Métailié, 2002
Quatrième de couverture : En révolte contre lui-même et contre le monde entier, préoccupé par le désir de comprendre une histoire, à la fois proche et lointaine, qu'il n'a pas vécue, l'auteur, armé de sa caméra, part visiter Auschwitz où sont morts ses grands-parents. A la recherche des siens et surtout de lui-même, il découvre ses compagnons de voyage et la diversité de leurs motivations, ainsi que la difficulté à filmer ou à dire le néant. En particulier lorsque, comme l'auteur, on aborde la vie et l'écriture avec l'énergie débordante du sortir de l'adolescence. Ce récit de formation au ton original, à la fois poignant, juste, drôle et plein de vitalité, composé d'une série de scènes courtes évitant tout pathos, nous fait découvrir cette deuxième génération qui ne veut pas mettre de côté mais comprendre pour vivre pleinement et pose les problèmes universels avec un ton et une optique qui lui sont propres.

Guillaume ADLER est né en 1971. Il a été rédacteur-concepteur dans des agences de publicité. Il est aujourd'hui auteur pour la télévision et réalisateur de documentaires.
Pitchipoï est son premier livre.

Guillaume Adler
Pitchipoï

 

Nous avons lu ce livre en novembre 2002.
Nos échanges ont eu lieu en présence de l'auteur (photos de notre rencontre).

Christine
Le thème du livre m'a beaucoup intéressée : les réflexions d'un jeune juif élevé dans l'ignorance de ce qui était réellement arrivé à sa famille pendant la guerre. Il sait que ses grands-parents et sa tante sont morts à Auschwitz, mais ni son père ni ses oncles ne veulent parler de l'holocauste. Le narrateur a 30 ans, il ressent un mal de vivre qui l'empêche de réussir sa vie affective et professionnelle ; il a l'impression d'avoir grandi sur un manque, un vide. Son père lui dit que l'holocauste qui était un drame collectif pendant la guerre est devenu un drame individuel pour les gens de sa génération. Sa cousine Sabine lui envoie un jour à la liste du convoi pour Auschwitz sur laquelle figurent les noms de leurs disparus. Le fait de voir écrits les noms des grands parents et de la tante leur donnent une réalité. Le narrateur voudrait que la famille se retrouve un jour autour de ces morts et se reconstitue une base commune sur laquelle ils pourraient tous s'enraciner. Toute la première partie du livre décrit subtilement les relations familiales : les gens ont bien conscience d'appartenir à un même groupe mais personne ne se parle vraiment. Les sentiments ne sont jamais exprimés, chacun se débrouille dans son coin .
Sur un coup de tête et parce qu'il n'a rien d'autre à faire à ce moment-là, le narrateur accepte d'accompagner son demi-frère et un de ses oncles à un voyage organisé à Auschwitz. La seconde partie du livre est le récit de ce voyage. Davantage que les descriptions forcément émouvantes des camps, ce qui m'a plu ce sont les relations que le narrateur va tenter de nouer avec les autres participants. Il est maladroit, intolérant, impitoyable, il oscille entre l'envie d'être le seul à avoir mal, le seul à comprendre, et le besoin des autres. Petit à petit c'est ce besoin et le désir de partager qui l'emportent.
Je ne crois pas trop au fait que le narrateur revienne complètement transformé par ce voyage ainsi qu'il le dit.
Le style de l'auteur correspond tout à fait au récit : impulsif, maladroit, désorganisé, nerveux, sans fioritures.

Guilllaume Adler :
C'était pour moi une nécessité de publier le texte pour qu'il soit consultable, sinon il y avait danger.

Roselyne
J'attendais une signification du titre dans le livre. J'ai pensé à Primo Levi, au film de Finkiel et au voyage que j'ai fait en Pologne et à la visite bouleversante à Auschwitz dont je garde une mémoire physique. La fratrie évoquée dans le livre est forte.
Par ailleurs, je pense qu'il y a là tout pour faire un livre, mais que l'auteur n'a pas su l'exploiter. Il ne sort jamais de ses états d'âme pour en faire une œuvre littéraire. Tout le travail d'écriture est absent. Il ne tient jamais compte du fait qu'il écrit pour des lecteurs et qu'il faut les saisir au début et les emmener jusqu'à la fin. Si ce n'avait été le groupe de lecture, jamais je n'aurais été au bout de ce livre, qui n'est absolument pas rédigé. Quand il cite Primo Levi, qui lui a réellement écrit un livre, il prend un risque énorme de comparaison.

Isabelle
J'ai terminé le livre avec une émotion forte. J'ai eu le sentiment d'abord d'une écriture immature, puis j'ai trouvé une profondeur, une maturité qui s'est profilée : c'est l'histoire d'une métamorphose. Certaines séquences m'ont semblé cinématographiques.

