Émile Zola
Au bonheur des Dames

En Folio, J’ai lu, Marabout, Pocket, Garnier Flammarion, Livre de Poche...

Nous avons lu ce livre en janvier 2003, à l'occasion d'une exposition sur Zola à la BNF (toujours en ligne virtuellement), et avions auparavant visité la maison de Zola en juillet 1995, en lisant Les soirées de Médan.

Françoise Delphy
J'ai relu Au Bonheur des dames pour la troisième fois et ça m'a toujours plu. Peut-être suis-je un peu lassée parfois par l'accumulation, l'abondance dans les descriptions. On a parfois l'impression d'être submergé, d'un trop plein d'objets de couleurs, de textures, mais la lente mort du petit commerce est extrêmement bien rendue, ainsi que l'obstination stupide et désespérée des propriétaires. C'est Goliath qui triomphe de David. On ne croit pas vraiment au thème de Cendrillon bien que le mythe nous fasse toujours rêver comme dans le film Pretty Woman.

Martine
J'ai relu Au Bonheur des Dames ; j'en avais chassé de ma mémoire les esclavagistes conditions de travail de l'époque, que Zola, en bon journaliste - mais pas seulement ! - souligne au passage : les nuits sur son lieu de travail, sous les rayons pour les hommes, dans les confettis de bonne sous les combles pour les "jeunes filles", les salaires de misère au pourcentage, les humiliations, intrigues, et quasi "droit de cuissage" de patrons si bassement paternalistes. Les Français, parmi autres Occidentaux, peuvent mesurer le chemin parcouru et les autres se sentir l'envie de réviser "J'accuse" à l'aune des injustices sociales du capitalisme au service des premiers.
J'en avais aussi oublié le côté "eau de rose" de la fin, ce pôvre richissime que l'amour rend à ce point "esclave" à son tour, qu'il n'a finalement d'autre choix que d'épouser une provinciale sans dot, en lieu et place des beaux partis foisonnants alentour. Le triomphe dans les toutes dernières pages de ladite provinciale si moralement valeureuse, droite et exemplaire, a aujourd'hui un indéniable côté "cucul".
Au Bonheur des dames, sous l'angle notamment de l'analyse des évolutions commerciales - promues par la même provinciale "visionnaire" quoique tiraillée affectivement entre la boutique familiale de son oncle et le rouleau compresseur du big business - a néanmoins de nouveau fait mon bonheur. Avec une pensée émue à José Bové contre Mc Do dans un autre registre. Dans la série David contre Goliath où figurait aussi Marie-Claire. On en redemanderait presque.

Françoise Dubeillon
J'ai beaucoup aimé : le style, les évocations et descriptions très vivantes, le sujet toujours actuel - aussi surprenant que cela puisse paraître - de la grande distribution qui bouffe le petit commerce ; de plus, c'est mon quartier (place Gaillon, passage Choiseul, rue Saint Roch, rue du 4 septembre etc.) et c'était agréable de visualiser les lieux évoqués.
Je trouve que l'ensemble descriptions du décor et personnages est bien équilibré, si bien qu'on ne se lasse pas de l'un ou l'autre, tout en apprenant plein de choses sur cette époque car on le sait, Zola était extrêmement documenté et préparait de solides dossiers avant d'attaquer la narration. C'est donc pour nous à la fois une autre époque et très réel. Seules (petites) restrictions :
- Denise est vraiment trop parfaite... et maso !
- A partir de son ascension sociale, on ne voit plus sa vie quotidienne et ses frères ont disparu.
En conclusion : lecture très agréable.

