Les
héritiers, éd. de Minuit, 1964, 192 p.
Quatrième de couverture : Si l'école
aime à proclamer sa fonction d'instrument démocratique de
la mobilité sociale, elle a aussi pour fonction de légitimer
- et donc, dans une certaine mesure, de perpétuer - les inégalités
de chances devant la culture en transmuant par les critères de
jugement qu'elle emploie, les privilèges socialement conditionnés
en mérites ou en "dons" personnels. A partir des statistiques
qui mesurent l'inégalité des chances d'accès à
l'enseignement supérieur selon l'origine sociale et le sexe et
en s'appuyant sur l'étude empirique des attitudes des étudiants
et de professeurs ainsi que sur l'analyse des règles - souvent
non écrites - du jeu universitaire, on peut mettre en évidence,
par-delà l'influence des inégalités économiques,
le rôle de l'héritage culturel, capital subtil fait de savoirs,
de savoir-faire et de savoir-dire, que les enfants des classes favorisées
doivent à leur milieu familial et qui constitue un patrimoine d'autant
plus rentable que professeurs et étudiants répugnent à
le percevoir comme un produit social.
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Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron
Les Héritiers
Nous avons lu ce livre en juin 2003.
Renée
Jai relu des passages datant de 40 ans. Je me dis que la présentation
était inhérente à lépoque. Ce fut une
lecture capitale à lépoque, jétais prof,
nous en étions imprégnés sans lavoir lu. Javais
lu des fragments. Je lai lu bien après. Le livre sous-tendait
toutes les discussions sur lenseignement. Il est incontestable et
en même temps contestable car il faut le refaire. Lidéologie
du don parcourait la droite. Expression quon emploie peu aujourdhui.
Françoise
On emploie le terme de « charisme » quon trouve
dans le livre.
Renée
Les questionnaires sont à refaire car le monde est différent.
Jen ai parlé avec mon fils qui a « fait » Sciences
Po et socio. On sappuie sur Bourdieu, mais la situation est différente.
Geneviève
Les classes supérieures ne se posent pas la question du rapport
à la profession. Le rapport classique/moderne nexiste plus.
Luniversité décrite est uniquement parisienne ; je
ne reconnais pas celle de province où jai fait mes études.
Renée
La tension due au chômage nexistait pas. Il ny avait
pas danxiété. Non ça ne se lit pas comme un
roman. Cest fatiguant, pas chiant, cela demande beaucoup dattention
pour déchiffrer.
Françoise
Je nai pas la concentration suffisante. Javoue que je lai
survolé. Mais les réserves déjà faites, le
livre reste très actuel. Jai retenu la façon dont
lécole creuse les inégalités. Cest un
sujet de dispute avec Philippe, toujours défenseur de « lécole
de la République ». Si javais eu le temps, j'aurais
lu de Mustapha Khayati De
la misère en milieu étudiant considérée sous
ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment
intellectuel et de quelques moyens pour y remédier (Strasbourg,
1966). Ce texte a fait l'effet d'une bombe en son temps, et a été
une référence dans le milieu situationniste. Evidemment,
le propos n'est pas le même que celui de Bourdieu & Passeron,
mais il serait intéressant de découvrir - s'il y en
a - des points de convergence/divergence, car il s'agit de la même
époque.
Renée
On était en plein processus de démocratisation de lécole.
Les conséquences pédagogiques de Bourdieu, cétait
le retour de Freinet, des écoles Freinet se sont ouvertes. Bourdieu
avait créé une ébullition. Il a dénoué
des peurs.
Françoise
Je pense à la filière Sciences Po daujourdhui.
