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Dai Sijie
Balzac et la petite Tailleuse chinoise (2000)
Nous avons lu ce livre en octobre 2002.
Françoise Del
J'ai lu le roman et vu le film : j'ai aimé les deux, sans plus.
L'un et l'autre traitent de la rééducation en Chine, avec
légèreté. J'ai lu et vu des choses bien plus rudes
sur ce sujet. Ici les autorités restent loin et il n'y a pas de
sadisme. La peur reste supportable. Le seul moment de suspens dans le
film est l'épisode de l'avortement. Sinon les jeunes gens ne subissent
que ce que les paysans eux-mêmes subissent : la mine et la m...e.
La beauté du paysage et la beauté des jeunes garçons
m'ont frappée dans le film; la fille est mignonne sans plus
Du livre, on garde la grande idée de Fahrenheit 451 qu'on
trouve aussi dans Le pianiste : que la culture est la seule barrière
à la barbarie. Pour nous autres occidentaux, c'est peut-être
une leçon. Faudrait-il interdire les livres pour qu'on les apprécie
à leur juste valeur ? La soif de culture de ces trois adolescents
est rafraîchissante quand on a à faire à nos adolescents
négligents et blasés. La fin est plus brutale que celle
du film et par conséquent meilleure. Le film souligne l'autobiographie,
nous rassure quant à l'avenir des deux jeunes gens. La rencontre
entre la petite tailleuse et son amant (qui n'est pas dans le roman) est
inutile.
Muriel
Ce livre est un hymne à la littérature et à l'amour
des livres. Je l'ai lu il y a quelques mois et en ai gardé un très
bon souvenir, mais vague cependant.
Françoise Dub
J'ai bien aimé, tout en étant un peu déçue.
Je m'attendais à une écriture et un style plus recherchés
comme en ont généralement les auteurs qui n'écrivent
pas dans leur langue maternelle (Cheng, Gao, Makine, Conrad
). Cependant,
c'est un témoignage sur la révolution culturelle, traité
avec légèreté, bien qu'on puisse mesurer le drame
humain que ce fut. Certains passages sont très drôles (lorsqu'ils
vont voler la valise et que le binoclard a la " courante ")
et tout ce qui touche aux livres est émouvant, comme Le Comte
de Monte-Cristo raconté pendant plusieurs nuits au vieux tailleur,
ou quand le narrateur paye l'avorteur avec ses livres préférés.
Ces anecdotes mériteraient de figurer dans L'histoire de la
lecture d'Alberto Mangel. C'est un hommage aux livres qui se lit facilement.
Sabine
J'ai lu le livre quand il est sorti et je l'ai trouvé sympathique.
Comme il est dans des cartons parce que j'ai déménagé,
je n'ai pas pris la peine de le rechercher et de le relire. Quant au film,
je le verrai sur TF1, un dimanche soir, dans trois ans ....
Je file chez le médecin, un de mes fils a une conjonctivite d'enfer.
Loana
J'ai adoré, ça m'a plu, je ne me suis pas posé de
questions sur l'écriture. C'est très fin. Le livre est profond
sur les questions d'identité, de culture. La culture est réduite
à un effet de séduction. Chacun est à sa place dans
un système. J'ai vu le film et j'ai mieux aimé le livre.
Le film m'a agacée avec la partie " vingt ans après ".
Mais il m'a fait comprendre des choses que je n'avais pas comprises. Les
personnages sont tels que je les avais imaginés, mais la ville
est complètement différente : je me représentais
une ville avec des gratte-ciels
Le vieux tailleur me laisse perplexe
: absent ? Complaisant ?
Jacqueline
J'avais lu le livre quand il est sorti il y a deux ans à cause
du titre. Ça m'avait plu. Le rôle joué par les livres
renvoie à Don Quichotte, à Madame Bovary.