Katell
Deux réflexions glanées par des personnes peu lectrices à la vue du Bonheur des dames :
- c'est un des rares classiques que j'ai aimé
- il y a beaucoup de descriptions.
En effet, les deux souvenirs de ma lecture d'il y a vingt ans (?) : les descriptions foisonnantes du magasin et le livre m'avait beaucoup plu. De l'histoire et de l'intrigue en revanche, je ne me souvenais de rien. Zola est un conteur de génie, ça vit, ça galope, l'intrigue avance, parfois très vite. Les descriptions sont magnifiques, les images des pyramides de linge, des couleurs, de l'organisation, d'un bout à l'autre du roman, même si c'est parfois un peu récurrent, ont enchanté mon imagination.
Un bémol toutefois : les caractères humains. Je n'ai trouvé aucun des personnages vraiment attachants. Autant Zola excelle dans la représentation réaliste du monde qu'il décrit, autant, pour les personnages, je le trouve un peu "pauvre". Octave Mouret est assez falot. Denise ? Ni sa timidité et ni sa persévérance ne sont vraiment convaincantes. Quant aux autres personnages féminins - et c'est mon féminisme naturel qui parle - je les ai trouvés vraiment caricaturaux. Entre la femme qui a la fièvre acheteuse, l'amante jalouse, la troisième engoncée dans sa superbe et son embonpoint (la première du rayon)… Pour Zola, il faut être douce et timide pour être une femme acceptable !
L'ascension de Denise me paraît peu crédible (de sa mise à l'écart à son couronnement), alors que les rapports des commis de rayon, des vendeuses, des chefs, leurs mesquineries et leurs intrigues sont extrêmement bien rapportés (d'ailleurs, rien n'a changé si on est un peu familier de la vie de bureau !).
Cependant, lire ou relire Zola, lorsqu'on enchaîne quelques romans pitoyables réconcilie vraiment avec la littérature.
Deux autres points. Si on ne peut se déplacer voir l'exposition de la BNF, elle y est en totalité sur le site. Un après-midi de paresse, j'y ai passé deux heures et ça vaut le coup, d'autant que les documents présentés n'ont pas une grande valeur artistique et que le commentaire est assez intéressant. Les éditions Bouquins publient l'ensemble de l'œuvre de Zola (169€ si je me souviens bien). C'est un bel achat selon moi. Quand on est à court de lecture, rien ne vaut un bon Zola !

Christine
Je l'avais lu quand j'avais 12 ans et j'ai retrouvé la même impression de pesanteur : les pauvres sont trop misérables, les riches sont trop odieux, c'est pénible. J'ai été intéressée par la description du grand magasin, de la politique de vente à perte. Mais la psychologie des personnages est très faible, ils sont caricaturaux ; la manière dont on traite Denise dans le magasin est vraisemblable, mais on ne suit pas son évolution mentale ; quant à l'histoire d'amour, elle est incroyable. Les descriptions sont intéressantes au début, après c'est trop. C'est documenté, et ça se sent. Je ne veux plus lire de Zola.

Brigitte
Je ne l'avais pas lu à 12 ans… Mais j'avais vu le film de Cayatte qui a modifié plusieurs choses ; je préfère la vision de Cayatte (où Geneviève se suicide). J'étais pourtant assez contente au début, et puis à partir du moment où Denise dit à Mouret "je ne partage pas", c'était fini. Les descriptions du blanc, c'était trop. C'est très bien documenté, mais question romanesque, bof ; l'écriture est journalistique. Les relations de travail, avec le colportage des ragots sont bien décrites ; j'ai beaucoup aimé les conversations des hommes à la cantine (j'ai pensé au restaurant-cantine sous la Madeleine, je vous conseille la visite, tous les midis sauf le week-end). Les descriptions du Bonheur des dames sont intéressantes, mais les personnages sont stéréotypés ; il n'y aucun nouveau personnage : on les a tous rencontrés dans les romans du XIXème siècle.

Jaqueline
Je suis très partagée. J'admire le travail de documentation. Mais j'ai du mal avec le livre. J'ai beaucoup d'intérêt pour l'époque et la condition des gens. Mais je n'accroche pas au roman, à l'intrigue Denise-Mouret à l'eau de rose, bien que ce fût la situation des couples Larivière et Cognac-Jay.

Liliane
Je n'ai pas eu le courage de le relire. J'avais apprécié l'aspect documentaire. La technique commerciale ne m'esbaudit pas ; c'est le début de la société de consommation. Je trouve Zola lourd, manichéen. Il illustre une idée, mais ça manque de nuance, de psychologie. Il ne met pas sa documentation au service d'une inventivité. On sent le labeur. Pour moi, c'est de l'expressionnisme français. A la fois sentimental et trop moral. Zola est intéressant par le côté réaliste, mais il revendique un côté naturaliste, avec des personnages prédestinés. Il ne sait pas se dégager du sentimentalisme moral de son époque. Je préfère de loin Maupassant.

Marie-Jo
Je l'ai lu pendant les vacances et j'y ai trouvé beaucoup de plaisir. Les personnages se sont imposés à moi. C'est un livre reposant. Il y a une histoire, très bien racontée. L'héroïne est pleine de charge positive ; elle est un témoignage de l'époque ; actuellement, on a besoin d'une psychologie plus nuancée. Les personnages ne sont pas mièvres ; ils servent un propos. C'est intéressant et bien documenté, par exemple sur la naissance du capitalisme naissant. J'ai été passionnée par la modernité de ce premier grand magasin, la modernité des techniques de marketing, et l'étonnement des clientes, la profusion, le fait qu'on puisse toucher les objets.

