Albert Cossery
Mendiants et orgueilleux

Nous avons lu ce roman en mars 2003.

Nicole (de Bretagne)
Dès les premières pages, j'ai été sous le charme de l'écriture et de l'histoire. Une superbe interrogation sur le sens de la vie, avec un aristocratique détachement sur fond de misères en tout genre. En résumé : j'ai beaucoup, beaucoup aimé.

Françoise
Aucun plaisir de lecture. Je n’ai réussi à m’intéresser à aucun personnage. Ils sont tous antipathiques, contradictoires, sans aucune crédibilité. L’histoire est bien mince, je n’ai pas accroché une seconde, l’auteur ne se sert pas vraiment de l’assassinat de la prostituée pour trame ; ça part un peu dans tous les sens. Le texte est tout juste bien écrit, et encore avec des maladresses, des exagérations (p. 10, 14, 28, 31), des contradictions, voulues sans doute, mais sans fondement apparent (p. 11), sans parler de certains passages pseudo-philosophico-machin-chose qui me semblent totalement incompréhensibles (par exemple p. 28). Le style est sans relief. Tout cela m’a semblé relever du fatras folklorique sans aucun intérêt. Je me suis vraiment forcée pour le finir car j’avais l’impression de perdre mon temps.
Sandrine
Quel est le sens de la vie ? Pour répondre à cette question, Albert Cossery a une approche très originale, il nous fait partager le quotidien de quelques "outcasts" (égyptiens ?), des hommes libres car chacun à leur manière ils refusent de se soumettre aux lois de la société et aux règles de la morale. C'est je crois ce qui m'a le plus frappée dans cette œuvre : la société n'a aucune emprise sur ces hommes, ils n'ont aucune ambition de s'intégrer dans la société, aucune ambition de l'influencer et refusent qu'elle les influence. Ce sont tout simplement des électrons libres, dont la vie se déroule au gré de leurs envies ou de leur besoins. Ce que j'ai aimé dans ce livre, c'est cet hymne à l'individualité et à la liberté, même dans ce qu'elle peut avoir de plus extrémiste (comme cet assassin qui devient indifférent à son crime), sans pour autant ignorer l'attachement affectif (Yeghen qui aide Gohar ou le policier vis-a-vis du jeune homme qui le hait). L'écriture est agréable et fluide.

Françoise Del
Je n’ai guère aimé ce livre. Dieu sait pourtant si je fais l’éloge de la paresse et si les hyper actifs me fatiguent, mais là ça va trop loin. Le problème est d’ailleurs posé. El Kardi : «Mais tout un peuple ne peut se permettre cette attitude négative». Ils sont obligés de travailler pour vivre. Comment peuvent-ils ne pas collaborer ? Gohar : "Qu’ils deviennent tous mendiants". Or même si on peut vivre (?) que d’un croûton de pain par semaine, il faut quand même que quelqu’un plante le blé, il faut moudre le grain et fabriquer le pain. Et quand bien même on ne vivrait que de kif, il faut aussi planter le kif, le récolter, le transformer. Mais surtout ce qui m’a déplu, c’est l’horrible misogynie du narrateur : "Gohar était reconnaissant aux femmes, à cause de l’énorme somme de bêtise qu’elles apportaient dans les relations humaines", "il usait de termes si voluptueux qu’on eût dit qu’il décrivait les charmes d’une fille impubère" : une fille impubère=une petite fille -> apologie de la pédophilie. Un détail m’a plu, c’est l’histoire de l’unique édredon dans l’hôtel qu’on enlève à Paul pour réchauffer Pierre, etc.
Katell
Je ne savais rien sur ce livre et dès le départ j’ai été captivée. L’écriture est très belle, sans être pédante. Les trois amis sont sympathiques, assez typés sans être caricaturaux. Cela m’a fait penser à Narcisse et Goldmund (c’est ma marotte) pour la philosophie de vie et aussi à La Faim de Hamsun. Le fait que Gohar soit accro au haschisch est très intéressant : même si on prétend renoncer à tout, on reste quand même esclave de quelque chose… J’ai aimé le petit grain de folie qui perçait à travers le récit et le personnage du policier, ses doutes, ses choix. Petit bémol, dû sans doute à la culture du romancier, c’est effectivement extrêmement misogyne. Les femmes sont soit des putains, soit des mégères. C’est un peu réducteur quand on a une idée pacifiée de l’existence…
Jacqueline
J’ai lu jusqu’au bout, tout le livre tenant me semble-t-il dans sa conclusion. Ce récit distancié et "cynique" ne me plaît pas. Personne ne trouve grâce aux yeux de l’auteur, même si Gohar convertit le policier à son dépouillement et à sa philosophie. Cela me manque de n’éprouver aucune sympathie pour aucun personnage, même si cela paraît être le projet réussi de l’auteur. Pourquoi est-ce que je peux rire d’Affreux, bêtes, sales et méchants et pas de l’ironie de Cossery ? Pourquoi ai-je l’impression qu’il parodie Dostoïevsky et me donne envie de relire ?
Monique
J'ai lu Mendiants et orgueilleux avec plaisir mais sans exaltation. Les personnages sont caricaturaux et les femmes toujours méchantes ou malades. Mais j'ai aimé cet univers de Cour des Miracles. Cet univers m'a fait un peu penser à Genet, mais sans la Grâce... Il manque un souffle, une conviction. J'ai suivi docilement le cours du texte pour voir évoluer ces êtres morts à toute valeur, à toute idéologie (mais qui gardent encore leur "Maître" ?) : je suis restée sur ma faim. Je ne comprends pas ce que l'auteur a voulu faire. Je trouve que ce n'est pas assez politique, ou pas assez poétique, ou les deux.
Claire
Je l’ai lu sous les cocotiers et j’ai aimé découvrir un nouvel univers. J’ai aimé les sentiments de joie, la paix, l’amitié, l’humour. Et une composition intéressante. J’ai aussi des réserves : le mépris des femmes, le simplisme ("les salauds"), une morale douteuse, une idéalisation des miséreux et de la misère ("cette foule qui se mouvait dans l’éternité", "la misère grouillante semblait receler une mystérieuse opulence, les trésors d’une richesse inouïe et insoupçonnée") qui va avec un style stéréotypé : "une indicible terreur", "le sommeil le retenant par d’indissolubles liens", "le dénuement avait la beauté de l’insaisissable". Malgré cela, mon intérêt a été constant, et la surprise réelle. Je veux bien relire le livre s’il fait partie des 10 que je trouverai dans une île déserte, sinon je ne tiens pas à lire d’autres Cossery. Je préfère découvrir d’autres auteurs, comme les BD de Marjane Satrapi que je vous recommande…
Marie-Christine
C’est la séduction de la distance. Comme une image d’Épinal du Caire : la crasse, la pauvreté. Ce monde livresque, la morale même douteuse, le style facile, tout va bien avec le personnage. Ce n’est pas une faiblesse d’écrivain, c’est une stratégie. J’ai peut-être préféré Les hommes oubliés de Dieu.
Geneviève
Cette cour des miracles a des personnages paradoxaux, mais capables d’aimer. Chaque personnage a son univers, est complètement atypique, avec des failles. Le regard sur les femmes, limitées à la maman et la putain, fait partie de cet univers égyptien. C’est un peu trop explicite sur la fin. Il y a une dimension politique avec l’amoralité de la société dépeinte. Mais le livre manque de souffle, surtout si je le compare aux Enfants de minuit de Rushdie.