Or cette culture qui est interdite, c'est la culture française
qu'on exportait dans les années 60, assez particulière (Romain
Rolland
). Lorsque je l'ai relu, le livre a continué à
me plaire. J'ai vu le film, où beaucoup de choses sont changées,
alors que pour moi elles étaient importantes : par exemple, la
recherche des chansons populaires ; le bouillon des vêtements, pour
tuer les poux, manque aussi dans le film ; le tailleur devient grand-père
alors qu'il était père. Les héros restent "
bien propres ", avec leurs tee-shirts toujours impeccables, ce qui
n'est guère vraisemblable
Bref, j'ai été déçue
par le film, dont je n'ai pas aimé la fin. D'une certaine façon,
il a cassé mon avis sur le livre
Roselyne
Quand le livre est sorti, je n'ai pas eu envie de le lire à cause
de son titre
J'avais lu un témoignage sur la rééducation
écrit par une femme chinoise que je connaissais, rendant compte
de circonstances terribles, avec des changements de lieu, la séparation
des couples ; cette femme, alors qu'elle avait fait ses études
en France, avait volontairement voulu retourner en Chine, tout ça
pour être " rééduquée "
Dans ce livre, ce drame paraît bien léger et n'est pas le
reflet de la réalité. Mais du coup, plaisant, il devient
plus accessible. Les héros manifestent un certain mépris
pour la jeune tailleuse. J'aime bien les fictions racontées par
les héros. Mais c'est trop léger pour un sujet grave.
Madeleine
Mon avis n'est pas très positif sur ce livre : cette histoire est
"mignonne" pour quelqu'un de fatigué
Je suis fâchée
en fait contre ce livre. La théorie de la culture se retourne contre
son auteur qui veut coller à une pseudo culture européenne
où il veut faire passer sa propre écriture. J'ai pensé
à Tahar Ben Jelloun qui essaie de plaire aux Européens par
ses livres. Les scènes, soi-disant drôles, ne m'ont pas plu.
On ne croit pas au côté dur de la vie de ces jeunes. Je ressens
aussi ce mépris pour la tailleuse qu'il faut un peu dégrossir.
Et je suis consternée par la fin, par la dernière phrase.
Je n'ai pas envie d'aller voir le film. J'ai lu de François Cheng
Le dit de Tiany, qui est beaucoup, beaucoup mieux que cela.
Claire
Je trouve que vous faites un procès à l'auteur en parlant
d'un projet qui n'était pas le sien : "Mon
intention n'a jamais été de faire une thèse sur la
Révolution Culturelle, mais seulement de raconter une histoire
d'amour et d'amitié entre trois adolescents liés par la
découverte frauduleuse d'une littérature censurée."
Lors de l'émission des adieux surprise à Pivot, on voyait
Dai Sijie dans les montagnes chinoises avec les comédiens du film
qu'il était en train de tourner, et, en direct, il disait sa reconnaissance
à Bernard Pivot qui avait apporté le succès au livre
(traduit en 25 langues) sans lequel ce film n'aurait pu être tourné
: c'était émouvant et j'attendais la sortie du film pour
lire le livre. Ce livre m'a donné beaucoup de plaisir et le film
l'a renouvelé. Certains passages sont pour moi mieux réussis
dans le film (la recherche des chansons, plus directe, pas alambiquée,
les costumes du tailleur subissant les influences d'Alexandre Dumas),
d'autres moins (la scène du buf mangé qu'on ne s'explique
pas, et le talent de conteur qu'on devrait voir d'abord dans le récit
de films vus antérieurement à la rééducation
avant que le chef n'envoie les garçons au cinéma). Comparer
le livre et le film, en plus tourné par l'auteur du film, ajoute
au plaisir : ça ça y était, ça il l'a ajouté,
et la fin a pour moi au contraire prolongé très agréablement
le conte, car pour moi, c'est un conte (et donc forcément les héros
sont beaux et propres !). Et le conte continue : "Nous
avons trouvé ce lieu vraiment par hasard, raconte Dai Sijie. Un
lac au sommet d'une montagne où l'on accède par un escalier
taillé dans la pierre. Exactement comme dans les décors
originaux. Nous avons, dans un village voisin, trouvé la maison
des rééduqués que nous avons achetée et reconstituée
au sommet de la montagne. Nous avons aménagé une amorce
de village au bord du lac et nous avons construit une route pour permettre
un accès plus facile au décor. Que sont devenus les décors
après le film ? Ils sont restés en l'état. La production
les a offerts aux villages avoisinants qui les font aujourd'hui visiter."