Monique
J'avais lu L'Assommoir, Thérèse Raquin. J'étais contente de découvrir ce livre. Je suis déçue et surprise. Émerveillée par les descriptions, qui rendent très bien la vie dans les heures chaudes du grand magasin ; la description du blanc est extraordinaire. J'ai lu récemment "Naïs", une nouvelle, qui m'inspire les mêmes réserves et les mêmes admirations. En tout cas, j'ai redécouvert le talent de Zola pour les descriptions. Par contre, je trouve les personnages lourdingues. La description de la pauvreté ne me paraît pas réaliste : c'est du misérabilisme. La pauvreté, que j'ai d'ailleurs connue, ce n'est pas ça. De plus, Zola a une vision machiste du monde, qui n'est pas uniquement liée à l'époque.

Régine
Je l'avais lu il y a 5 ans. Cette deuxième lecture a été celle d'un manuel d'économie. J'ai été intéressée par le mécanisme du commerce, la description sociologique de la grande société, la vie dans le magasin, avec une image de Titanic, de cathédrale qui m'impressionne. Denise et Mouret sont des archétypes, mais pas intéressants. Par contre, les femmes qui achètent sont bien décrites. Les descriptions des lieux sont parfois redondantes, par exemple la chambre chez Bourras. L'aspect vertueux de Denise est caricatural.

Claire
J'ai eu un grand plaisir de lecture. J'ai sauté les descriptions, mais j'aimais bien les savoir là. Denise est un personnage magnifique, et je retrouve avec plaisir une sœur en vertu de Marie-Claire. Mais il faut convenir que Zola est meilleur en tissu qu'en amour, car l'histoire manque de vraisemblance à certains moments. J'ai admiré le talent pour créer une histoire à partir de l'Histoire, ici du commerce et de la Ville : quel écrivain aujourd'hui a une ambition analogue ? Sûrement pas Christine Angot. Je ne vois que Houllebecq, comme dans Plateforme (et au théâtre Vinaver). J'ai été fascinée par la description du fonctionnement du magasin : les écuries, la cantine, les chambres des vendeuses, le salon de lecture, le buffet, la vente par correspondance… L'expo de la BNF en a rajouté : on voit les catalogues, les factures, les cahiers du personnel, et on visualise aussi les transformations radicales du Baron Haussman, c'est passionnant. J'ai regardé les grands magasins d'un autre œil : je suis allée à la Samaritaine voir sa petite exposition trognonne permanente près de la terrasse, montrant en des maquettes maladroites la vie au départ très modeste de M. Cognac et l'œuvre de M. et Mme Cognac-Jay ; et au Bon Marché, j'ai reluqué les verrières, les escaliers pas roulants ouvragés et la statue mochasse de la bienfaitrice Mme Boucicaut dans le square attenant du même nom. Bref, moi, j'en redemande.

Patricia, internaute inconnue
J'ai découvert votre site en cherchant le film de Cayatte après avoir relu (pour au moins la 9ème ou 10ème fois) le roman de Zola. Je suis comme beaucoup de lectrices témoignant sur le site, je saute les descriptions trop longues mais c'est Zola et rien ne vaut la relecture d'un classique pour nous réconcilier avec les livres.


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Quatrième de couverture : Le Second Empire vise à faire de Paris la capitale de la mode et du luxe. La ville se modernise. Les boutiques du Paris ancien laissent place peu à peu aux grands magasins, dans le voisinage des boulevards et de la gare Saint-Lazare. La nouvelle architecture illustre l'évolution des goûts : on entre dans le royaume de l'illusion. Octave Mouret, directeur du Bonheur des Dames, se lance dans le nouveau commerce. L'exploit du romancier est d'avoir transformé un épisode de notre histoire économique en aventure romanesque et en intrigue amoureuse. Rien d'idyllique pourtant : le magasin est construit sur un cadavre ensanglanté, et l'argent corrompt tout. Pour Zola, la réussite du grand magasin s'explique par la vanité des bourgeoises et le règne du paraître. Il nous décrit la fin et la naissance d'un monde : Paris, incarné ici dans un de ses mythes principaux, devient l'exemple de la cité moderne.