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Elfriede Jelinek
La pianiste
Nous avons lu ce livre en septembre 2001.
Roman adapté au cinéma par Michaël Haneke, avec Isabelle
Huppert, Annie Girardot, Benoît Magimel
Claire
J'avais essayé de le lire quand il est sorti et je m'étais
arrêtée en cours de route : une impression admirative et
en même temps de saturation du fait de la densité de l'écriture.
C'est le seul auteur avec Clarice Lispector qui a créé cette
situation : admiration et impossibilité à lire. Plusieurs
fois, j'ai essayé de proposer Elfriede Jelinek au programme du
groupe lecture, mais en vain. L'adaptation au cinéma tombe bien,
le groupe a accepté de la lire. L'impression a été
la même, avec cette impossibilité de continuer. Du coup,
je suis allée voir le film (fort, très fort -un choc- mais
dépourvu de cette écriture intransposable), puis suis retournée
au livre pour certaines scènes. La saturation provient des métaphores,
toujours surprenantes. Un exemple : "La
mère se cantonne dans un silence inhabituel. Elle lance ça
et là un ballon d'essai bien intentionné, mais manque le
panier accroché trop haut pour tenir à sa fille la dragée
haute. Année après année, le panier est remonté
d'un cran. A présent, il est presque hors de vue."
Madeleine
Tout ce qui s'est dit sur le film ne m'a pas donné envie de le
voir ; le metteur en scène a dit par exemple qu'il avait fait en
sorte que les spectateurs détournent le regard de l'écran.
Par contre, je suis bien rentrée dans le livre. Je ne m'attendais
pas à la relation mère-fille. La culture autrichienne est
l'objet d'une critique virulente. Les métaphores sont des parodies,
assez lourdes. Le plus intéressant pour moi, ce sont les échappées
(parc, peep show) qui montrent bien comment surgit le désir, l'excitation
sexuelle. J'ai été sensible au personnage de Klemmer et
trouve ce personnage assez sympathique.
Marie-Jo
J'ai beaucoup aimé ce livre, fond, forme, et leur adéquation.
J'ai été éblouie par l'écriture et le récit
d'une énorme souffrance. Les échappées, elles restent
dans la haine des autres et de soi. Conseiller ce livre serait délicat…
mais ça vaut le coup d'aller jusqu'au bout. L'écriture est
concise. On a le point de vue du narrateur et du personnage ; on entend
les personnages, sans réel dialogue. Les métaphores sont
un peu gênantes, déshumanisantes. L'écriture va jusqu'à
l'extrême, les sentiments sont extrêmes. Le cynisme, épouvantable,
est un peu lassant. Je ressens ravissement et horreur. Pour moi, c'est
un grand livre.
Liliane
J'ai eu du mal à le lire, saturée par les sarcasmes. J'étouffais.
Il y a des choses drôles, et l'humour m'a aidée. La dissection
des personnages est cruelle, difficile à supporter. Il y a pour
moi un réel changement après la lettre : de la part du narrateur,
il y a un peu plus de compassion pour les personnages. La souffrance se
dit davantage, ce qui a relancé ma lecture. J'ai parfois lu tout
de même en lecture rapide… Ce que je ressens est très mêlé
: j'ai du mal avec les femmes qui utilisent les moyens romanesques pour
explorer leur folie, je ne suis pas touchée vraiment. Dans Madame
Bovary, tout se tient. Ici, c'est moins crédible ; je sens la romancière
qui s'exhibe, comme dans d'autres livres de femmes. C'est comme si elle
soulevait un coin de couverture pour aller jusqu'au bout. Mais je reconnais
les grandes qualités d'écriture.
Jacqueline 1
C'est un livre qui demande du temps. Je partage ce qui a été
dit sur l'écriture, l'oppression, la force originale, mais pour
suivre, il faut faire un effort. J'ai interrompu la lecture pour aller
voir le film. J'ai eu un choc, j'étais furieuse, je ne reconnaissais
pas le livre : par exemple, Erika regarde des images de couples dans la
sex shop, alors que dans le livre, elle est parmi des hommes à
regarder une femme qui dans le peep show s'exhibe à eux : c'est
une trahison de Jelinek sur le regard. Aucun sentiment des personnages
n'apparaît dans le film. Le film est écrasant, mais il aide à
la lecture.
Jacqueline 2
C'est une lecture difficile qui ne me plaît pas beaucoup. La langue crue
évoque la cruauté. La vérité qui touche à
la vie de Jelinek est insoutenable dans son expression. Je ne suis pas
arrivée au bout, mais je pense que rétrospectivement, j'y
aurais vu un certain intérêt.
Marie-Christine
J'ai compris très vite que je n'irais pas loin dans la lecture.
Je suis allée voir le film qui m'a anéantie, par des chocs
successifs, cette névrose en raccourci. D'ailleurs, des spectateurs
sont partis pendant le film. Mais j'ai envie de lire la suite.
Françoise
J'ai trouvé le film fidèle au livre. Cependant, il n'y a
pas la dimension sociale dans le film, dimension qui occulte la mère.