Plaisir est un grand mot concernant cette lecture, mais jai ressenti
de lintérêt. Le livre nest pas très long,
mais ceût été moins long que cela ne meut
point gênée
Il a renforcé mes convictions par
rapport à Philippe
Geneviève
Jappréhendais de le lire. Je lai emprunté à
la bibliothèque, il est plein dannotations. La présentation
nest vraiment pas riante
Cest un livre quon a
limpression davoir lu, or je navais rien lu. Pour moi,
la lecture a été un vrai plaisir, pas tout de suite, mais
franchement, jai du mal à lire des essais, je dois revenir
en arrière, mais là jai avalé. Dans la période
actuelle que je vis comme une régression, cétait un
bonheur. Cela me venge par exemple de ce que je lis dans la presse (jai
des envies de meurtre). Quelquun qui raisonne clairement, ça
repose. En revanche, je trouve désespérant quon ait
si peu avancé. On ne dit plus « idéologie du
don » parce quon sait que cest ringard. Lexplicitation
des techniques intellectuelles auprès des élèves
est un moyen datténuer les différences avec ceux qui
les ont dès le biberon. Voyez cette expression sur les bulletins
scolaires : « a des possibilités ». Le livre est
désespérément actuel. Même si par exemple la
population de profs de fac a évolué. Ce qui sest perdu
aussi, cest linnocence : mes parents instits militants déducation
populaire, je les entendais dire « la mère de celui-là,
elle na pas inventé le fil à couper le beurre »,
mais en même temps ils étaient archi-dévoués.
Monique
Jai entendu des choses bien pires dans les salles des profs, par
exemple en parlant délèves : « ça ? cest
nul ! » Mais cest tellement dur dêtre prof quil
vaut mieux quils disent ça en dehors des gosses.
Renée
Les profs sont pétris de bourdieuseries
Monique
Je nai jamais lu Bourdieu et cest vrai que je nai pas
limpression de lire quelque chose de nouveau. Quest-ce quil
a pu apporter de nouveau en 1964 ? Je suis daprès 68. Ce
qui ma gênée - je suis dun milieu plus que
modeste, jai fait des études - cest que je ne
me reconnais pas dans la description de la vie étudiante : vie
de bohême ou recherche dune profession. Jai fait mes
études en travaillant
Claire
Moi aussi !
Renée
Moi aussi !
Geneviève
Moi aussi !
Françoise
Moi aussi !
Monique
je ne reconnais pas non plus le milieu étudiant de province.
Tous les problèmes analysés sont justes, mais il faut les
poser plus tôt, à lécole. On a été
seuls, mon frère et moi, à quitter lécole communale
pour aller en pension au collège. Un BEPC suffisait pour trouver
du travail. Pour moi, létude de Bourdieu est une étude
de gens nantis.
A la maison, on ne parlait pas comme à lécole, à
lécole on ne parlait pas comme à la maison en patois.
Je suis très pessimiste, je suis atterrée par ces réformes
fondées sur le fric et pas sur un projet humain. Le livre nest
pas actuel, car cest pire ! Ce que jai le plus apprécié
est le côté historique, cependant miroir de 2003. Que faire
?
Claire
Le livre ma rebutée et je ne lai pas ouvert, mais en
vous entendant je regrette
Christine
J'ai lu Les Héritiers à la faveur d'un trajet en
train. Je n'avais emporté que ce livre pour ne pas être tentée
de me plonger dans une lecture plus alléchante.
Première impression : c'est aride ! Je ne parle pas de tous les
tableaux que j'ai consultés, bien sûr, de la première
à la dernière ligne, mais de l'ensemble : construction,
sujet, style. C'est un ouvrage scientifique destiné à être
lu par des personnes qui possèdent déjà des clés
et qui ont un réel intérêt pour le sujet traité.
Je ne pense pas que, conçu tel qu'il l'est, ce livre s'adresse
à moi.
Cela mis à part, ce genre de lecture-pensum suscite de nombreuses
réflexions. C'est un document sociologique, témoin d'une
époque, qui rend compte de plusieurs points : qui parvient à
faire des études supérieures ? ou plutôt
qui va à l'université ? quel type d'enseignement y est donné
? que signifie être étudiant pour un jeune adulte ?
