le texte
de Herzog est enraciné dans une réalité contemporaine,
brutale et laide, avec ses routes goudronnées et ses camions, autant
le pèlerinage de Yi Munyol nous fait retrouver la beauté
des paysages éternels de l'Asie. Le héros traverse les montagnes
enneigées de la Corée, l'hiver, pour aller se suicider au
bord de la mer. Au terme de son pèlerinage aux sources, à
travers les épreuves, il se réconciliera avec la vie et
abandonnera son projet, comme l'aiguiseur de couteaux qui voulait tuer
un homme qui l'avait trahi. Le suicide et le meurtre ne sont que les signes
négatifs d'une haine de la vie. »
« L'Oiseau
aux ailes d'or me paraît une des plus
belles méditations sur le rôle de l'art en ce siècle
de mutations et de ruptures. Dans l'univers immolait - hors du temps -
de la tradition, le peintre peut se livrer à toutes les variations
sur les apparences, il reste l'artisan modeste et même parfois anonyme
qui sert de révélateur de la Réalité - illusoire
ou non peu importe ; la perfection du travail est indissociable de
la perfection intérieure, l'une progresse avec l'autre, la maîtrise
de la technique est maîtrise de soi. A la limite, le maître
dédaignant tout succès mondain s'efface dans son uvre,
et même y disparaît. Kojuk, le héros du roman, se révolte
contre la tradition, avec d'autant plus de raison que cette tradition,
partout dans le monde, est usée jusqu'à la corde par la
routine, la répétition des mêmes recettes, un conservatisme
sclérosant, paralysant. Kojuk, bien qu'excellent élève,
est influencé par l'Occident, il sent bouillonner en lui une énergie
violente, il veut exprimer sa personnalité, se distinguer, innover
et sortir de l'anonymat grâce à la création de nouvelles
formes. Nous autres qui avons transformé Van Gogh en héros
de notre temps et même en saint, nous comprenons le désir
de Kojuk, nous nous reconnaissons dans cet aventurier de l'esprit. Et
pourtant, au terme d'un itinéraire chaotique, alors qu'il a obtenu
la reconnaissance sociale, le héros du livre va se livrer à
un autodafé, et se libérer ainsi d'une uvre dans laquelle
il se sent prisonnier, une uvre qui n'est plus à ses yeux
qu'une égotiste exaltation du moi, un monument à sa gloire,
mais quelle gloire, quel "moi" ? Vivre sa vie, se réaliser
(idéal occidental) ne suffit pas et même nous égare,
nous éloigne de la véritable réalisation de soi qui
est libération des chaînes de l'ego. Et cela, l'art moderne
(et toute la civilisation industrielle) l'ignore. C'est pourquoi le suicide,
la folie, sont si souvent au bout de la route des artistes contemporains,
comme aussi, au bout de la route que l'Occident a empruntée, grisé
par la soif de possession de de pouvoir. Mais sans doute fallait-il que
le jeune peintre s'opposât à son vieux maître, refusât
l'héritage, les modèles, allât au bout de son désir
pour tirer la leçon par lui-même, et non une leçon
imposée. »
Le texte complet de Michel Polac : «
Yi Munyol : un pont entre Orient et Occident »,
Notre héros défiguré, Actes Sud ,"coll.
"Babel", 1993
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