Liliane
J’ai lu trois livres de Cossery dont Les mendiants il y a longtemps. Je me souviens d’un plaisir de lecture : le transport dans le Moyen Orient et le côté anar m’avaient séduite.

Françoise
Ce n’est pas anar, c’est nihiliste.

Liliane
Mais malgré tout, je n’ai pas eu envie de le relire : j’avais l’impression que le livre était daté pour moi. Ça m’avait plu il y a 10 ou 15 ans, comme un plaisir du moment, mais ce ne fut pas un choc, je n’ai pas été ébranlée. Peut-être est-ce un texte dont on fait le tour à la première lecture ?
Brigitte
J’ai aimé la première de couverture... Je l’avais déjà lu, mais j’avais oublié, ne m’en suis rendu compte qu’au fur et à mesure de ma lecture qui s’en est trouvée plus facile, parce que je reconnaissais les personnages. Pour ces personnages, il ne faut jamais perdre la face, le panache, la superbe, un peu comme pour les Valeureux de Cohen. J’ai bien aimé dans l’ensemble et n’ai pas remarqué les facilités de langage. La haine des femmes exprime la peur à leur égard (comme vis-à-vis de la jeune pianiste). Le mystère de la façon d’être des gens du bassin méditerranéen se lève un peu grâce à ce livre qui révèle une cohérence de ce monde "oriental"; ceux de la ville arabe se sentent dépaysés dans le quartier occidental, comme nous à l’inverse. On découvre des normes qui ne sont pas nôtres, cette lecture donne des clés. Par exemple, le rôle des langues européennes comme signe de reconnaissance. L’aspect immoral n’a pas d’importance pour moi, mais c’est vrai que ça manque un peu de souffle.

Paul
" Il n’y avait plus un en lui qu’une infinie lassitude, un immense besoin de paix – simplement de paix". Voilà en la dernière phrase du livre, résumée l’aspiration de chacun de nos personnages de Mendiants et Orgueilleux. Tous aspirent à la paix. Cette volonté est pour eux leur unique moyen de s’extirper d’une médiocrité quotidienne dans laquelle ils évoluent. Saleté, pauvreté, rareté sont les attributs quotidiens de nos personnages. L’auteur nous peint une société où plus rien ne permet de croire en un avenir meilleur, et pourtant presque tous ces personnages semblent connaître un semblant de bonheur. Malgré la laideur, leurs moyens plus que modeste, le bonheur serait perceptible.
Il s’agit d’un bonheur qui ne s’encombre pas de considération matérielle, il s’agit d’un bonheur lié à la liberté de pensée. Cette liberté de pensée s’accompagne alors du désaveu total de l’autorité. Plus aucune règle ne vient régir ce monde.
Plus qu’un déni du système, il s’agit d’un renoncement au Progrès. L’auteur fait aboutir son projet de refus du Progrès en la personne de Nour El Dine, le policier. Ce dernier ne symbolisait il pas le dernier rempart contre le néant, l’anarchie ? Mais tout ce système ne serait qu’une énorme supercherie, une mascarade qui servirait un très petit nombre. La corruption a gangrené tout le système, l’équilibre entre l’Ordre et le Chaos est fragile. Cet équilibre bascule totalement.
Des scènes ennuyantes, des personnages loin de notre réalité, une histoire sans histoire voilà comment je qualifierai ce livre. Un jugement dur, mais certainement parce que l’idée maîtresse, la philosophie ne correspondent pas à ma vision de la vie. J’ai trouvé ce livre teinté d’un grand pessimisme, même si l’auteur croit déboucher sur un havre de paix. Je suis néanmoins content de l’avoir lu.

 

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Dans les rues du Caire, Gohar, ex-philosophe devenu mendiant, sillonne avec nonchalance les ruelles de la ville et croise des figures pittoresques et exemplaires.