Sabine (Adler)
Tout me parle, puisqu'il s'agit de ma famille : notre histoire, et puis l'Histoire au-dessus. J'ai beaucoup aimé l'honnêteté. Drame individuel, puis collectif, puis individuel. La page qui me déplaît est la première, le cauchemar : pour le comprendre, je me demande s'il y a assez d'indices dans le livre.

Guillaume Adler :
- Au départ, c'est un puzzle à recoller, c'est le " bordel " : la réponse est à la fin… Si je perds le lecteur à la première page, de toute façon, je le perdrai à la dixième ! C'est presque un suicide littéraire au départ.

Sabine
Il y a un art des formules, par exemple " l'impression d'entrer dans un livre d'histoire vivant ". Le sujet me concerne : notre génération qui se pose des questions, nous sommes à l'affût du moment où " ils " vont parler, cet Albert qui détenait toute la mémoire ; sa mort est une deuxième mort de la famille. La scène finale est superbe. La mort a permis de ressouder la famille, d'enterrer les grands parents. C'est un livre très fort pour les jeunes : comment la parole peut se bloquer ou se délivrer…

Marie-Jo
Ce récit m'a touchée par sa sincérité, sa façon de dire le mot juste, d'être le plus honnête possible, sans pathos. J'ai aimé l'écriture désinvolte, qu'accompagne une haine de la langue.

Guillaume :
La peur d'écrire, l'initiation à l'écriture…

Marie-Jo
Tu puises en la langue ce qui va te permettre de te délivrer, on sent cette catharsis. Mais la Shoah est notre histoire à tous.

Jacqueline
C'est un livre qui compte, car il m'a permis de changer de point de vue sur le fait d'aller ou non à Auschwitz. Je n'ai jamais voulu y aller (mon père a été déporté pour des raisons politiques). Je pense à la difficulté de la parole après, au retour, à l'espace d'interdit.

Régine
Je me félicite de mon obstination et de ma ruse. Car dépassé le rêve qui ouvre le livre, j'ai été vraiment contente de lire le livre. Le narrateur et la chose narrée se confondent. J'ai été ravie que soit mentionné Une vie bouleversée d'Etty Hillesum. J'ai voulu moi aussi visiter un camp, avec mes enfants, pour qu'ils voient ÇA, et c'est vrai que le lieu "sidère".

Marie-Christine
Les deux premières pages, je n'ai rien compris. Mais c'est un livre qui m'a beaucoup touchée. Avec ce parcours initiatique, on sent une métamorphose, une maturité qui s'affirme au fur et à mesure du livre. L'écriture est plus efficace qu'une psychanalyse. J'ai adoré le style, les petits chapitres, l'écriture incisive. L'horreur est dite sans pathos, c'est cinglant.

Claire
J'ai l'impression d'un malentendu. Le livre avec sa belle et mystérieuse couverture, le nom de son éditeur (littéraire), crée un " horizon d'attente " : il va s'agir de littérature. Or au lieu de parler du livre, on parle de la vie. Au lieu de parler de ce qui est écrit, de ce qui est vécu. Bon d'accord, l'auteur est là, mais quand même… En tout cas, j'ai trouvé très poignants certains moments de la visite à Auschwitz et très intéressante cette " problématique " de la seconde génération. Mais je me suis vraiment perdue parmi les personnages, comme si l'auteur ne prenait pas garde au lecteur. Les histoires de famille m'ont laissée assez froide. Est-ce que le texte a été retravaillé ?

Guillaume Adler :
En fait, c'était un journal de voyage et c'est ma femme qui m'a obligé à en faire quelque chose. J'ai beaucoup modifié.

Katell
Difficile de rentrer dedans dès les premières lignes : je m'y suis reprise à trois fois, non pas pour "comprendre" quelque chose (puisqu'il n'y a rien à comprendre, c'est un rêve), mais avant que les images de ce rêve se forment à mon esprit. Si ce n'était le cercle de lecture, j'aurai d'emblée laissé tomber (je suis très paresseuse et pas du tout maso, je ne lis que pour le plaisir). Mais à la fin de la seconde page, la remarque sur son couple m'est allée droit au coeur. Si juste, si vraie, une réflexion de trentenaire qui vasouille... Je ne suis pas une fanatique du style court, sujet-verbe-complément, assez peu "travaillé" : ça se lit vite, mais, à cause de son efficacité, je le trouve lassant. Et puis, au détour d'un paragraphe, quelque chose de magique, "la pépite". Une réflexion, un trait, une pensée qui élève la narration pure. A ce moment, Guillaume Adler a un vrai talent, un vrai regard sur le monde.
Beaucoup de personnes sont évoquées et parfois, malgré leur importance dans le récit, je ne savais plus de qui il parlait. Qui est Céline ? Jacques ? En revanche, j'ai un souvenir fulgurant de la description de la dame à l'âge illisible, au visage de jeunette ou encore de cette femme, la Joans Collins asiatique ! Les descriptions étaient géniales. En deux phrases, les personnes s'animent sous mes yeux.
Finalement, son talent, je ne l'ai pas trouvé "exploité" sur le voyage (que j'ai trouvé assez terne) mais sur ses à-côtés : sur sa vision de l'existence, sa révolte, le passage charnière de cette adolescence qui se prolonge à (enfin ?) l'âge adulte, le couple, la filiation... Là, ses réflexions trouvent un écho, une résonance même si c'est parfois un peu naïf. Mais n'est-ce pas le cheminement classique des gens de notre génération ? Faut-il être juif et aller à A. pour se rendre compte de la vanité du monde ?
Donc, un plaisir mitigé. De beaux élans, de beaux passages, d'autres assez plats et sans beaucoup d'intérêt. C'est dommage. Peut-être parce que ce texte a été écrit dans l'urgence ? Peut-être parce qu'il est encore trop explicitement narratif dans la relation des faits ?