Je trouve ça merveilleux, sans compter que l'ensemble est autobiographique.
Mais je consens à avouer qu'à mon plaisir est associé
un soupçon : un plaisir de passe, plus que de grand amour ?
Sandrine
"Si ce livre ne devient
pas un best-seller, alors cette émission ne sert à rien."
Cette déclaration de Bernard Pivot mais aussi un titre de roman
pour le moins énigmatique (quel rapport peut-il y avoir entre Balzac
et une petite tailleuse chinoise ?) avaient à la sortie de
ce roman fortement aiguisé ma curiosité.
J'ai lu ce roman comme un scénario d'un film, chaque chapitre est
une scène, chaque description une prise. La scène des amoureux
dans l'eau est décrite en fonction des différents points
de vue. Malgré un contexte politique (rééducation
des intellectuels) et économique (pauvreté matérielle,
totale indigence intellectuelle) abominables, il émane de l'écriture
de Dai Sijie une agréable fraîcheur. Car ce roman d'initiation
est pour moi, avant tout une exaltation des sens. Sens, sensations, émotions
constituent la trame même de ce roman. Exaltation de la vue (le
Binoclard qui justement ne voit rien, description de la petite tailleuse
lors de la séance de cinéma, exaltation de l'ouie (violon),
exaltation du toucher (description des poux qui grimpent le long de leur
corps). J'ai beaucoup apprécié le sens de l'humour de l'auteur
et sa manière de décrire certaines situations vraiment cocasses
(de manière générale Luo ne manque jamais aucune
occasion de se jouer des paysans et de leur ignorance, avec Mozart notamment
ou le plombage sadique de la carie et encore la note comique lorsque les
deux jeunes gens boivent l'huile de la lampe à pétrole chez
le meunier). La naissance de cette histoire d'amour est un apprentissage
de la sensualité et de la naissance des émotions. Certes
les jeunes garçons sont socialement déchus mais ils restent
néanmoins des jeunes de la ville (la petite tailleuse sera toujours
consciente et extrêmement lucide sur son statut de paysanne de même
que Luo, dès leur première rencontre). Ici l'amour est bien
un éveil au plaisir de la sensualité, à l'écart
des carcans sociaux, face à une situation difficile où aucun
espoir n'est permis. "Pourquoi
vous êtes toujours attirés par les saloperies interdites,
tous les deux ?" demande le Binoclard. Ces romans et la
présence sensuelle de la petite tailleuse sont leurs seuls échappatoires
face à une réalité trop difficile à vivre
(et feront d'ailleurs disparaître les crises d'anxiété
nocturnes de Luo). L'imaginaire et le plaisir seront salvateurs dans un
premier temps, puis deviendront libérateurs (récit d'histoires
au tailleur, ébats dans la vallée de la cascade et enfin
décision de partir de la petite tailleuse). D'une part la découverte
de la liberté pour une petite tailleuse dont l'horizon de vie est
d'emblée défini et limité, et dont l'action se limite
à des droits et à des devoirs, et d'autre part du plaisir,
de la sensualité, du sentiment d'aimer et d'être aimée
ouvrent une infinité de possibles et de confiance en soi. La petite
tailleuse - l'élève -dépasse ses deux amis - le maître
- car, en lui faisant découvrir le chemin du rêve et de la
liberté pour eux mêmes, ils ont fait naître en elle
l'espérance et la force de se construire son avenir pour elle.
Merci Monsieur Sijie : vous avez découvert comment toucher notre
orgueil franchouillard : en flattant ce que nous avons de plus cher en
nous, notre culture, et ce rêve qu'elle puisse être accessible
à tous ceux qui souhaitent s'y intéresser.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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