Klemmer est ambigu dans le livre, alors qu'il est simplement amoureux
dans le film. Mais beaucoup de choses sont respectées. Dans le
livre, la forme et le fond sont à l'unisson : assez pénibles.
Personne ne s'en tire. Le style cultive la dérision en permanence.
Jelinek, n'aime pas les hommes, ni les femmes, ni l'humanité, et
ne connaît pas la compassion. Elle trouve le monde horrible, elle voit
les rapports humains comme des rapports de force, comme un combat entre
les deux sexes. Le vocabulaire trivial, voire vulgaire (par exemple dans
le récit -par ailleurs excellent- où Erika dans le bois épie
le rapport sexuel d'une autrichienne et d'un turc, p.117 à 130
: "elle en prendra plein les gencives", "un joli p'tit lot", "lui aussi
n'est plus qu'une chiure de mouche à l'horizon"), les métaphores
lourdes et nombreuses, l'absence de dialogue, contribuent bien à
rendre cette atmosphère étouffante où règnent les
névroses ; la folie n'est pas très loin. Quelle dérision,
quel mépris ! Où est le "comique irrésistible" mentionné
sur la quatrième de couverture ! Rien ne trouve grâce aux yeux
de Jelinek. Aucun personnage, aucun rapport humain, pas plus que la société
Autrichienne, ni la société en général. Cette
persistance en adéquation avec la pesanteur du style donne une
impression d'étouffement et de "trop" (c'est too much) et j'ai
eu du mal à finir. En tout cas, c'est un bel exemple de ravage
mère-fille à rajouter au livre de Lessana que nous avions
lu.
Manuel
J'ai commencé par le film. Que dire ? Je suis resté
très perplexe devant une oeuvre pour le moins singulière.
Michael Haneke n'en est pas à son coup d'essai. Il fait toujours
le même film. De longs plans séquences. De longs silences.
Des situation scabreuses. J'aime pas. Et à la fin pour quoi faire
? J'ai un peu retrouvé le thème de L'adversaire : ce que
les gens sont dans l'intimité et ce qu'ils laissent transparaître.
Après la projection, j'ai couru à la FNAC. Et je suis bien
tenté de le lire afin de me faire une opinion définitive
sur le film.
Propos recueillis d'Elfriede Jelinek
- "Dans La pianiste, je voulais montrer avant tout combien sonne
creux toute cette haute culture musicale autrichienne qui donne au pays
une bonne part de son identité. Il s'agit d'un énorme mensonge
: l'Autriche n'a pas aimé ses compositeurs, Schubert entre autres,
mon compositeur préféré. Je sais de quoi je parle
quand j'écris au sujet de la musique dans La pianiste.
- "Vous m'avez dit que, dans mes livres, je continue à mettre le
doigt essentiellement sur des choses négatives, qu'il n'y a rien
de positif, pas d'utopie apaisante. Je ne peux pas écrire sur autre
chose. Je ne fonctionne que dans la mesure où je suis capable de critiquer
ce qui existe. Je ne suis capable d'écrire que dans la mesure où
je peux m'attaquer à des situations intenables à mes yeux.
Est-ce que je me libère de mes phantasmes en écrivant ainsi
? Là encore, je laisse volontiers la réponse à un
psychanalyste. Mais au moment de l'écriture, ce qui me terrifie
est circonscrit, il y a eu catharsis. Mon arme, ma force, c'est le sarcasme.
La manière avec laquelle je manie la langue peut aller jusqu'au
calembour, la langue se dénonce elle-même : j'échange
des syllabes, des lettres, je la triture à ma guise."
- "Mon écriture se limite à démontrer de façon
analytique, mais aussi polémique - sarcastique -, ce mal qui existe.
Je laisse à d'autres auteurs, masculins et féminins, le
domaine de la rédemption. Mon écriture, ma méthode
sont fondées sur la critique, non sur l'utopie."
- "Je crois comprendre que les lecteurs savent clairement que mon écriture
est profondément marquée par la passion d'écrire.
La langue devient un facteur de sublimation, elle élimine le sujet
du livre, elle le remplace. Je suis très différente de Thomas
Bernhard : il touche des points que le lecteur et lui ont en commun ;
on adopte ainsi plus aisément son point de vue."
Sur le film de Michaël Haneke
- "J'ai longtemps hésité avant de donner mon consentement.
Ma prose est fortement axée sur la langue, c'est dans la langue
que les images prennent forme, et c'est la langue qui les transmet. Je
ne pouvais pas imaginer que le film puisse y ajouter quelque chose d'essentiel.
Dès le début, cependant, il était clair que je n'accorderais
les droits qu'à un cinéaste comme Haneke, qui pouvait développer
son propre canon d'images et les confronter au texte."
- "Nous procédons tous les deux de façon analytique et sans
passion, comme des scientifiques qui observent des insectes. De très
loin, on perçoit les mécanismes plus clairement que si on
se trouve parmi eux."
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