Manuel
Je fais juste une parenthèse pour décrire la façon dont j'ai abordé le livre. C'est la première fois que je lis un récit dont je connais en partie les événements et surtout les protagonistes. Sa lecture m'a permis de côtoyer des amis. Ce livre est un livre ami.
C'est un premier livre où tout est mis ; j'y ai trouvé des échos à ma propre expérience…
Passés ces quelques considérations personnelles, j'ai été subjugué par les images très fortes et intenses. Guillaume Adler y met toutes ses tripes et ça se sent. J'ai été rarement aussi secoué. Je n'ai pas lu les "classiques", les livres de Primo Levi par exemple, de ce fait certains passages étaient des découvertes éprouvantes. J'ai trouvé ce livre sincère, justes et émouvants. Certains épisodes sont insoutenables, d'autres chargés d'émotion. Les coups de colère sont tellement palpables que je les ai trouvés parfois excessifs. Encore une fois, c'est le cœur de l'auteur qui parle. Il n'y a pas de trucages, pas de tricheries, en somme c'est un grand livre qui aborde la question des camps de concentration d'une nouvelle manière je pense : la visite d'anciens prisonniers vers la Pologne.

Dilia
J'ai été surprise par le thème du livre : le titre m'intriguait, je m'attendais à une comédie... Mais j'ai été très agréablement surprise. J'ai déjà lu plusieurs bouquins sur le sujet des camps de concentration (Etty Hillesum, le journal d'Anne Franck, et d'autres documentaires), mais celui-ci est très intéressant car il donne un point de vue inhabituel : les pensées d'un jeune qui n'a vécu cet élément de l'histoire qu'à travers l'histoire de ses grands parents qu'on lui racontait... Et j'ai trouvé les pensées de ce jeune très profondes, certaines se rapprochant de ma vision des choses.
Et oui, l'humain en général, est toujours poussé vers le mal, et est très égoïste. Demandez-vous si vous aviez été allemand à cette époque-là, comment auriez-vous réagi ?... Je trouve que l'auteur pose les bonnes questions, au lieu de se dire "il ne faut plus laisser ce style de gens recommencer !" au lieu de se demander "comment faire pour ne pas retomber dans ce piège que nous les hommes avons créé !" La société nous choisit notre vie à notre place, mais on ne peut pas faire autrement que de suivre le troupeau sinon on est vite hors-jeu...je suis en ce moment dans une période où je refuse d'admettre cette idée...mon mari me disait que mes idées étaient utopiques, irréalisables ! Sa façon de penser me mettait hors de moi, je me disais "si tout le monde baisse les bras dès le début, je comprends pourquoi on n'y arrivera jamais ! la paresse est un gros défaut de l'humain, que la société a amené ! et elle ferait faire n'importe quoi, jusqu'à l'impensable : les camps de concentration, par exemple…" Bref j'ai beaucoup apprécié ce livre, que sans vous, je n'aurai sûrement jamais lu, merci !

Françoise
C'est le récit d'une reconstruction et d'une réconciliation, avec soi-même et donc aussi avec les autres, que chacun peut vivre à son niveau. C'est pourquoi, il y a une résonance pour tous, quelle que soit l'histoire individuelle de chacun ; outre le fait bien évidemment que la Shoah regarde tout le monde. L'auteur devrait faire un film sur son père et ses oncles, c'est à dire ceux qui étaient alors enfants et qui ont échappé à la déportation, comme le film très émouvant de Thomas Gilou qu'on a vu récemment à la télévision (le père de Guillaume Adler est un enfant d'Izieu et il serait primordial de connaître son histoire). Ce film a aussi fait l'objet d'un petit livre dans la collection Librio qui s'appelle Paroles d'étoiles.
Après la voix des déportés eux-même, on commence à entendre celle de leurs enfants, et petit à petit émerge aussi celle des petits-enfants comme Guillaume Adler, ou Marianne Rubinstein (Tout le monde n'a pas la chance d'être orphelin) et c'est une bonne chose.

 

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