Si l'inégalité sociale a toujours cours aujourd'hui, la
situation a énormément changé depuis 40 ans. L'université
s'est professionnalisée, Bourdieu (c'est drôle comme on oublie
qu'il a écrit ce livre avec quelqu'un) reproche aux enseignants
de se comporter comme des maîtres à penser, de ne pas proposer
de méthodes d'apprentissage aux étudiants, mais de transmettre
une certaine culture. Pour moi le titre Les Héritiers se
rattache à cela aussi, pas simplement au fait que les étudiants
sont généralement issus de familles aisées : on leur
transmet la culture comme on transmettrait un héritage.
Au début des années soixante, on n'allait pas à l'université
pour apprendre un métier, mais pour acquérir des connaissances
dans un domaine choisi, l'avenir ne faisait pas peur, tout le monde était
sûr de trouver un emploi. C'était « une époque
formidable » (Reiser faisait peut-être ses premiers dessins).
A présent, les universités doivent proposer des filières
professionnelles, les IUT, IUP, DESS foisonnent ; l'entreprise, la région
ont leur mot à dire. Je pense que l'état d'esprit des enseignants
a complètement changé.
La population a changé aussi, les bacheliers s'orientent plus volontiers
vers des cycles courts, vers des écoles. L'université est
submergée par le nombre d'étudiants en premier cycle parce
que l'entrée n'est pas sélective. Beaucoup y vont par défaut,
ne sachant que faire d'autre, et ne dépassent pas les premiers
mois.
Lire ce livre à l'époque actuelle incite continuellement
à se demander ce que Bourdieu écrirait sur le même
sujet aujourd'hui, il est impossible de le lire comme il l'a été
à sa publication.
J'ai souri à l'analyse de la vie d'étudiant : une vie de
loisirs dans laquelle la seule obligation est de passer les examens. C'est
vrai qu'il s'agit d'une époque charnière, sans grandes responsabilités,
pendant laquelle le jeune adulte se construit.
Enfin, la conclusion m'a touchée et déprimée à
la fois. Bourdieu et Passeron parviennent à la conclusion que proposer
le même enseignement à tous est inégalitaire. En effet
chaque enfant arrive à l'école avec un bagage différent
et il faudrait faire un enseignement à la carte.
Nous qui connaissons les résultats du collège unique, nous
ne pouvons que souscrire à cette noble idée, mais quel gouvernement
dotera lÉducation nationale d'un budget qui permettrait une
évolution dans ce sens ? Quarante ans plus tard on ne l'a toujours
pas vu passer.
Katell
Jaime ces débats à partir de ce livre écrit
il y a 40 ans. Je lai découvert en 88-89, jétais
étudiante en histoire, dans une UV de sociologie de léducation.
Il y avait eu en 86 - jétais lycéenne -
les manifs Devaquet. Le mot dordre de Chevènement : 80% dune
classe dâge au bac. Je ne connaissais pas du tout Bourdieu
: ça a été une révélation. Il mettait
en mots, en chiffres, ce que je pensais intuitivement. Il y a aussi un
plaisir de l'écriture : jai retrouvé ce que javais
souligné. Cest un livre qui ma formée : «
étudier ce nest pas créer, mais se créer »,
dit-il, cétait exactement ça avec ce livre. Je ne
lai pas relu, à cause des grèves, je ne peux plus
lire dans le métro
Cest un livre qui fait parler de
soi.
Mais il a eu des détracteurs : Raymond
Bourdon qui pense que la réussite scolaire est plutôt
déterminée par les stratégies parentales
Le chur
Ce nest pas contradictoire
Régine
J'ai pris connaissance du bouquin de Bourdieu. Je l'ai trouvé quelque
peu austère (scientifique), défendant la thèse un
peu simplette selon laquelle les populations cultivées ont tendance
à vouloir insérer leur progéniture dans les mêmes
circuits. Ce livre pourrait déboucher sur un débat de société,
c'est ce qui en fait l'intérêt.
Quand
ça nous dit d'en choisir une,
voici nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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